Accent bâti, accent bâtard – Sarah MacNeil

Scène 1 : Il y a quelques années, j’ai fêté le Nouvel An avec une famille française. On était regroupé autour de la télé afin de regarder l’émission spéciale de fin de l’année,  qui mettait en vedette le sujet du grand fétiche qu’ont les Français pour le Canada : Céline Dion. Étant donné que mes Français bien-aimés avaient à cette occasion une vraie Canadienne dans la salle (et non juste à l’écran), des blagues entourant «l’accent canadien» ressortaient inévitablement. Mais des blagues comme ça, j’en avais l’habitude, et je pouvais riposter avec mes propres zingers. Tout allait bien dans notre rencontre des francophonies.

Et donc, quand ma mère d’accueil me sort : «Non, mais sérieux, vous ne parlez pas de la même façon? Je n’entends pas la différence», je pouffe de rire. Céline Dion, originaire du Québec central; moi-même, originaire du fin fond des bois en Nouvelle-Écosse (Pomquet : où la voiture de Google Street View n’est pas encore passée; où la ville la plus proche est dotée du nom Antigo-nowhere; où on est toujours nostalgique de notre vieux terrain de jeu avec comme attraction principale des gros pneus de tracteurs usés). J’ai donc répondu d’un ton taquin : «Oui c’est ça, tout le monde au Canada a le même accent, comme toi et un Marseillais». Elle me fixe alors d’un œil très sérieux et me dit : «Les Marseillais, c’est une autre histoire, mais moi je n’ai pas d’accent».

Scène 2 : En sixième année, je me suis rendue à l’École du Carrefour à Halifax avec mon père pour participer aux finales provinciales de *drum roll please* la Dictée PGL (vous vous en souvenez peut-être de ça, mes chers camarades du Conseil Scolaire Acadien Provincial?). C’était bien avant mes jours au Conseil jeunesse provincial et je n’avais toujours pas participé aux Jeux de l’Acadie, donc le concept de la francophonie néo-écossaise m’échappait encore. De rentrer dans une école à Halifax et d’entendre d’autre monde de mon âge parler en français, c’était quelque chose. Pour le grand événement, nos parents étaient assis dans un coin de la salle pour nous observer en silence. Nous, les élèves, étions assis à des pupitres aménagés style examen, tous très attentifs aux paroles prononcées par la gentille madame, des paroles qu’on devait ensuite tenter de reproduire en forme écrite sur nos feuilles lignées. À cette époque, c’était tout pas mal arbitraire pour moi – ça finit-tu en «s»? En «t»? C’est-tu «leur» ou «leurs»? «A» avec ou sans accent?

But I digress. Le vrai punchline de l’histoire vient à la fin de tout ce stress-là, lorsque nos parents ont pu mettre fin à leur jeu de graveyard et discuter entre eux. Pendant que je me dégourdissais les jambes un peu, j’ai entendu une mère demander à mon père : «So, you don’t speak any French ?». Ce à quoi mon père, god love him, a répondu, avec les épaules dans l’air et une étincelle dans l’œil : «Jou pou parler fran-say, may mon ak-sent est terri-bleu». Son français, il l’a appris par l’entremise de mes devoirs et mes tests de vocabulaire.

Ce n’est pas ma dictée qu’a remporté le prix.

accent

Scène 3 : À la petite école (sens littéral et sens figuré), nos enseignants viennent de pas loin. L’accent qui règne parmi les grandes personnes, c’est l’accent «d’ici». Pourtant, nous, les élèves, ne réussissons pas à les imiter. Nos cerveaux absorbent tout ce qui rentre par les oreilles, et par la bouche en ressort l’accent Pomquet-ois de notre génération : des traces du français dans notre anglais, des traces de l’anglais dans notre français.

Montage intermédiaire : Il y a dix ans que ça commence – je me fais des amis qui viennent de Chéticamp; je commence à remplacer mes «cu» par des «ch». Je me fais des amis de la Baie; je lance un «chépoint» de temps à autre. Je passe un an en France; je roule un peu moins mes «r», mes mots deviennent plus serrés. Je passe du temps à Moncton; je recommence à rouler mes «r», mes mots se lâchent lousse.

Scène 4 : «Que ton accent est joli! On dirait que ça rappelle le rythme de la mer».

