Louÿs Pitre, un chant d’espoir – David Lonergan

Pitre, Louÿs. Thalia, Tracadie, La Grande Marée, 2016, 79 p.

Je regarde Louÿs Pitre parler à un enfant et à sa mère lors du dernier Salon du livre de la Péninsule. Ses yeux pétillent, il écoute tout autant qu’il parle. Il croit en ses histoires et il sait les raconter. L’enfant qui l’avait vu lors d’une rencontre scolaire est tout oreilles. Il a choisi Feuille de Lune et la Tribu des mots parce qu’il les aime, les mots, dit-il timidement. Sa mère paye, Louÿs Pitre dédicace le livre et le remet à l’enfant d’un geste doux, comme s’il s’agissait d’un trésor délicat et fragile.

Crédit photo : La Grande Marée.

Mais il aurait aussi tellement voulu que la mère s’intéresse à Thalia, le recueil de poésie qui résume sa vision du monde et qu’il a lancé en 2016. Dans sa préface, Claude Le Bouthillier soulignait la douceur et la simplicité des poèmes. On pourrait même ajouter leur naïveté. Une naïveté romantique qui convient bien aux mélodies qu’il composait sur ses poèmes : «Quand tu viendras dans mon village / Je t’offrirai un brin de poésie», chante-t-il dans «Mon village» (p. 72), un titre phare de son album En toute amitié (1995). Une chanson qui me fait penser au Québécois Hervé Brousseau par sa légèreté et sa délicatesse.

Thalia, la muse qui, dit-on, a le pouvoir de faire fleurir les fleurs, «erre dans ce livre comme un vent d’inspiration» (p. [6]), écrit Pitre dans son mot de l’auteur. «J’écris des poèmes pour faire rêver le monde»; ce vers tiré de la chanson «Mes amours» de l’album En toute amitié pourrait être son leitmotiv, tant tout ce qu’il écrit et chante est porteur d’espoir, et d’un optimisme que rien ne semble pouvoir fragiliser.

Le recueil reprend plusieurs des textes des chansons de ses deux albums, mais pas tous et c’est dommage. Les plus âgés se souviennent peut-être qu’il fut le lauréat du Festival de la chanson de Caraquet en 1977 dans la catégorie auteur-compositeur-interprète et que l’année suivante, il enregistrait un « long jeu » pour la compagnie québécoise DSP International.

Les poèmes de Thalia sont répartis en quatre «saisons» : «Été», «Hiver», «Thalia» et «Pas comme dans les chansons» : «Ce n’est pas comme dans les chansons / La vie c’est chagrin / Bonheur parfois / Et de belles surprises / Un long chemin / À emprunter sagement / Sans penser à demain» (p. 62). Ce poème évoque l’ACV qui l’a terrassé en 1999 et l’a laissé paralysé du côté droit.

S’il gagnait jusqu’alors sa vie comme agent pédagogique, il est contraint d’abandonner sa «carrière» de chansonnier. Une longue période de réhabilitation a suivi qui s’est terminée en 2005. Il a alors 57 ans. Ce n’est pas un handicap physique qui va démoraliser Pitre : s’il ne peut plus remonter sur une scène, il peut continuer à écrire. Le conte remplace la chanson et il trouve chez les Éditions La Grande Marée de Jacques et Suzanne Ouellet le support qu’il lui faut, d’autant plus qu’il sait s’organiser : la maison d’édition l’appuie en l’aidant à distribuer ses livres dans les écoles. Minouche, le petit renne, illustré par Réjean Roy, sort en 2009 et remporte un vif succès. Tout comme Feuille de Lune et la Tribu des mots (2012), Le trésor de Jack Simon (2014), Arthur le siffleux (2016) et le tout récent L’aigle et la colombe (2018) dont les illustrations de Jocelyne Bouchard sont de véritables tableaux. Cette histoire d’un vieux veuf qui rêve d’un amour entre un aigle et une colombe reprend le mythe de l’amour impossible. Toutefois, contrairement à Roméo et Juliette ou à Tristan et Yseult, leur amour sera possible. Pour le vieux, ce rêve est le signe qu’il reverra sa bien-aimée dans l’au-delà. C’est cet espoir qui anime tous les textes de Pitre. Naïf, peut-être, mais toujours confiant en la vie.

Dans «Ça fait longtemps», une chanson enjouée qui fait penser à du Charles Trenet, Pitre avoue à son aimée tout ce qu’il ne lui a pas dit depuis longtemps et le fait qu’il n’est plus attentif aux petites choses de la vie. Il constate alors que «Ça fait longtemps que je t’ai pas dit / Que tu avais changé ma vie». Cette chanson figure sur le disque compact qui réunit plusieurs des chansons des deux albums de Pitre et quelques inédits et qu’on peut se procurer en le contactant.

Cet amour de la vie anime toutes les œuvres et la façon d’être de Louÿs Pitre. Il se dégage de cet homme une chaleur, une simplicité bon enfant qu’on aimerait retrouver chez tous les grands-pères de ce monde. Après tout, n’est-il pas lui-même un «grand-père de deux filles et de deux garçons», comme il l’affirme fièrement dans la biographie qu’il remet aux médias et aux directions d’école?

À propos…

David Lonergan a vécu en Acadie de 1994 à 2014. Il habite aujourd’hui en Gaspésie. Il a travaillé dans divers domaines : théâtre, journalisme (écrit, radio, télévision), enseignement (au secondaire puis à l’universitaire). Il a publié plusieurs livres dont plus récemment aux Éditions Prise de parole, Paroles d’Acadie : anthologie de la littérature acadienne 1958-2009 (2010), Acadie 72 : naissance de la modernité acadienne (2013) et Théâtre l’Escaouette 1977-2012 (2015).

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