Pourquoi le 15 août?
Le 15 août, la fête nationale de l’Acadie, est l’une de mes fêtes préférées. C’est une journée de réjouissance pour fêter entre amis et se rappeler ce qui nous unit. Mais pourquoi célébrons-nous annuellement notre fête nationale le 15 août? Puisque la plupart d’entre vous vont préférer, tout comme moi, célébrer cette fête plutôt que de se lancer dans la lecture de grands débats de société, je vous propose une chronique plus légère afin de retracer rapidement les raisons pour lesquelles cette date est devenue celle de notre fête nationale. Voici un rapide résumé historique; cent ans d’histoire en moins de 1 200 mots.
Une Acadie dispersée
Comme nous le savons, l’identité acadienne est liée aux tragiques évènements du Grand Dérangement de 1755. Lors de cette déportation, les soldats britanniques commandés par Charles Lawrence entreprennent une longue chasse à l’homme qui ne se terminera qu’à la signature du traité de Paris en 1763. C’est le gouvernement de Londres qui fera pression sur les autorités coloniales britanniques afin d’autoriser le retour volontaire des Acadiens déportés dans leur colonie tout en excluant la possibilité de retrouver leurs terres dorénavant occupées par de nouveaux colons anglais. Dévastés et laissés dans une grande pauvreté, les Acadiens seront condamnés à se développer en marge de la société britannique, divisés en petites communautés, ce qui forcera l’exclusion de ceux-ci du pouvoir politique et économique pendant près de cent ans.
Le clergé catholique fera un retour en force en Acadie dès le début du 19e siècle. L’absence d’un pouvoir laïque solide facilitera la mise en place d’un pouvoir clérical fort qui prendra progressivement en charge l’organisation des collectivités. Grâce à lui, le peuple acadien commence à reprendre de la vigueur. On constate bientôt une amélioration notable, entre autres grâce à l’arrivé des Acadiens en politique par l’élection d’un premier député en 1846 au Nouveau-Brunswick, à la fondation du premier collège d’éducation à Memramcook en 1864, puis du premier journal francophone en Acadie, le Moniteur Acadien, en 1867.
À cette époque, il n’y avait pas d’identité dite « acadienne ». Les gens se voyant encore comme des Canadiens français, l’Acadie est plutôt reléguée à son aspect géographique. Cependant, cette situation changera rapidement dans la dernière moitié du 19e siècle. Mais avant qu’une identité acadienne puisse surgir, il lui faudra plusieurs reconnaissances identitaires de la part de l’extérieur de la communauté.
C’est finalement une œuvre littéraire qui permettra l’émergence d’une mémoire collective autour du Grand Dérangement. La publication de Evangeline: A Tale of Acadie de l’Américain Henry Wadsworth Longfellow en 1847 offre la première signification historique qui sera partagée uniformément à travers les communautés acadiennes. En Acadie, la popularité de ce livre fut instantanée, surtout grâce à la traduction française de Pamphile Le May en 1865. Cela va aussi laisser une opportunité à un jeune idéologue français de proposer son message à l’élite acadienne favorable à un discours nationaliste. Cette contribution sera le fruit du travail de François-Edme Rameau de Saint-Père, dont les œuvres, La France aux colonies (1859) et Une colonie féodale en Amérique: l’Acadie (1889), seront influentes dans l’idéologie des élites de l’époque.
Les grandes conventions : combat pour le choix de la fête nationale
L’année 1880 marque un tournant crucial dans l’évolution du sentiment identitaire acadien. La célébration de la Saint-Jean-Baptiste offre l’occasion à l’élite canadienne-française d’organiser un congrès annuel. En 1880, elle envoie aux Francophones des Maritimes une invitation à se joindre à eux pour la toute première fois en tant que peuple, afin de célébrer ensemble la fête nationale des Canadiens français.
Les organisateurs du congrès vont réserver une commission d’étude spéciale portant sur la situation particulière des Acadiens dans la confédération. C’est à la suite de cette séance que les congressistes des Maritimes, se sentant un peu oubliés par le reste du Canada français, prennent conscience de leur manque d’organisation nationale. Les prêtres présents au congrès proposent de se réunir à Memramcook dès 1881 en convention afin de discuter des problèmes généraux en Acadie. C’est ainsi que, le 20 juillet 1881, des délégués se rendront à Memramcook afin de participer à un premier rassemblement officiel en Acadie. Près de 5 000 Acadiens et Canadiens français répondent à l’appel.
