«Herménégilde Chiasson de A à Z. Carte blanche à un créateur d’exception», Herménégilde Chiasson avec la complicité de Gabriel Robichaud [direction artistique et littéraire], Montréal, Festival international de littérature, 25 septembre 2017. Soirée de poésie.
Le Festival international de littérature (FIL) a invité le poète Herménégilde Chiasson à sa 24e édition à Montréal en lui offrant carte blanche pour célébrer la parution en février de son ouvrage (12) Abécédaires aux Éditions Prise de Parole.
Au Lion d’or ce soir-là, dans l’ambiance feutrée du cabaret, le public était exactement ce à quoi l’on pourrait s’attendre de gens s’étant déplacés pour assister à un spectacle de poésie : modeste, mais remplissant suffisamment la salle; sage, mais enthousiaste; posé, mais chaleureux. Le spectacle commence alors doucement avec une présentation de Chiasson qui défait gentiment la figure autoritaire du poète national pour laisser la poésie prendre l’avant. On comprend que le spectacle reprendra studieusement, mais avec une pointe de ludisme, le format de l’abécédaire. Ce sera bel et bien Herménégilde Chiasson de A à Z comme l’indique le titre du spectacle, qui comprend 26 vignettes : A comme Ange, B comme Bleu, C comme… et ainsi de suite.
Le format s’avère idéal pour présenter en spectacle une sorte de petite anthologie de l’œuvre de Chiasson, où des pièces d’autres artistes, tels que Jonathan Roy et Sonia Cotten, peuvent facilement venir s’insérer. Ainsi, la soirée tient davantage du collectif que du simple hommage, ce qui la rend bien plus dynamique et vivante, puisqu’elle présente la création comme une lancée vers l’avenir et non comme un regard figé vers le passé. Procéder en abécédaire, c’est également une façon d’honorer les lettres, les petites comme les grandes, tout en s’accordant le droit d’incorporer avec naturel les arts visuels, les anecdotes personnelles, la musique et la chanson. C’est ainsi que se révèle la force de l’abécédaire; ce contraste entre le prévisible et l’imprévisible, ainsi que l’atteinte de la liberté au travers de la contrainte. À un certain moment du spectacle, entre des récitations plus conventionnelles, un extrait du documentaire sur l’auteur américain Jack Kerouac, intitulé Le grand Jack et réalisé par Chiasson en 1974, est présenté. De même, on projette des peintures et dessins du poète acadien. Les pièces de théâtre que l’artiste a écrites sont mentionnées, mais on se désole qu’aucun n’extrait n’ait pu être présenté. Au final, le spectacle, contraint dans le temps, ne peut qu’effleurer la vaste étendue de l’œuvre multidisciplinaire de Chiasson.
Pourtant, cette formule présente également le danger des longueurs : certaines pièces se suivent, mais ne se répondent pas vraiment; elles n’ont pas toutes la même pertinence ou ne sont pas toutes du même calibre, ce qui donne lieu à un rythme un peu accidenté. On ne peut bien sûr pas demander à l’alphabet de comporter moins de lettres, mais au fil de la soirée, le spectateur se retient de compter sur ses doigts le nombre de lettres qu’il reste avant la fin.
Relevons toutefois certains instants de pure beauté : la guitare simple et touchante de Fredric Gary Comeau; la personnalité originale et attachante de Jonathan Roy, poète publié aux Éditions Perce-Neige; et la rage dramatique de Sonia Cotten, une artiste qui perfectionne l’art du stand-up poétique. Sa récitation de Nique à Feu, un texte de sa composition, est percutante, trash et digne d’une grande comédienne. Citons aussi la présence chaleureuse et appréciée de Thomas Hellman, un chanteur et musicien déjà habitué à prêter son art pour célébrer les poètes, comme il l’avait fait avec le livre-disque Thomas Hellman chante Rolland Giguère paru en 2012 aux Éditions de l’Hexagone. Sa reprise de la chanson traditionnelle folk américaine 500 miles, tirée de son spectacle Rêves américains se joint merveilleusement bien aux thèmes qui sont ceux de Chiasson, soit le voyage, le vaste territoire et l’américanité; c’est l’un des moments les plus touchants de la soirée.
Au final, le spectacle rappelle que la littérature d’Acadie et d’ailleurs est aussi une chanson, une courtepointe de refrains empruntés ici et là. Et peut-être est-ce là une des beautés du travail de Chiasson, de rappeler que n’importe quelle culture peut survivre avec assez d’efforts et juste ce qu’il faut pour faire une chanson, en avançant perpétuellement sur les routes du langage, une rime, une lettre à la fois. Après tout, on enseigne l’alphabet aux enfants d’abord en chantant, 26 lettres, égrenées à l’infini, pour ne plus jamais oublier…
À propos…
Née à Montréal de parents acadiens, Virginie Daigle possède un Baccalauréat en littérature française de l’Université McGill et non elle ne crève pas de faim, elle se nourrit très bien, merci de vous inquiéter. En ce moment elle hésite entre devenir productrice, journaliste, actrice, poète, actrice-poète, et chanteuse de variétés. Entre temps, elle s’achète beaucoup de livres qu’elle n’a pas encore trouvé le temps de lire.