I have a dream, écrit en gros Mario Charlebois à Dieppe. Ce rêve, c’est celui d’avoir des écoles unies pour tous les enfants de la province, où chacun apprendrait l’anglais, le français et une troisième langue. Finie la dualité linguistique néo-brunswickoise. Pauvre Mario, ne sait-il pas qu’on ne rêve pas impunément, en Acadie?
Le juriste Michel Doucet fut rapide à rétorquer que ce serait inconstitutionnel. Le rêve est illégal. La dualité linguistique est effectivement enchâssée dans la Charte canadienne des droits et libertés. Mais cela implique-t-il pour autant que les Acadiens ne peuvent pas eux-mêmes envisager une réalité au-delà de la dualité? Qu’ils ne peuvent pas être critiques à son égard? Cette loi sert-elle à nous protéger des caprices de la majorité ou bien sert-elle à définir, à notre place, ce que nous voulons en tant que collectivité?
C’est qu’il n’y aurait pas d’Acadie possible sans dualité. En tous cas, la crème de l’élite a prononcé en chœur son désaccord. La SANB à titre de porte-parole communautaire, Me Doucet à titre de gardien du droit et Dr Rodrigue Landry à titre d’expert scientifique. Il s’agirait, selon ce dernier, d’un suicide collectif. La vitalité des deux langues est tout simplement trop inégale pour envisager d’ouvrir la digue qui les sépare. Les courants de la « mer anglophone » qui nous entoure sont simplement trop forts et nous submergeraient à coup sûr.
De la vitalité ou comment être vivant
On entend par vitalité la tendance d’un groupe minoritaire à se comporter en tant que groupe distinct dans ses interactions avec un groupe majoritaire. Si un Acadien parle en anglais au magasin ou écrit en anglais sur Facebook, c’est que l’anglais est plus vivant. C’est parce que la vitalité du français est plus faible, que l’assimilation des anglophones est inexistante et que la majorité des immigrants qui s’installent dans la province envoient leurs enfants à l’école anglophone. Pour accroitre la vitalité, il faut donc permettre aux Acadiens d’être, le plus souvent possible, entre eux, ce qui favorisera leur conscience de groupe. Il faut aussi valoriser leur langue et leur culture afin de les enraciner dans leur identité. Bref, en faire des éléments positifs.
L’école acadienne permet, en principe, de faire les deux. Elle donne aux Acadiens une conscience de groupe et elle valorise leur culture. Des écoles unies enlèveraient donc aux Acadiens les quelques frontières identitaires et institutionnelles qu’ils ont réussies à se donner historiquement. Ils perdraient conscience et fierté.
Limites de l’école acadienne
J’ai le plaisir d’enseigner depuis quelques années le cours de sociologie de l’Acadie à l’Université de Moncton et j’ai ainsi l’occasion de voir défiler devant moi des centaines d’étudiants acadiens fraichement diplômés du secondaire et de discuter d’Acadie avec eux. Je me désole, année après année, de constater qu’ils n’ont jamais lu Guy Arsenault, Antonine Maillet, Herménégilde Chiasson ou France Daigle à l’école. Ils n’ont jamais même entendu la moitié de ces noms. Certain(e)s enseignant(e)s vont jusqu’à refuser d’enseigner la littérature chiac… Et je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui savent ce qu’est la SANB (Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick). On passera pour la fierté culturelle. Le français est en Acadie une langue de fierté, mais sans histoire, sans conscience et sans projet. Nous devons être fiers de qui nous sommes, nous martèle-t-on lors de la semaine provinciale de la fierté française, parce que c’est ce que nous sommes. L’argument est circulaire, tautologique, il ne tend vers rien. Michel Roy constatait déjà ce tic acadien dans les années 1970. Plus ça change…
Si c’est le cas pour les écoles acadiennes, imaginons ce que savent les anglophones de notre histoire et de notre culture (sans doute moins encore que nous ne connaissons de la leur, et ne commençons même pas à parler des autochtones). Qu’on ne s’étonne pas ensuite qu’ils démontrent, statistiquement parlant, peu d’intérêt à apprendre le français… La dualité nous protège en nous isolant, certes, mais elle nous isole néanmoins. Pourtant, nous sommes contraints de vivre ensemble et notre vitalité dépend largement de nos relations avec la majorité anglophone. Nous sommes aussi en société avec eux, nous le sentons bien au quotidien. Assurons-nous qu’ils le sachent, eux aussi. Ça demande qu’on se mouille un peu. Y compris à l’école.
