Arrêt sur image. Lou Poirier [idéation et interprétation] et Jacques Lessard [mise en scène et consultation dramaturgique], Moncton, La bosse, 2015. [Moncton, théâtre l’Escaouette, 25 novembre 2015]
La pièce Arrêt sur image, qui était présentée au théâtre l’Escaouette du 25 au 27 novembre dernier, constitue l’aboutissement d’une longue étude sur l’image par Lou Poirier, mise au point en collaboration avec Jacques Lessard qui agit comme conseiller dramaturgique et metteur en scène. Interprétée par Poirier, la pièce solo présente moins une histoire qu’une réflexion approfondie sur l’image féminine à l’ère du World Wide Web alors que les médias sociaux de même que leur influence sur la société et sur les individus battent leur plein.
Cette réflexion sur l’image, que Poirier mène sur les plans intellectuel et dramatique, est développée grâce à des moyens artistiques divers. La pièce débute par une chorégraphie très évocatrice qui résume d’une manière corporelle ce que le discours des personnages exprime par la suite. Cette chorégraphie retrace avec lucidité et brio tout un historique de la féminité à travers divers symboles. On ressent l’étouffement que peuvent représenter les divers stéréotypes féminins ainsi que le tiraillement, le désir de faire éclater les images préfabriquées et les besoins de plaire, de normalisation et d’acceptation sociale. Cela résume plutôt bien le propos de la pièce et ce que le public s’apprête à y découvrir.
Trois personnages, tous interprétés par Lou Poirier, se succèdent ensuite sur la scène pour présenter cette thématique sous autant d’angles, mais de manière un peu plus concrète que dans la chorégraphie initiale : Mireille tient un discours intellectuel et légèrement jargonneux, développant avec une rigueur académique les points saillants entourant la question des dictats de l’image; Katie, une pitoune plutôt high maintenance, dévoile la vulnérabilité qui se cache derrière son image débordante de féminité; finalement Manon, personnage plutôt tomboy, est prise entre son envie de féminité et son rejet des stéréotypes féminins.
Chacun des trois personnages entre en scène avec une nouvelle chorégraphie présentant un genre de prélude au monologue qui la suit. Le public y découvre une des plus grandes forces de la pièce : elle représente avec émotion et subtilité, par une série de gestes et de figures corporelles, ce que le discours élabore et développe ensuite. Certains mouvements sont même repris au fil du discours, explicitant ainsi le lien avec l’élément dansé de la pièce. Cette interprétation vient ponctuer l’évolution de la pièce avec un petit clin d’œil qui permet de faire voisiner les aspects concrets et abstraits du discours. L’autre grande force de la pièce se situe dans sa mise en scène, qui est des plus créatives. Les mouvements et les déplacements sont efficaces et bien pensés. On suit très bien le développement de la réflexion et l’importance du questionnement qui s’approfondit tout au long de la pièce.
Dans son écriture, Arrêt sur l’image propose également de beaux moments de lyrisme et de lucidité intellectuelle. On ne réduit pas la question aux divers tiraillements intimes de la gent féminine face à la société et à soi-même, mais on développe un discours intellectuel fort intéressant autour de la question, c’est-à-dire que l’on y réfléchit en adoptant un regard sociologique, historique et critique sans réduire les propos au profit d’une accessibilité accrue du discours. Le développement est bien pensé et exécuté avec un talent évident. Par contre, on a l’impression que, vers la fin de la pièce, la confusion prend un peu le dessus. On a beau pouvoir tirer des conclusions du discours intellectuel de Mireille, l’ensemble de la pièce semble suggérer que la question ne peut avoir de réponse. Le slam/rap/chanson qui sert de conclusion à la pièce propose tout simplement de prendre conscience des divers aspects de la problématique pour ne pas en être victime, mais on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression que cette fin est un peu antithétique; comme si elle se présentait parce qu’on avait fait le tour de la question sans trouver de réponse plutôt qu’à cause d’un moment « Euréka ! » révélateur qui viendrait parfaitement boucler le tout. En fait, même si la pièce jouit de nombreuses qualités évidentes et qu’elle présente un intérêt certain, elle pourrait être solidifiée en adoptant une trame narrative capable de servir de fil conducteur et de rassembler les divers éléments qui s’emboitent autrement plutôt bien. Mais le discours de la pièce pourrait évoluer au lieu de s’en tenir au stade d’amorce de réflexion intellectuelle qui laisse un peu le spectateur sur sa faim.
À propos…
Sarah Marylou Brideau est née dans la Péninsule acadienne (N.-B.), l’année où Billy Jean trônait au sommet des décomptes musicaux. En 2001, elle publie ses premiers textes dans la revue Éloizes (no 30), ensuite deux recueils de poésie aux Éditions Perce-Neige: Romanichelle (2002) et Rues étrangères (2005). En 2013, Sarah termine une Maîtrise en Langue et Littérature françaises (Gérald Leblanc et le micro-cosmopolitisme) à l’Université McGill et son troisième recueil de poésie, Cœurs nomades, paraît aux éditions Prise de parole (Sudbury). Depuis plusieurs années, Sarah travaille à la pige dans divers domaines, mais surtout ceux connexes à l’écriture, à Montréal et au N.-B. Depuis mai 2013, est également propriétaire d’une librairie de livres d’occasion – Folio – au centre-ville de Moncton.