C’est lors de cette convention que les Acadiens auront à décider d’un patron pour leur peuple et de ce qui deviendra, par conséquent, notre fête nationale. Deux principaux camps s’affrontent lors de ce débat. D’un côté, les partisans de la Saint-Jean-Baptiste dont les intérêts sont principalement défendus par le père Camille Lefebvre et de l’autre, les partisans de la vierge Marie, défendus vigoureusement par le Père Marcel-François Richard.
Le choix d’un patron national peut sembler anodin, mais il a des répercussions pour l’identité acadienne et ses liaisons avec les autres francophones au Canada. Ainsi, le choix de Saint-Jean-Baptiste comme patron exprimait implicitement une solidarité avec la nation canadienne-française et, par conséquent, une union historique et culturelle. À l’inverse, le choix de la Vierge Marie marque le caractère distinct de l’Acadie, lie directement son histoire à la nation française et marque une rupture avec la nation canadienne-française.
Ainsi, malgré tous ses efforts, le père Lefebvre n’arrivera pas à convaincre l’assemblée d’adopter la Saint-Jean-Baptiste, pourtant déjà célébrée dans certaines communautés. Il faut comprendre que, pour plusieurs participants de la convention, le choix d’une fête commune avec les Canadiens français fait craindre l’assimilation identitaire du peuple acadien, déjà bien fragile. On choisira alors Marie de l’Assomption, célébrée le 15 août (fête de l’Assomption). Le père Lefebvre, ayant un fort esprit nationaliste, s’inclinera devant le choix de l’Assomption et demandera à tous de voter en faveur de cette fête pour que celle-ci soit considérée comme ayant été choisie à l’unanimité.
Division et unité : l’héritage de l’histoire
Avant de terminer, il faut savoir que le choix de la fête nationale fut un choix politique. Il visait en quelque sorte à déterminer si nous étions distincts ou non des Canadiens français. Notre « séparatisme » de l’époque en choqua plus d’un et le Père Marcel-François Richard recevra de sévères critiques de la presse québécoise.
On peut quand même se demander pourquoi les congressistes ont fini par choisir Marie de l’Assomption. Pourquoi la Sainte-Anne, largement fêtée chez les Acadiens, ne fut même pas considérée lors de cette convention? Bien que la réponse ne soit pas claire, il est possible que Sainte-Anne ait été rejetée parce qu’elle était considérée comme la patronne des Autochtones, dont certains voulaient s’éloigner. Marie de l’Assomption, associée à la pureté doctrinale et à la royauté française, permettait en même temps de rejoindre le haut clergé catholique anglophone qui, au premier concile d’Halifax, avait choisi la Vierge immaculée comme patronne afin de se distancier des protestants.
Malgré tout, l’histoire de notre fête nationale nous rappelle qu’il n’y a jamais de grande décision historique unanime. L’année 1881 restera marquée comme la date où les Acadiens décidèrent de s’unir et de partager un destin commun. Cette décision sera suivie quelques années plus tard, en 1884, par le choix des symboles nationaux, dont le drapeau et l’hymne national. Plus de cent ans plus tard, tous ces symboles continuent à rassembler les Acadiens du monde entier pour célébrer ensemble notre héritage et nos accomplissements.
À propos…
Gilbert McLaughlin est un fier acadien originaire de Tracadie-Sheila au Nouveau-Brunswick. Passionnéde politique et membre d’Astheure, il est présentement étudiant à Ottawa.
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Bravo pour votre article, je suis descendante acadienne de Pierre Boudrot et Françoise Daigle réfugiés acadiens en France sur la Ligne Acadienne à Frolles -Bonneuil-Matours…dont malheureusement les origines de leurs familles donc des premiers migrants français vers l’Acadie sont inconnues pour beaucoup même si en Poitou on voudrait que le Loudunais soit le Berceau de l’Acadie , il n’y a qu’un seul nom qui pose question en Loudunais il s’agit d’Andrée Brin mais sans document qui ferait le lien avec l’Acadie comme inscrit sur le site des AD , pourtant hier j’ai entendu à la radio un étudiant Steeve Ferron dire que de nombreuses familles parties pour l’Acadie ont été bénies dans l’Eglise de La Chaussée avant leur départ?
http://www.archives-vienne.cg86.fr/716-acadie.htm
Excellent! Tes lectures approfondies t’apportent sans doute beaucoup de détails sur notre histoire. Merci, Gilbert.
Excellent. Le devoir de mémoire est une douce obligation pour chacun de nous.
Jean-Bernard Robichaud
J’ai adoré ce rappel historique spécialement ce matin bonne fête Nationale a toi!!
Merci pour ce beau rappel historique qui me rend encore plus fière d’appartenir à ce beau grand peuple. Bon 15 août.