Nous avons de la vitalité une conception limitée, parce que centrée uniquement sur nous-mêmes. Pourtant, nous ne gagnerons jamais la bataille démographique sans produire plus d’individus bilingues que nous ne le faisons à l’heure actuelle, c’est-à-dire sans faire en sorte que plus d’anglophones apprennent le français. Et dans ce combat, nous ne pouvons pas nous contenter de nous désengager, de nous réfugier constamment dans notre dualité.
Sommes-nous trop faibles pour rêver?
Profitons de cette proposition audacieuse (d’autres diront suicidaire ou naïve) lancée par Charlebois pour réfléchir à notre avenir et à notre éducation. À quand remonte la dernière fois que nous avons réellement tenu un débat de société sur l’enseignement de l’histoire et des langues à l’école? Et à quand remonte la dernière fois que nous avons tenu un débat sur ce que l’ensemble des écoles de la province, malgré la dualité, devrait avoir en commun comme corpus d’enseignement et sur les exigences linguistiques pour l’obtention d’un diplôme?
Bien entendu des écoles unies seraient un suicide si elles étaient implémentées du jour au lendemain, sans débat, sans réflexion, sans planification, sans balises. Il faudrait non seulement revoir les programmes scolaires, mais aussi la formation des enseignants. Mais à plus court terme, nous pourrions envisager collectivement quelques options qui iraient en ce sens. Quelques écoles ou classes pilotes pourraient être montées, à Moncton, à Bathurst. Des échanges pourraient également être organisés entre écoles francophones et anglophones, pour encourager les élèves à se rencontrer et rendre les réalités linguistiques de la province palpables (surtout pour la majorité).
Sommes-nous toujours trop faibles pour rêver? Sommes-nous si emmitouflés dans nos droits que nous ne sommes plus capables de voir plus loin que le bout de nos acquis? Avons-nous si peu confiance en nos écoles et en notre culture que nous doutons de leur capacité à former des citoyens bilingues? Qu’avons-nous à nous dire entre Néo-Brunswickois et quels projets nous sont-ils permis d’envisager ensemble? Toutes nos élites semblent le connaître ce projet, tant ils parlent d’une seule et même voix. J’aimerais bien qu’ils nous en informent de temps en temps. Peut-être même pourrions-nous en discuter un jour? Quitte à rejeter une proposition radicale, de grâce ne nous contentons-nous pas du statu quo.
« Il n’y a toujours pas de place en Acadie pour le multiple du réel et du possible »
Jean-Paul Hautecoeur
À propos…
Mathieu Wade est sociologue. Il habite parfois en Acadie.
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Ayant grandit à Moncton tu sais tout aussi bien que moi que dès qu’il y a des Anglais autours on se met tous a parler anglais.
Oui, mais la vrai question, c’est pourqouoi?
*vraie et pourquoi (excusez-moi).
Bravo Mathieu pour ton texte, c’est magnifiquement bien écrit, et même si tu n’es pas sans savoir que je ne partage pas ce «rêve» de Mario Charlebois, je te lève mon chapeau de paille.
J’ai même eu, au départ, un réflexe typiquement «acadien» en rejetant d’emblée sa thèse sur la base de son «origine» (ce dont, il est vrai, on se contrefout). Par contre, ma réflexion s’est beaucoup enrichie en lisant différentes opinions, dont la tienne, et je me questionne. Faisant moi-même partie de la SANB mais pas de la «crème de l’élite» ou si peu, j’avoue que j’appuie notre principal organe politique sur cette question, ainsi que Me Doucet. Or, je suis heureux, extrêmement heureux que des discussions sociétales comme celles-ci aient lieu, et je sais que notre présidente aussi s’en réjouit. Ne serait-ce que pour stimuler l’esprit critique acadien, ne serait-ce que pour rêver.
«Rêver un impossible rêve…
Tenter, sans force et sans armure,
D´atteindre l´inaccessible étoile
Telle est ma quête,
Suivre l´étoile
Peu m´importent mes chances
Peu m´importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours…»
Brel ne croyait pas si bien dire. Et qui sait, l’étoile de l’Acadie nous guidera peut-être un jour jusqu’à une société où l’apprentissage de plusieurs langues (français, bien sûr, mais aussi anglais, chiac et langues autochtones, en priorité mais non exclusivement) ne se posera plus comme une déchirante source d’anxiété collective.
