Daigle, France, Poèmes pour vieux couples, Moncton, Perce-Neige, coll. «Poésie», 2016, 146 p.
Que dire de Poèmes pour vieux couples? C’est une collection de poèmes de France Daigle. Ces derniers, dont l’écriture s’étale sur une quarantaine d’années, se retrouvent publiés sous un même titre. Certains poèmes ont déjà été publiés dans des revues, d’autres sont inédits; certains se suivent, d’autres non; certains respectent une forme fixe, comme le haïku, d’autres sont en vers libre. En dépit de cet ensemble disparate, l’éditeur ne présente pas ce recueil comme une anthologie bien qu’il en possède la principale caractéristique, soit d’être un ensemble de textes choisis. Dans ce cas-ci, le seul point commun des textes est l’auteure.
Malgré cet ensemble éclectique, les poèmes ont tous la caractéristique d’être courts. Le livre est divisé en plusieurs parties numérotées dont une seule bénéficie d’une introduction et d’une explication de l’auteure. Intitulée «Insulaires. Chroniques d’un pays blanc», cette partie est la plus aboutie du recueil. Dans la présentation, Daigle explique qu’il s’agit d’un début de recueil poétique. Dommage que le projet ne se soit pas concrétisé puisque cette collection de poèmes se trouve à être la plus intéressante et la plus travaillée. Les poèmes de cette suite témoignent d’une franchise étonnante qui vient rejoindre le lecteur, entre autres, le poème «La mort publique» : «Je ne crains plus l’ambiguïté / de vos gestes distraits, car je sais / que pour vous avoir une seule fois aperçue, / toutes mes morts seront toujours publiques» (p. 26).
Outre cette suite, les autres contiennent toutes des poèmes ayant des formes et thématiques variées. Comme mentionné plus tôt, la poésie de Daigle prend plusieurs formes dont le haïku, la liste, le paragraphe, des poèmes en prose, des poèmes en vers libres, le refrain qui rappelle le psaume ou le verset, le manifeste et j’en passe. Tout comme les formes, il y a plusieurs thématiques, dont l’amour qui revient souvent sous ces nombreux masques. Le voyage est aussi très présent; le recueil fait référence à plusieurs pays. Dans ces poèmes, la thématique de la femme se mélange souvent à celle des décors et du territoire comme dans la suite «Méditerranéennes» (p. 45-48). Alors que le chiac occupe une place centrale dans ses romans les plus récents, les poèmes utilisent tous et presque exclusivement un registre neutre dénué de particularités régionales. Cependant, malgré la grande variété de formes et de thématiques, j’ai l’impression que le contenu manque de profondeur et chaque partie gagnerait à être développée dans différents recueils. Au mieux, je pense qu’il aurait été préférable de publier une série de petits recueils reprenant chacune des parties.
Le poème éponyme se trouve dans la troisième partie, juste après une tentative de haïku. Tentative, puisque la suite comporte trois haïkus, dont un ne respecte pas la règle, ce que l’auteur souligne humoristiquement : «(ou tant pis pour le haïku)» (p. 39). Les haïkus font une courte apparition au début du recueil pour se voir attribuer leur propre partie à la toute fin ; le dernier chapitre «Sept» est constitué de haïkus tirés du roman Pour sûr (2011).
Pour en revenir au poème éponyme, à la lecture de celui-ci, on se demande pourquoi il a donné son titre au recueil. Le poème lui-même possédant des caractéristiques formelles qui le différencient des autres, il aurait été bien de continuer le recueil dans cette lignée. Pour ce qui semble être une anthologie, mais qui en refuse l’appellation, le titre semble mal choisi. En effet, la thématique du titre ne s’applique qu’à une très petite minorité de poèmes et est de loin, la moins innovante et sentie du recueil. C’est-à-dire que le lecteur s’attaquant à un livre et s’attendant à une œuvre complète centrée autour de cette thématique sera déçu de voir la différence de qualité entre le poème éponyme et le recueil entier. Cependant, si le lecteur s’attend à une anthologie de l’œuvre daiglienne, il abordera le recueil différemment et portera même attention à l’évolution des poèmes de l’auteure. Ainsi, même s’il s’agit d’une œuvre disparate, le recueil se lit très bien par petits bouts, un poème par soir avant d’aller se coucher.
En effet, l’écriture poétique de Daigle se prête bien à une lecture de chevet. Son style est descriptif et direct sans toutefois être dénué de réflexion. On peut lire le même poème chaque jour et y trouver son compte. L’auteure arrive à décrire le quotidien et les lieux qu’elle investit de façon à ce qu’ils nous envahissent aussi. Par exemple, «La racine du pain» traite d’un sujet un peu banal, du pain quotidien, mais le poème arrive tout de même à capter notre attention de par son caractère introspectif : «Nous remonterons jusqu’à la racine du pain, le cours de nos journées immobiles de structure à en perdre quoi faire» (p. 73). Daigle arrive à donner du sens à quelque chose d’anodin et à poétiser le train-train de la vie quotidienne.
Pour terminer, le recueil forme un ensemble hétéroclite qui se prête bien à une lecture intermittente. Ce n’est pas un recueil que l’on dévore d’un seul coup, mais chaque poème du recueil mérite que l’on s’y attarde. Aussi, Poèmes pour vieux couples plaira plus aux amateurs de Daigle qu’aux lecteurs de poésie. Mais bon, il en demeure qu’il s’agit d’un recueil à part entière qui devrait avoir un potentiel indépendamment de l’œuvre romanesque de France Daigle.
À propos…
Geneviève Bouchard a récemment terminé sa maîtrise profil création littéraire à l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse principalement à l’écriture du corps. Possédant une formation en danse et en théâtre, la poésie-performance et l’interdisciplinarité de la poésie font aussi partie de ses intérêts.