Rodrigue Paulin et le pôle de l’architecture – Élisabeth Marier

Rodrigue Paulin [artiste], Encore une fois / prise 2, Galerie Bernard-Jean, Caraquet, 11 novembre au 22 janvier 2017.

En décembre 2016 et jusqu’au 22 janvier 2017, à la Galerie Bernard-Jean du Centre culturel de Caraquet, on pouvait découvrir la recherche intuitive et formelle du travail expérimental de Rodrigue Paulin. C’est avec le regard de l’architecte et l’empreinte sensible de l’artiste peintre que Paulin poursuit sa démarche en peinture et nous livre ces quelques séries d’œuvres témoignant de la dimension spatiale de sa pratique picturale.

L’exposition commence par des études et plus particulièrement par une première série de tableaux aux formats identiques et aux matières contrastantes : le bois naturel, le noir en aplat, le fini métallique. Dans chaque tableau une forme abstraite est posée sur un fond, y flottant ou y traçant une trajectoire. Cette série de propositions disparates est suivie sur le même mur d’une petite oeuvre solo, «Souvenir bleu de Kandinski», là où forme et fond fonctionnent véritablement de concert. Cette petite oeuvre apporte un point final à la suite décousue qui la précède; elle amène le regardeur à considérer la pertinence de construire la composition de l’œuvre en tenant compte de l’aire du support.

Un autre aspect de la dimension spatiale dans la peinture de Paulin concerne la portée courte ou longue du regard. Cette dimension surgit dans cette autre série de tableaux où le rouge prédomine, un rouge flamme qui s’arrête précisément sur une ligne frontière, avant le blanc du pourtour. Notre regard semble se poser au-dessus de cette nappe rouge où baigne un objet architectural, tel un bâtiment vu du haut dont on semble s’éloigner ou se rapprocher. En effet, groupées par deux en un petit et un grand format, ces œuvres posées côte à côte proposent une vue rapprochée dans le petit format et plus vaste dans le grand format, une vue élargie par l’éloignement du point d’observation. On se sent entrer dans une autre phase du processus de création de l’architecte-peintre qui nous partage l’expérience du déplacement dans l’espace, à vol d’oiseau, un peu comme si, en s’éloignant de la terre (ou du désert tel que les titres de ces oeuvres le suggèrent, comme «Désert rouge où le soleil finit»), le regardeur constatait la progression entre ombre et lumière, entre pleins et vide, entre rouge et blanc.

Deux séries de petits tableaux semblent raconter chacune leur histoire. Une suite de six peintures aborde le lieu tel un paysage immense dans lequel s’insère une construction comme un bijou sur la peau : des surfaces animées, une pointe comme un bec, un auvent comme une aile. Ce travail, conjugué différemment dans «Maisonnette vu de Caraquet» ou «Sur la plage de l’Église», nous parle de l’habitat implanté dans un environnement naturel, aperçu au loin, quand la vue est panoramique. Dans l’autre série, l’artiste traite des sensations mouvantes associées aux caractéristiques naturelles du lieu, évoquant une baleine aperçue en bord de mer, comme une charge émotive qui vient influencer l’approche formelle. De ces sept petits tableaux, dont «La baleine rouge» et «Le harpon», tous évoquent la vision furtive et indistincte d’une masse en mouvement faisant corps et contraste avec le fond lumineux d’où elle surgit.

Ces séries d’œuvres regroupées par sujets abordent l’intégration à l’espace selon le point de vue de l’artiste en contexte de travail et pour l’oeil attentif du regardeur. Elles montrent aussi la préoccupation du peintre quant à l’intégration du sujet à l’espace du tableau. Entre abstraction et évocation de paysage, l’artiste traite de la couleur-volume, de la texture-matière, de la lumière-contraste qu’elle impose tout comme de la place privilégiée que l’architecture offre à ceux qui s’en préoccupent. Si les peintures peuvent fonctionner visuellement indépendamment les unes des autres, leur juxtaposition – comme sur le carton d’invitation à visiter l’exposition – apporte un intérêt supplémentaire.

Cinq tableaux dans lesquels l’artiste délaisse le point de vue architectural sont posés à part. Cette recherche parallèle en tons pastel pourrait faire l’objet d’un tout autre compte-rendu!

Cette exposition à découvrir par tous était présentée à la Galerie Bernard-Jean du Centre culturel de Caraquet, une galerie gérée par le centre d’artistes La Constellation bleue qui est sorti de sa coquille en 2016 pour prendre son envol au printemps 2017, tel un grand oiseau qui voit loin et déploie ses ailes dans le nord-est du Nouveau-Brunswick.

À propos…

Élisabeth Marier détient un baccalauréat en arts plastiques de l’Université Laval et un diplôme d’études supérieures spécialisées en gestion des organismes culturels de HEC Montréal. Aussi artiste, sa pratique est essentiellement en sculpture. Depuis 2008 au Nouveau-Brunswick, elle s’implique à Caraquet contribuant, entre autres, à l’implantation d’un nouveau centre d’artistes autogéré. L’un des mandats de La Constellation bleue, dont elle assure la présidence, est de favoriser le développement de compétences en écriture critique: une approche en médiation favorisant l’émulation.

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