Midsummer : une pièce et neuf chansons était de passage en Acadie, accueillie par le théâtre l’Escaouette et le Théâtre populaire d’Acadie, les 29 et 30 janvier derniers. Traduite par Olivier Choinière et mise en scène par Philippe Lambert, la pièce de David Grieg (et les neuf chansons de Gordon McIntyre) est une production de la Manufacture donnant lieu à une impressionnante tournée de plus d’une trentaine de dates à divers endroits de la francophonie canadienne, de Moncton à Vancouver en passant par Toronto, ainsi que par plus d’une vingtaine de villes québécoises.
La pièce met en vedette Isabelle Blais dans le rôle d’Helena et Pierre-Luc Brillant dans le rôle de Bob. Jouissant déjà tous les deux d’un certain succès au petit et au grand écran – et même en musique pour ce qui est de Blais –, leur réputation n’est plus à faire. J’irais même jusqu’à dire qu’elle met la barre assez haute en ce qui concerne nos attentes pour la pièce. Les miennes, du moins, étaient grandes, puisque par le passé, j’ai beaucoup apprécié le travail de Blais au grand écran.
Le fait qu’il s’agisse d’une histoire d’amour plutôt cynique, décomplexée et ne se prenant pas trop au sérieux, m’attirait de prime abord. En ce qui a trait aux comédies romantiques de manière générale, j’ai souvent l’impression qu’on nous a déjà chanté tous les clichés amoureux et j’ai un peu marre qu’on essaie sans cesse de réinventer la même bonne vieille salade. Mais il s’agit quand même d’une bonne vieille salade, parce que, même si elles peuvent parfois nous donner le goût de vomir tellement on en a entendu, on continue de consommer les histoires d’amour comme du fast food, avec l’espoir que ça va remplir quelque chose en dedans de nous. Bref, j’avais en moi cet espoir en allant à l’Escaouette le soir de la représentation : que cette pièce allait me surprendre avec quelque chose d’un peu excentrique et décalé, comme les films un peu mushy, mais cutes, d’Yves Pelletier. Même si Midsummer est loin d’être une mauvaise pièce, elle n’est pas tout à fait aussi surprenante ou aussi « remplissante » que je l’aurais souhaité.
Midsummer, c’est « l’histoire d’un soir » d’Helena et de Bob, qui ne sont vraiment pas compatibles l’un avec l’autre, mais qui finissent quand même par se saouler, comme des défoncés, et par jouer aux fesses; l’aventure s’ensuit… Le rideau se lève sur Bob, écrivain raté en pleine session d’apitoiement sur son sort dans un bar d’Édimbourg; il est soudainement interrompu par Helena, avocate jolie, mais pincée. Du moins, c’est de cette manière que la pièce tente de camper le personnage : une femme généralement froide et fière de son succès, mais également confuse face à des montées d’émotions qui l’envahissent soudainement ces derniers temps. Il y a un décalage important entre ce portrait initial d’Helena et la manière dont le personnage se développe dans la suite de la pièce. Il me paraît évident qu’un tel contraste cherche à faire ressortir la crise existentielle du personnage, mais le portrait d’une Helena plutôt pincée n’accroche pas et on l’oublie rapidement au profit d’une Helena qui se perd complètement dans la magnifique débauche de Midsummer.
En fait, je n’ai pas du tout cru au portrait d’Helena version pincée. Peut-être parce que le fait de jouer de la guitare acoustique et de chanter des chansons pseudo-hippies-décontractées est selon moi l’antithèse de l’avocate-pincée-fière-de-son-succès. Les deux images faussent. C’est dommage, parce qu’en manquant de faire lever l’opposition entre le personnage initial d’Helena et le personnage qui mord ensuite à pleines dents dans la débauche et dans la crise identitaire, et qui choisit de saisir ces instants de magnifique liberté en compagnie de Bob, on a l’impression qu’une partie de la pièce est en quelque sorte amputée d’un élément qui aurait eu le potentiel de l’enrichir. C’est également dommage, puisque je crois que la pièce est en partie censée tourner autour de l’évolution du personnage, mais aucun des spectateurs avec qui j’ai parlé par la suite n’a saisi Helena dans sa version initiale comme une personne pincée et froide. Cet effet de contraste, si contraste on voulait, a donc plus ou moins échoué.
