Bossé, Paul, Les démondeurs, Moncton, Éditions Perce-Neige, coll. «Poésie», 2016, 80 p.
Comment qualifier Les démondeurs, cinquième recueil de Paul Bossé? Fidèle à lui-même, le poète de Moncton décrit avec précision et sarcasme les affres du quotidien en s’attaquant cette fois-ci aux questions environnementales. En effet, Les démondeurs est un recueil où se côtoient des «hippies artistes écolos» (p. 9) et des citadins qui ont la «maniaqu[e] mani[e] de mutiler [leur] verdure» (p. 11). Le titre du recueil en révèle d’ailleurs beaucoup plus qu’il n’y paraît : en faisant référence aux émondeurs, ces gens qui taillent, coupent et entretiennent les arbres dans un but esthétique, Bossé critique la société dans laquelle il vit, un monde où
le seul type de pousse qui semble pouvoir germer
dans notre environnement urbain postmillénaire
c’est l’inévitable champignon au nom latin
condominium (p. 49).
Alors que les poètes de Moncton faisaient autrefois l’apologie de la ville (et surtout de la leur), Bossé critique ici les effets néfastes de l’étalement urbain et de la surconsommation dans son milieu. Maintenant dans la quarantaine – comme le décrit à merveille le poème «39» (p. 30) –, le poète a bien observé les changements dans son Moncton natal, une ville où, peu à peu, tout finit par être remplacé par «un nouveau Sobey’s» ou un «strip mall anodin avec son Starbucks pis son drive-thru» (p. 57). Mélangeant à la fois nostalgie et critique acerbe, Bossé confie ses inquiétudes dans «Bob le démolisseur» :
mon Moncton mon milieu mon passé
brique par brique disparait
ville de l’instant ville du moment
postmodernisme à son plus inexorable
chaque lieu est un espace transitoire
qui sera annihilé sous peu (p. 59).
Mais la critique ne s’arrête pas à l’espace urbain de Moncton. Tout y est matière à examen sarcastique, ou presque : la politique, l’éducation, la pollution… Passant du très universel au très localisant, les poèmes de Bossé ont en commun la dénonciation d’une société qui ne semble pas réaliser qu’il faut agir et non réagir, qu’il faut se réveiller un peu et ne pas laisser l’énumération des problèmes cités par Bossé continuer de s’allonger.
La critique laisse parfois aussi la place à l’inquiétude et à l’angoisse, en particulier dans la série de poèmes intitulée «Les monstres» (p. 63-70). Cette série, peut-être la section du recueil la plus axée sur l’actualité, traite de l’omniprésence de la violence dans les médias, particulièrement au cinéma, «ce grand écran de nos peurs inavouées» (p. 63). C’est dans cette série que Bossé nous prévient : «c’est lorsqu’ils [les monstres] quittent l’écran que le cauchemar se réveille» (p. 64).
En exposant ainsi les dessous de la vie monctonienne ainsi que divers problèmes sociaux plus universels, Bossé dresse un portrait qui pousse son lecteur à la réflexion, tout en le faisant rire (jaune, certes, mais quand même). Impossible de ne pas mentionner les quelques passages se moquant du «Nouveau-Brunswick la province drive-thru» (p. 42), en particulier le poème «Être… ici on le peut» où les initiales provinciales NB sont décrites «comme une note de bas de page / un détail explicatif / que personne prend le temps de lire» (p. 42).
Les démondeurs, recueil complètement désabusé et sans espoir? Pas du tout! L’ironie dans le ton est peut-être une des seules pointes d’espoir du recueil, mais c’est justement en nous permettant de rire de nos contradictions que Paul Bossé réussit à livrer une vision de Moncton et du monde fort originale!
À propos…
Véronique Arseneau est originaire de Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Passionnée de littérature franco-canadienne et de tout ce qui touche de près ou de loin à l’Acadie, elle trippe sur Les Hay Babies, la râpure au poulet et les roadtrips. Elle est étudiante à la maîtrise en lettres françaises à l’Université d’Ottawa.