Avec mes affectueuses salutations!
Bonjour Mathieu,
Ton texte est une excellente réflexion dont l’étincelle, l’idée d’école unie, me semble des plus farfelues. Ce que je retiens de ton texte, et la base de la suite de la discussion, est cette remarque : « Je me désole, année après année, de constater qu’ils n’ont jamais lu Guy Arsenault, Antonine Maillet, Herménégilde Chiasson ou France Daigle à l’école. Ils n’ont jamais même entendu la moitié de ces noms. Certain(e)s enseignant(e)s vont jusqu’à refuser d’enseigner la littérature chiac… »
Cela n’est pas normal et surtout, presque honteux. Je rappelle qu’à une certaine époque pas si lointaine, on demandait aux élèves du secondaire de «traduire» en français standard des textes écrits dans une des variations linguistiques acadiennes. Belle façon de valoriser ce que l’on est et la multiplicité des niveaux de langue.
Je ne connais pas le programme de 10e, 11e et 12e année et je ne veux pas pour le moment (trop) parler à travers mon chapeau. Il est clair cependant qu’il faut mettre en place un programme de connaissances, de lectures, de textes qui permettent aux élèves francophones de connaître et apprécier leur culture.
On peut reprocher bien des choses à l’idée même du CÉGEP au Québec, mais de savoir qu’un futur policier, qu’un technicien en génie civil, qu’une éducatrice en service de garde, bref que tous ceux qui passent par le CÉGEP aient eu des cours de philosophie, de littérature québécoise et française, me rassure.
Pour être radical, il faut en finir avec l’ère des pédagogues-fonctionnaires. La pédagogie est essentielle, mais n’est pas une fin en soi. Assoyons-nous, sociologues, littéraires, historiens et voyons comment rendre obligatoire un cours d’histoire et culture acadienne. Il existe certainement déjà en option, mais peut-on faire plus. Peut-on offrir les outils nécessaires pour développer une conscience collective acadienne qui ne se résume pas à faire du bruit, un drapeau tatoué sur la joue, ben saoul, le 15 août ?
En Ontario français, les enseignants doivent faire lire au moins trois oeuvres franco-ontariennes parmi une liste de plusieurs ouvrages dans différents genres. C’est un exemple et un début.
Pour te paraphraser Mathieu, je rejette donc la proposition radicale, pour trop de raisons, mais je ne tolère pas le statu quo. Rencontrons-nous quelque part à Moncton ou ailleurs avant que mes propres enfants terminent leur 12e année ! Je te raconterai alors mon anecdote d’une visite au club de lecture de l’école Mathieu-Martin il y a déjà une dizaine d’années.
»En tous cas, la crème de l’élite a prononcé en chœur son désaccord. »
HAHA, la crème de l’élite!! Elle est bonne celle là Mathieu.
»…il faut donc permettre aux Acadiens d’être, le plus souvent possible, entre eux, ce qui favorisera leur conscience de groupe. »
Se ghettoiser ou bien s’isoler dans de petites communautés comme on l’était autrefois. Mais hélas on oublie dans quelle ère on vit, soit celle de la communication, d’internet et de la mondialisation. La planète entière se regroupe et nous autres on se divise. C’est nager à contre courant.
»…nous ne gagnerons jamais la bataille démographique sans produire plus d’individus bilingues que nous ne le faisons à l’heure actuelle, c’est-à-dire sans faire en sorte que plus d’anglophones apprennent le français. »
Penses tu vraiment que c’est réaliste de parler ainsi? Pourquoi tu penses qu’ils le feraient au juste? Parce que c’est la loi? Parce qu’on va continuer de les harceler jusqu’à temps qu’ils le fassent? On ne vit pas dans une dictature Mathieu et en agissant ainsi on ne fait que créer de l’animosité envers nous de la part des anglos
Mario à peut-être réaliser que quand le Titanic coule il est inutile de chialer contre le capitaine ou bien l’ingénieur du bateau. Un moment donné faut bien que tu pense à trouver un gilet de sauvetage pi un canot au plus sacrant.
On voit bien, Monsieur Cormier, que vous ne cherchiez qu’à provoquer par vos paroles. On vit, au contraire, dans un monde polyglotte… justement pour échapper à la dictature de l’anglais.
Bien dit Marie!