Un Union Flag ne fait pas l’Angleterre – Raymond Blanchard

Habitant la belle vallée de Memramcook, je traverse la ville de Dieppe presque quotidiennement. Il m’arrive fréquemment en chemin de poser mon regard sur ce qui semble être l’unique Union Flag de la rue Amirault. Il saute aux yeux comme le premier cheveu blanc : ça fait-tu longtemps que t’es là? Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que ça veut dire?

Je pense que ça me dérange. Pour être parfaitement honnête, ça me dérange que ça puisse me déranger, de voir flotter un Union Flag en plein cœur de «L’étoile de l’Acadie». Est-ce un geste de défi? J’avais un voisin, jadis, qui avait un Union Flag qu’il ne sortait qu’un jour par année, le matin du 15 août. ÇA c’est un geste de défi, ou du moins un geste qui veut déranger. Déranger qui ou quoi et dans quel but, la chose n’est pas claire; et si j’ai failli à ma nation en choisissant de ne pas mettre le feu à sa grange, toutes mes excuses. Mais dans le cas de la rue Amirault, rien n’indique que ce soit l’intention.

Alors je me dis qu’un Union Flag ne fait pas l’Angleterre.

Flag_-_Union_Flag

Mais à la veille de l’ouverture du Congrès Mondial Acadien, en parcourant la section commentaires d’un article de la CBC – comme tout bon masochiste se doit de le faire – portant sur le CMA, l’indignation me terrasse. Je vous épargne les termes exacts, mais on semble trouver impensable, chez nos compatriotes anglophones, que l’argent des contribuables puisse servir à payer le party pour les Acadiens, qui parlent une langue morte, célèbrent une culture morte, dans un lieu qui a été cédé de plein droit par la France à l’Angleterre en 1763. Des Acadiens qui, en somme, refusent obstinément de participer au projet canadien du multiculturalisme, défini par ces Shakespeare en puissance comme l’adhésion de toutes les cultures au culte de la mère-patrie, qui est l’Angleterre et non pas le Canada, à en croire leurs commentaires. Encore là, quelques commentaires ne font pas une nation.

Avant de me virer le sang en boudin, je veux comprendre.  Je ne crois pas que les Acadiens, malgré la belle amitié qui lie l’Acadie et la France, perçoivent forcément la France comme leur mère-patrie. D’ailleurs, quel culte adopterait-on pour témoigner de cet attachement? Je vois mal un portrait de François Hollande dans mon salon, à part pour cacher celui de Sarkozy. Ouache.

Même symbolique, le lien du Canada avec la Grande-Bretagne demeure très fort, et souligné régulièrement à grands coups de visites royales sur notre bras. Quand William et Kate sont venus nous voir en voyage de noce, God Almighty! La fibre britannique s’est réveillée. Ça braillait à Charlottetown, de voir le prince pis sa princesse en parade. A-t-on dénoncé le gaspillage de l’argent des contribuables? Tout ça sans parler de la « re-royalification » de la Marine et de l’Armée de l’air canadienne…

Pourquoi cet attachement à la monarchie britannique, qui est le symbole même de l’inutilité ostentatoire? Des palais, des jardins, des chapeaux, des voyages, des bébés (by Jove, des bébés!!!)… mais à quoi ça sert? Si leur dévotion allait au Canada, à ce que les Britanniques exilés ont créé ici, et qui se voulait – qu’on ne se le cache pas –différent de l’Angleterre élitiste, bigote et fondamentalement inégalitaire qu’ils avaient quittée, la chose serait plus compréhensible.

Alors que l’Acadie, c’est en plein ça : c’est ce que nos ancêtres ont créé ici. On a d’abord été la Nouvelle-France, c’est vrai, mais c’est l’Acadie qui au fil des générations est devenue notre mère-patrie. Et pourtant, de 1604 à 1789, on avait un roi nous aussi. Tout ça fut laissé de côté pour faire place à l’Acadie. Qui plus est, le nationalisme acadien est né cabré contre la couronne britannique; viré le cul à la crèche, en bon acadien.

Liberté, bénédicité, neutralité. Sommes-nous moins Canadiens pour autant?

Peut-être est-ce l’attachement à une gloire passée, à ce que certains voient comme l’âge d’or du Canada? Ce n’est pourtant pas le Canada, mais le Dominion du Canada, que représente en principe l’Union Flag. Une colonie. Serait-ce alors le syndrome du conquérant? Après tout, y’a un autre drapeau qui flotte sur leurs terres… Mais quand le Premier ministre accroche le portrait de la reine dans son bureau pis fait des voyages rien que pour le plaisir de prendre des portraits avec les Royals, dur de croire que le Canada désire son identité propre. 1812, tout un moment fondateur! Voilà d’autres millions bien dépensés, pour ceux qui comptent.

Je réalise le double-sens de cette phrase. Je l’haïs pas, en fait.

Je comprends mal que les anglophones s’accrochent à la Grande-Bretagne, tout comme eux comprennent mal qu’on célèbre l’Acadie. J’ignore pourquoi on voudrait, en tant que Canadiens, faire flotter le Union Flag, bien que la majorité des provinces l’ont jadis incorporé à leur insigne et le conservent à ce jour. Pour l’amour, on en a une qui s’appelle la Colombie-Britannique, c’est tout dire. Y’aurait-tu pas un beau nom haïda pour la place? Then again, je suis originaire du Nouveau-Brunswick, dans le comté de Gloucester… les traces sont encore fraîches.

C’est juste l’Acadie qui get pas la hint, j’figure!

