St-Pierre, Christiane, L’assassin avait toujours faim, Moncton, Perce-Neige, coll. «Prose», 2016, 378 p.
L’assassin avait toujours faim : si déjà, le titre fade de ce roman policier ou encore sa quatrième de couverture qui se veut sensationnaliste n’ont pas repoussé le lecteur, c’est possiblement parce que l’image de la page couverture, elle, est assez mystérieuse pour capter l’attention. L’atmosphère sombre et enneigée, la fourgonnette louche ainsi que le petit restaurant : autant d’éléments qui éveillent l’imagination de l’éventuel lecteur et évoquent l’ambiance parfaite pour un meurtre énigmatique et plein de suspense.
Sauf que voilà, le roman lui-même est plutôt dépourvu de cette caractéristique essentielle à tout bon roman policier. C’est-à-dire que l’on devine déjà l’assassin avant même d’apprendre quel meurtre il a commis et, à voir la personnalité, la technique et le flair impeccables de Mama, la policière chargée de l’enquête, on soupçonne que la situation sera bien vite réglée. Christiane St-Pierre, l’écrivaine, ne laisse donc pas même un arrière-goût de suspense pour tenir son lecteur en haleine : ce plaisir du roman policier est à peine goûté avec la page couverture qu’il est aussitôt enlevé, dès le premier chapitre du livre.
Le style, s’il avait été bien édité, serait présentable. Toutefois, ici, les pores sont «ouvertes» (p. 115) et non ouverts. En outre, on ne tire pas les vers du nez de quelqu’un : on en tire plutôt des «verres» (p. 105). De plus, les dialogues contiennent des phrases toutes faites. Ainsi des personnages variés qui emploient des expressions tout à fait réalistes – telles «ma sœur […] a m’croira pas» (p.77), «c’est trippant» (p. 187), «[u]ne couple de minute» (p. 275) ou «[p]as de différence» (p. 311) – se servent également de formules soutenues plus étonnantes, entre autres : «les résultats escomptés» (p. 78), «Ce serait long et fastidieux pour moi» (p. 161), «Il fallait que je mette un terme à cette aventure» (p. 170), «je n’accepte pas que l’on touche» (p. 276 – c’est moi qui souligne) ou encore, «la violence qui règne sur notre territoire» (p. 319). Il va sans dire que l’effet de réalisme se dissipe peu à peu…
Les personnages ne sont guère plus prometteurs. Dans la panoplie de noms qui sont présentés au fil du roman, on trouve un Luc, une Lucette et une Lucienne, un Julien et une Julie, de même qu’un François et une Françoise. C’est curieux… Un manque d’inspiration? Peut-être, mais qui parviendra à passer inaperçu malgré tout étant donné que ces noms se mêlent à une longue liste de personnages. Il y a parmi eux Barbie, une jolie journaliste qui mise toute son attention sur son boulot et les hommes. Ensuite, Liliane, l’exemple type de la maîtresse, exempte de véritable personnalité et dépendante affective de son amant, qui servira de figure de victime. Il ne faudrait pas oublier, bien sûr, Jean-Guy, le prof de gym macho stéréotypé, séducteur et pas très intelligent. Ces clichés repousseront bien des lecteurs… Au mieux, ils en feront peut-être rire quelques-uns?
Mariella Marconi, ou Mama, le personnage central avait du potentiel. C’est certainement la figure que St-Pierre a le plus développée, côté caractère. Or, là encore, le lecteur attentif ne sera pas satisfait. Mama n’est pas entièrement crédible que ce soit par son manque de constance – à la page 54, elle «ne croi[t] pas aux coïncidences», mais ensuite elle en devient une adepte en affirmant qu’un élément du mystère est un «[c]oncours de circonstances» qui «ne peut être que le fruit du hasard, rien d’autre» (p. 182 et 183) – ou par son passé qui ne colle pas à son présent (si Mama paraît être sans défaut, ne se laisse jamais berner et est dotée d’un flair infaillible, elle a pourtant manqué de discernement en épousant un homme menteur, buveur, joueur et infidèle).
Le roman contient quelques perles d’humour (le couple composé de Chantal/Roger est particulièrement drôle). Cependant, celles-ci se perdent dans la narration puisque St-Pierre fait usage d’une seconde voix narrative étrange qui est paradoxalement mise en italique et placée entre parenthèses. C’est comme si, sans savoir s’il fallait la rendre discrète ou la mettre en relief, on avait simplement opté pour les deux. En effet, une espèce de narration secondaire suit constamment le lecteur en lui cassant les oreilles avec des commentaires ironiques ou des ajouts inutiles. Ce pourrait être drôle, sauf qu’on en fait un usage exagéré qui devient exaspérant.
Non seulement le texte devient-il trop assaisonné de commentaires qui, entre autres, parlent de l’auteure à la troisième personne ou alors alternent entre les premières personnes du singulier et du pluriel, mais cette voix narrative semble croire que son lecteur n’est pas très intelligent puisqu’elle le prend par la main et lui explique inutilement bien des détails, par exemple : «[a]lors qu’[un personnage] cuvait son vin (manière de dire qu’il dessoulait)» (p. 297). Cette narration secondaire s’assure également que tout ce qui a été montré et non dit par la narration principale soit ensuite dit et même accentué. Le lecteur ne peut alors pas contribuer à résoudre l’énigme, étant donné qu’on ne lui donne pas l’occasion de déduire quoi que ce soit. Cette voix qui le suit du début à la fin du roman achèvera probablement de faire monter un crescendo de désintérêt chez le lecteur. Le potentiel de l’histoire et de l’humour se voient, somme toute, perdus dans un trop-plein de cette voix narrative énervante. Au final, si «l’assassin a toujours faim» et mange beaucoup, le lecteur, lui, n’avale pas l’histoire et reste sur sa faim.
À propos…
Catherine Mongenais est une Franco-Ontarienne du Nord qui, plus précisément, a grandi à Kapuskasing. Elle termine cette année sa thèse de maîtrise en création littéraire à l’Université d’Ottawa et rêve de faire publier un jour ses romans. Il va sans dire qu’elle aime la lecture et l’écriture passionnément, à la folie (et jamais pas du tout).
Vous êtes très critique, madame,
une critique qui n’en finit plus et qui détruit au lieu de construire….quand vous aurez publié, peut-étre serez-vous en mesure de critiquer et celles-ci seront nuancées, donc plus acceptables. L’auteure qui s’est vue décerner le prix France-Acadie, ne mérite pas des commentaires aussi dûrs. Retournez à votre pupitre.
Merci M. Gosselin! C’est gentil! 🙂
Pour faire un jeu de mots douteux, il s’agit d’une critique assassine!!! Plus sérieusement, je veux féliciter l’auteure d’avoir écrit un compte rendu critique bien construit. Exemplaire en fait. Je ne prononce pas sur le livre ne n’ayant pas lu. Seule réserve : dommage de ne pas avoir trouvé de titre au compte rendu. Au lieu de bêtement répéter le titre du roman, j’en suggère un : Mal au ventre 🙂
Merci pour tes encouragements Benoit! Il y en a un! C’est « Le lecteur aussi a toujours faim ».