Louis Riel : faux prophète de la diversité – Jean-Pierre Dubé

Les statues de Louis Riel sont nombreuses et reflètent les diverses facettes de sa vie tumultueuse. Mais comme le veut le révisionnisme courant qui s’exprime souvent par la destruction d’icônes, on peut se demander lesquelles échapperont aux grues et pics: celles du chef d’État, du rebelle ardent ou du prophète délirant?

Le Canada demeure déchiré sur la véritable identité et l’œuvre du chef métis. Ce clivage se reflète dans les traités d’histoire et les œuvres d’art qu’il a inspirés. En cette année du 150e anniversaire de la Confédération, le Canadian Opera Company relance le débat avec une nouvelle production de l’opéra Louis Riel, de Harry Somers, créée en 1967 pour marquer le centenaire du pays.

L’action du spectacle à grand déploiement englobe la résistance de 1870 à la Rivière-Rouge et celle de 1885 prenant fin à Batoche, dans le territoire qui allait devenir la Saskatchewan. Les mouvements menés par Riel révèlent les tensions entre les ultramontains québécois et les orangistes ontariens pour le contrôle du Nord-Ouest. L’opéra exprime en plein milieu de la Révolution tranquille la perception canadienne de ces conflits armés, peu avant le retour de violences après un siècle, avec les meurtres du Front de libération du Québec. Mais une dimension des affrontements du 19e siècle était cachée dans la version originale : le rôle des Premières nations. Les producteurs l’ont compris et, dans la nouvelle version à l’affiche à Toronto, Ottawa et Québec, elles sont présentes.

C’est ainsi que Le Devoir du 29 avril titrait : «L’opéra Louis Riel d’Harry Somers redonne une voix aux autochtones». On peut comprendre que la production veuille leur donner une voix, étant donné leur fulgurant retour sur la scène politique depuis quelques décennies. L’opéra ajoute les autochtones comme troisième groupe, dans le rôle d’un chœur silencieux. Le résultat est remarquable : le spectateur devient le témoin du drame à travers les yeux des autochtones dépossédés.

Mais où sont les Métis? Sont-ils disparus ou récupérés par les autres groupes? La nouvelle version ouvre la possibilité de considérer les Métis comme constituant le ciment de la nation canadienne et leur chef comme un prophète de la diversité. Mais qu’en était-il vraiment? Dans les faits, Riel n’était pas sur la même longueur d’ondes que les Métis à la Rivière-Rouge ni à Batoche. Pourquoi l’ont-ils suivi?

Au milieu du 19e siècle, la Nation métisse constituait la tribu autochtone la plus influente et prospère du Nord-Ouest. Ils patrouillaient les plaines et défendaient face à Londres une approche territoriale aux droits autochtones. Mais quand Riel est devenu leur chef en 1869, la revendication s’est recentrée autour des droits linguistiques et religieux.

L’ancêtre cri d’Estelle Shook, citée dans l’article du Devoir, avait trouvé radicale l’approche du chef métis. Il n’était pas le seul. De nombreux Métis partageaient cet avis et ce n’est qu’à la suite de réunions publiques très agitées que le clergé franco-catholique a imposé Riel comme porte-parole de la Rivière-Rouge. Son principal opposant durant la mobilisation de 1869 était le Métis William Dease[1], traiteur polyglotte d’origine irlandaise et éleveur prospère[2].

Cette statue d’un Louis Riel nu et tourmenté de Marcien LeMay a été dévoilée devant le Palais législatif de Winnipeg lors du centenaire du Manitoba en 1970, avant d’être retirée et entreposée 20 ans plus tard à la suite de nombreuses critiques. Elle a été remplacée en 1996 par une version classique du chef en homme d’État alors que l’œuvre de LeMay trouvait refuge devant l’Université de Saint-Boniface. (Photo J.P.D.).

Le jeune Riel qui affrontait le vétéran Dease venait de revenir à la Rivière-Rouge après dix ans d’absence à Montréal, meurtri par des échecs (études, vocation et fiançailles) et il avait perdu ses liens organiques avec la colonie. Son ascension rapide à la tête des Métis est l’œuvre de prêtres ultramontains déterminés de voir émerger dans l’Ouest une province franco-catholique. Selon eux, Riel était un authentique fils du pays qui avait l’avantage d’avoir étudié chez les sulpiciens nationalistes.

Plus tard, le chef précisait sa volonté de voir les Métis adopter «une plus grande somme de mœurs, des traditions canadiennes-françaises de telle sorte que tout en nous appelant le peuple métis, nous soyons de fait, sans effort et de la meilleure grâce du monde, identifiés à la province de Québec par l’éducation[3]».