Je pense que le mieux qu’on puisse faire, c’est de laisser chaque Canadien faire flotter le drapeau qui lui chante. Même au beau milieu de l’Amirault. Le Canada est une nation construite par l’immigration, ne l’oublions pas. Acadien, Britannique, Écossais, Irlandais, Micmac, ça ne devrait pas faire de différence. Je dis simplement que, contrairement à un segment de la population anglophone, les Acadiens sont venus ici pour créer – consciemment ou non – quelque chose de nouveau.

Et c’est ce qu’on célèbre depuis vendredi. Bon CMA!

À propos…

Raymond BlanchardRaymond Blanchard est originaire de Village-des-Poirier dans la Péninsule acadienne, mais enraciné dans le Sud-Est depuis 1999 et habitant présentement à Memramcook. Il est détenteur d’un Ba-B.éd majeure Études françaises/mineure Histoire (2005), d’une spécialisation en Histoire (2009) et d’une maîtrise en histoire sociale (2011) de l’Université de Moncton. Il travaille depuis 2012 en tant qu’agent de recherche et de projets de la FÉÉCUM, où il est critique politique/social à ses heures. Pas trop pire avec un marteau.

10 réponses à “Un Union Flag ne fait pas l’Angleterre – Raymond Blanchard

  1. La phrase qui m’accroche moi c’est celle-ci.  » Pour être parfaitement honnête, ça me dérange que ça puisse me déranger… »
    Ça sonne pas mal comme: Ça me dérange que je me sente comme ceux qu’habituellement je traite de bigots et d’intolérants. Oui un Union Jack en plein Dieppe ça dérange et si on est honnête on va s’avouer qu’un drapeau acadien en plein comté d’Albert ça risque de déranger aussi. Ah j’oubliais  » Les Acadiens ont souffert et non l’inverse », c’est pas pareil. On va tu pas finir par arrêter de se prendre en pitié tout l’temps comme ça?

    • Ce n’est pas de la pitié ou de la peine que je ressent, mais plutôt de l’injustice. Que l’Angleterre commence par s’excuser et avoués ses tords ensuite on pourras commencer à pardonné. Ah non! Elles refuse c’est vrai!

      • C’est pas de la pitié mais c’est encore pire. C’est la  »guilt trip » qu’on voudrait donner aux anglais continuellement. Oui des atrocités ont étés commises un peu partout dans le monde au fil des ans mais un jour ou l’autre on doit se faire une idée et continuer à vivre sinon ça finit comme Israël et la Palestine pi cé pas beau à voir.

  2. Excellent texte (encore une fois), Raymond. Je ne partage toutefois pas l’essentiel de ton opinion – enfin, je crois. C’est certain que, pour nous Acadiens, le drapeau Britannique nous fait chauffer la cicatrice de la Déportation. Mais les gens de descendance britannique n’ont-ils pas droit, eux aussi, à afficher la fierté de leurs origines? Crois-tu vraiment que ceux qui font flotter le Union Jack devant leur maison le font comme un pied de nez aux descendants des déportés? Je me permets d’en douter. En fait, je reste accroché sur la phrase suivante de ton texte: « Je comprends mal que les anglophones s’accrochent à la Grande-Bretagne, tout comme eux comprennent mal qu’on célèbre l’Acadie. »

    C’est pas parce qu’on ne comprend pas que c’est mauvais. C’est pas parce qu’on y associe un souvenir négatif qu’on doit en être préservé. Et tout comme un Acadien peut bien faire flotter son drapeau à Woodstock, un anglophone fier de ses racines peut bien le faire flotter à Caraquet, ou à Dieppe.

    Ce qui m’enrage, par contre, c’est ce que j’ai déjà vu sur la rue Centrale, à Dieppe, où une maison arborait soudainement un Union Jack LE 15 AOÛT – quelle coïncidence! Là, ça sent plutôt la provocation. Mais à longueur d’année, je ne nous vois pas le droit d’être insultés…

  3. Super! Je suis du même avis, juste pas le « tour » de l’écrire comme toi. Imagine asteur, Bathurst veut se placer dans la course pour le CMA 2019 ou 2024, avec leur gros Union Jack qui flotte dans la ville! Jsuis s’aveille de m’acheter le t-shirt Acadian en anglais que j’ai vu su Hart l’autre jour, tant qu’à pousser le ridicule si ben aller fort!

  4. Je passe devant ce drapeau sur l’Amirault souvent et la seule chose qui me dérange de ce Union Jack est le fait qu’il est hissé à la tête en bas!

  5. Si je comprend bien, un francophone qui fait flotter son drapeau acadien disons dans le comté d’Albert par exemple c’est un fier acadien qui s’assume mais un anglophone qui fait flotter son union jack à Dieppe c’est pas pareil et ça  »dérange ». On dirait que cet article ici a été écrit pour essayer de trouver des raisons pourquoi qu’on a deux poids, deux mesures quand ça vient aux drapeaux.

    • Qui a chassé qui durant la grande déportation? Les Acadiens ont souffert et non l’inverse. Quand tu plante ton drapeau Acadiens c’est pour montrer que malgré toute, on est encore la, sur ce bon CMA!

  6. Comme toujours, Raymond, un excellent texte. Je crois que s’il y a de l’amertume vis-à-vis l’utilisation d’un Union Flag, c’est qu’on l’identifie à cette marque de Loyaliste qui, justement, laisse des commentaires haineux sur les forums des médias, qui lancent des injures d’un racisme linguistique (« French Frog » m’a déjà été crié d’une voiture, par exemple), etc. On peut aimer le drapeau et son symbolisme historique sans pour autant porter une haine bigote dans son coeur, mais les plus vocaux sont ceux que l’on entend et voit.

    On est peut-être pas au point d’appeler ça une swaztika ou une croix en feu, mais le sentiment que tu auras ressenti sur l’Amirault s’apparente à celui évoqué par ces autres symboles. Ou je me trompe?

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