Je m’ennuie de Josée Yvon – Benoit Doyon-Gosselin

Thomas, Joannie. Quatre pattes Catherine, Moncton, Éditions Perce-Neige, coll. «Poésie / Rafale», 2016, 66 p.

La collection «Poésie / Rafale» est relativement nouvelle chez Perce-Neige. Dirigée par le poète Jonathan Roy, qui avait fait une excellente première impression avec son Apprendre à tomber (2012), la collection joue le rôle qu’occupait la maison d’édition Perce-Neige à ses débuts : publier un premier recueil d’un nouvel auteur. On pourrait également ajouter que les textes de cette collection proposent une poésie coup-de-poing, plus sale, plus trash même. À date, quatre titres sont parus au rythme d’un par année : Prendre ma vie en main de MC June (2013), le très moyen Castro sur l’autre ligne de Louis Grant (2014), le très bon Sous la boucane du moulin de Sébastien Bérubé (2015) et enfin Quatre pattes Catherine de Joannie Thomas (2016). Ailleurs dans Astheure, Mathieu Simard proposait une belle critique des deux premiers recueils dans laquelle il parlait d’une poésie engagée. On serait tenté d’utiliser le même adjectif pour la première offrande de Thomas avec un bémol : Quatre pattes Catherine est un recueil engagé, mais pas engageant.

quatre-pattes

Crédit photo : Éditions Perce-Neige.

Au départ, le titre de recueil surprend surtout pour quelqu’un qui, dans sa jeunesse, utilisait l’expression «Quatre pattes» dans le sens de mettre un véhicule sur la fonction quatre roues motrices. Ici l’expression est plus viscérale dans le sens de «Enweille, mets-toi à quatre pattes Catherine». Une fois la surprise passée, le lecteur découvre que la proposition poétique de Thomas repose sur un personnage féminin, la Catherine en question, qui assume sans problème sa sexualité légère (au diable l’euphémisme) débridée. Catherine vit au rythme des rencontres d’un soir, de la baise du moment, d’une déresponsabilisation totale. La langue est crue, parfois vulgaire, mais permet de dire le corps tel qu’il est, tel qu’il ressent. Le personnage principal côtoie le monde des bars, alors que les amies sont des rivales et le fuckfriend notre seule rédemption.

Le recueil offre parfois de magnifiques vers qui témoignent d’un certain sens de l’image chez la nouvelle auteure :

Je m’écrase
en fœtus dans mon lit
aux creux des couvertures
Je veux être au chaud
dans le sang de ma mère
Je m’en fous même si je fitte pus
même si je lui fais exploser la vulve
Rentrez-moi de nouveau
Dans ce petit monde-là
où y a juste les battements du cœur
qui comptent
Les siens (p. 44)

Le problème est que pour un poème comme celui-ci, on en retrouve cinq qui tombent à plat, comme dans le poème «J’ai plusieurs tactiques» alors que la chute fait mal (le jeu de mots est voulu !) : «Un plus un égale ton pénis / dans ma bouche» (p. 25).

Malgré cette sexualité libre et omniprésente, on sent que le personnage de Catherine souhaite autre chose. Les derniers poèmes réfléchissent sur le désespoir et les espoirs de cette jeune femme qui se cherche. Pourtant, la fin du recueil me laisse perplexe avec sa philosophie de taverne à trois heures du matin : «La vie c’est comme ça / La vie ça crée des étrangers / qui se sont fourrés» (p. 65). La vie est peut-être comme ça, mais la poésie, elle, pourrait être plus que ça.

Les questions du désir, de la volupté, de l’amour charnel, de la jalousie parsèment le recueil. Joannie Thomas n’est pas la première à traiter de ces thèmes au féminin. De façon différente, Dyane Léger, la première poète acadienne à être publiée chez Perce-Neige, écrivait dans Graines de fées (1980) : «Les poupées de porcelaine sont là, avec des sourires mauves, des dentelles en charpie et des entre-jambes éraflés. Leur profession flétrie se faufile le long des courts comme des guirlandes sans fleurs. Un pénis excité cache sa carte de crédit expirée» (p. 32). Ou mieux encore, Catherine Lalonde, poète québécoise et journaliste au Devoir, dans Corps étranger (2008) :

ta douceur m’arrache me déracine
moi fille seule dans le ravage le
ventre retourné par les pics les
prétentions foulées aux pieds
avec les petites culottes sales
[…]
Tu me décryptes trou par trou en commençant par le bas (p. 45-47)

Le souffle, c’est ce que l’on retrouve chez Léger et surtout Lalonde, mais qui fait défaut chez Thomas. Quand Denise Boucher a écrit Les fées ont soif (1978), elle voulait que les trois archétypes féminins – la mère, la sainte et la putain – s’unissent pour lutter contre le patriarcat. Chez Thomas, il ne reste que le personnage de la putain, qui assume sa sexualité autant que moi, ma critique. Mais encore?

Dans une entrevue, la jeune auteure expliquait qu’elle avait travaillé à l’écriture d’une pièce de théâtre intitulée Doggy Style qui est essentiellement la première mouture de son recueil de poésie. Peut-être que le texte passe mieux sur scène, mais Quatre pattes Catherine contient les défauts d’un premier recueil qui ne semble pas abouti.

Je ne sais pas si c’est moi qui deviens vieux, mais je m’ennuie de Josée Yvon.

À propos…

Doyon Gosselin_Benoit

Benoit Doyon-Gosselin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et milieux minoritaires et professeur agrégé au Département d’études françaises de l’Université de Moncton. De 2007 à 2014, il était professeur au Département des littératures de l’Université Laval. Spécialiste des littératures francophones du Canada, il a fait paraître en 2012 aux Éditions Nota Bene un ouvrage intitulé Pour une herméneutique de l’espace. L’œuvre romanesque de J.R. Léveillé et France Daigle. Il a publié des articles dans Romanica Silesiana, @nalyses, temps zéroMémoires du livreVoix et imagesPort-AcadieRaison publique et dans de nombreux collectifs.

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