Déterminé à fonder une province, le Gouvernement provisoire que présidait Riel a entamé des négociations à partir d’une liste de droits comprenant le bilinguisme législatif et judiciaire. Ça n’a pas empêché l’autorité de mener un procès en français pour condamner un unilingue anglais. L’exécution de Thomas Scott a fracturé le pays. La rupture s’est aggravée 15 ans plus tard avec la pendaison de Louis Riel. Les anglo-protestants ont été les grands vainqueurs des deux conflits. Les autres populations se sont retrouvées en marge et isolées les unes des autres : les Métis pourchassés et réfugiés dans l’Ouest, les autochtones enfermés dans les réserves et les écoles résidentielles, les migrants du Québec persécutés et privés de leurs droits.

L’affirmation courante des francophones et des Métis de l’Ouest à l’effet que la vision de Riel fût ouverte à la diversité est une tentative de se donner une place de choix dans la grande famille canadienne du multiculturalisme. Elle ressort de l’urgence de rehausser leur statut en se situant dans le discours sur l’inclusion.

Cette approche est fondée historiquement sur l’idée du chef d’accueillir tous les réfugiés d’Amérique et d’Europe dans le Nord-Ouest. Durant son exil américain entre les deux résistances, Riel a fomenté une suite de campagnes militaires pour reprendre le territoire. Il a demandé à répétition l’aide de l’armée américaine, de bandes métisses et de tribus indiennes. Ses échecs l’ont mené à rêver de peupler ce vaste sanctuaire de tous les désenchantés du monde. C’était au fond un souverain autoproclamé en quête d’un peuple, qu’importe lequel.

Un article du Globe and Mail du 2 mai sur l’opéra de Somers conclut ainsi : «Louis Riel représente non seulement ce qui nous unit, mais aussi ce qui nous divise, note le directeur artistique Peter Hinton. Cette histoire n’appartient pas au passé, mais à ce que nous vivons aujourd’hui[4]

La conversation se poursuit sur la grande fracture du pays, qui demeure entière. Mais il n’est pas utile de réhabiliter Riel en le présentant comme un précurseur du Canada pluriel. Les tribunaux et les gouvernements ont reconnu que la véritable communauté des Métis est autochtone. Leur chef se situe toutefois plus près du colonisateur. Le héros franco-métis appartient davantage au nationalisme exclusif du passé qu’à la société que nous avons construite, s’ouvrant à tous les genres, langues, cultures et couleurs de l’arc-en-ciel. La diversité n’est pas un rêve d’avenir : c’est la réalité à laquelle résiste l’homme blanc mais qui nous interpelle de façon puissante.

S’il faut démolir quelques mythes et quelques statues, ainsi soit-il.

[1] William Dease est l’arrière grand-oncle de l’auteur du présent texte.

[2] Ens, Gerhard J., «Prologue to the Red River Resistance : Premiminal Politics ad the Triumph of Riel». Journal of the Canadian Historical Society, Vol. 5, No. 1, 1994.

[3] Archives Archevêché de Saint-Boniface, «Louis Riel à Ritchot», 5 octobre 1874.

[4] Traduction libre: «“Louis Riel represents not only what unifies us, but what divides us,” says Hinton. “This isn’t a story that belongs to the past, this history lives on today.”».

À propos…

Jean-Pierre Dubé est auteur de romans, pièces de théâtre, scénarios et de nouvelles (www.jpqr.ca). Le natif du Manitoba fait carrière dans la presse écrite et les communications, entre autres à titre de journaliste indépendant et de pigiste au service de nouvelles nationales de Francopresse.

Une réponse à “Louis Riel : faux prophète de la diversité – Jean-Pierre Dubé

  1. Many atrocities were committed against the aboriginal peoples in the name of the capitalistic system that was imposed on us with the armed economic expansion of the British Empire. it is causing the systematic destruction of our environment and peoples, while trying to sell a saintly Canadian identity anchored in Anglo protestant values. Their establishment is solidly anchored into a personal profit mode at the expense of the masses. Be Canadian so we can dictate to you all equally.
    Is identity based on where we live or on our personal historical heritage. The answer is both,the first is for taxing purposes, the second is heartfelt based on the knowledge of ones historical heritage. Canada would like all traces of cultural identity to disappear or merge into a single identity. The problem is that too many of us simply do not poses an English world view. Of all the peoples who form the Canadian mosaic today , only one is seen by the others as having been historically oppressive.

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