Scène 5 : «Euh, c’est que, bon, je dois tellement concentrer pour comprendre ce que tu dis…»

Scène 6 : En fait, ce n’est pas une scène, c’est plus une compilation – une compilation de tous les endroits desquels on m’a déjà pensé «originaire» depuis que je me suis aventurée dans un monde francophone plus large. Choisissez la musique d’arrière-fond que vous désirez et faites passer le nom des lieux suivants un à la fois en slow-motion pour avoir le plein effet : Chéticamp, l’Isle Madame, la Baie Sainte-Marie, Moncton, Dieppe, la Péninsule acadienne, l’Île-du-Prince-Édouard, le Québec, Ottawa, Winnipeg, l’Italie, la Suisse. Si vous avez pris le temps d’observer ce que ces régions évoquent pour vous, l’accent en est-il un aspect qui ressort?

Pomquet, vous l’aurez remarqué, ne figure pas dans la liste.

Mon accent, il en a connu des changements au cours des années; il appartient ni à un lieu géographique, ni à un arbre généalogique. Je n’en ai pas encore trouvé qui ressemble exactement au mien et, vu qu’on parle franchement ici, je vous avoue que ça peut être isolant. Heureusement, l’isolement a fait ressortir un mantra qui aide à persévérer : mon accent bâtard, c’est moi qui l’ai bâti.

Et toi, toi pour qui il n’y aura jamais une voix dans laquelle tu te reconnaitras, toi pour qui il est difficile de te façonner une identité francophone, écoute bien : que ton accent soit mélodieux, que ton accent soit saccadé, que ton accent parle de l’héritage anglais dont tu as été entouré, que ton accent soit adopté de la ville où tu vis présentement : you built it, you own it. On peut être fier d’où on vient sans qu’on en dise implicitement autant par les premières syllabes qui sortent de notre bouche. Ce ne sont pas les différences en formation de sons qui t’empêcheront d’avoir une appartenance à ta communauté.

Et si jamais on t’emmerde pour un accent qui n’est pas aussi soi-disant pur qu’un autre, tu fixes ton ignorant dans les yeux, à la française, et tu répliques : «Non, mais tu rigoles? Je n’ai pas d’accent, moi».

À propos…

macneil-sarah

Sarah (Mac) est originaire de Pomquet en Nouvelle-Écosse. Elle a pendant longtemps été très engagée au sein du réseau jeunesse francophone de sa province, et elle s’intéresse depuis toujours à tout ce qui est langues et identité. Elle habite maintenant à Ottawa, où elle vient d’entamer sa maîtrise en traduction littéraire.

5 réponses à “Accent bâti, accent bâtard – Sarah MacNeil

  1. Nous somme tous des proudites de nos enviroments evolutionaire..In PEI the Francophone finally have schools but they are also used to teach French immersion. this exposure to anglophone friends is assimilating them at a rapid pace. If this strategy is intentional it is disturbing but is a failure because even though they will use English in their daily lives , it does not deprive Acadians of their historical heritage. Our identity is much more than a language it is a state of perpetual pride in who we are and what our ancestors went through to survive. I may not speak as perfectly as some would like me to, in either French or English, but I can tell you that when I’m in Montreal the people recognize that I am from the Gaspésie, and that makes me proud. I am part of a recognizable people. Acadians evolved from a mixture of cultures and are destined to continue to evolve as a multicultural people. Our ancestors adopted the French language simply because it was always the dominant culture, it was a completely natural evolutionary event. Americanised or Anglicised Acadians are just as proud of their roots as those who evolved within Francophone communities. We consider ourselves to be direct descendants of the survivors of a genocide. By the way Scottish and Irish people were also aggressed by the British Empire.
    andre

    • Âllo André!

      I completely agree that language is far from being the only determining factor in our cultural identity, and I’m glad it doesn’t seem like a source of contention in your life. As you say, americanized and anglicised Acadians are not lesser in any way.

      The problem I’ve encountered in this respect is that I don’t technically have any Acadian/French roots, and I am in fact a product of both the « aggressed » Scots and the « aggressing » British. My francophone identity only emerged by chance, because my family moved to a small Acadian village and I gradually became a part of the community on my own terms.

      Everyone’s experience is different, and this article is simple a small reflexion on my own. Thanks for sharing your thoughts!

      Sarah

      • Their are many Acadian communities in America. Yes I think anyone can feel Acadian in their heart for any legitimate reason. All Acadians were at some point in time welcomed into their communities. My personal ancestry is based on genetics and Acadian historical heritage. I share their historical origins. Their were only 58 French women and as many Migamagi and Maliseet women that make up all of the Acadians ancestors. Their nevertheless is a difference between a people and a community. We are a people forcibly divided and obliged to evolve apart, if we forget our Historical heritage we disappear.

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