Au début de la pièce, les acteurs se présentent eux-mêmes avec un monologue qui est agrémenté de commentaires gentiment moqueurs de la part de l’autre personnage – ou est-ce que l’autre serait plutôt un dédoublement autodérisoire du personnage en cours de monologue; cela n’est pas tout à fait clair. Peu importe pour le public, puisque le tout est très bien reçu dans la légèreté et dans l’humour. Mais sans entrer dans trop de détails, on se contentera de souligner que cela brouille un peu les cartes pour quelqu’un qui tenterait d’approfondir son interprétation et son appréciation générale de la pièce.
Le jeu des acteurs est très intéressant et, au cours de la pièce, Blais jouera d’autres rôles que celui d’Helena, notamment celui du patron de Bob, rôle qu’elle interprète de manière ludique et avec lequel elle réussira à bien faire rigoler l’audience. La chimie entre les acteurs est excellente et on comprend bien le contraste des deux personnages. Tout cela pour dire qu’il se peut que l’Helena‑pincée ne représente en fait que la première impression de Bob. La pièce chercherait ainsi à dire que les premières impressions sont trompeuses. Possible. Parce que, sans vouloir vendre la fin, il me paraît évident que c’est une partie de la morale proposée par la pièce.
Bref, en ne s’accrochant pas trop aux détails de l’analyse, qui me laissent encore un peu perplexe, on peut dire que Midsummer est un succès, dans la mesure où on l’approche comme un objet de totale légèreté demeurant clairement dans le registre du genre de la comédie romantique à l’américaine. Les acteurs sont beaux, charismatiques, et on se plait à les regarder jouer la débauche des cyniques désenchantés en perte totale de contrôle sur leur propre vie. Leur synergie est fluide et leur plaisir de jouer ensemble est évident.
La traduction de la pièce est réussie, c’est-à-dire qu’on ne sent pas de perte dans le texte, qui conserve quelques beaux moments de lyrisme; également, les farces sont très drôles et me semblent avoir été bien adaptées dans la traduction. Cependant, je ne peux m’empêcher de me demander si j’aurais reçu la pièce de la même manière si elle avait été interprétée par un duo de stars de la comédie romantique du Royaume-Uni. Puisque la pièce est originaire d’Écosse, et que les Britanniques ont un style d’humour qui leur est bien particulier, je crois que la question se pose.
Les chansons sont correctes, mais loin d’être le clou de la pièce comme on s’y attend, puisqu’elles sont mentionnées dans le sous-titre. Au bout du compte, c’est une pièce bien – pas mauvaise, mais pas extraordinaire –, qui m’a fait rire un peu, mais qui m’a un peu aussi laissée sur ma faim.
À propos…
Sarah Brideau est née dans la Péninsule acadienne (N.-B.), l’année où Billy Jean trônait au sommet des décomptes musicaux. En 2001, elle publie ses premiers textes dans la revue Éloizes (no30), ensuite deux recueils de poésie aux Éditions Perce-Neige :Romanichelle (2002) et Rues étrangères (2005). En 2013, Sarah termine une Maîtrise en Langue et Littérature françaises (« Gérald Leblanc et le micro-cosmopolitisme ») à l’Université McGill et son troisième recueil de poésie, Cœurs nomades, paraît aux éditions Prise de parole (Sudbury). Depuis plusieurs années, Sarah travaille à la pige dans divers domaines, mais surtout ceux connexes à l’écriture, à Montréal et au N.-B. Depuis mai 2013, est également propriétaire d’une librairie de livres d’occasion, Folio, au centre-ville de Moncton.