Après avoir passé plusieurs semaines à parcourir le Japon, la Chine et le Cambodge, je suis revenu au territoire que j’appelle affectueusement l’Acadie du Nord. Identifié comme « la pierre angulaire du fait français », le nord de la province du Nouveau-Brunswick est aujourd’hui en mauvaise posture. Depuis plusieurs années (et peut-être depuis sa fondation), le « Nord » est à la recherche d’un renouveau. Je parle ici bien sûr d’une constante recherche d’une solution qui permettrait au nord de la province de s’émanciper. Poussés à contre-courant par des circonstances politiques et économiques, les « Nordiques » se trouvent devant une impasse que plusieurs identifient comme « impossible à surmonter ».
Comme je l’écrivais plus haut, j’arrive d’un voyage en Asie que j’ai effectué comme touriste, mais également comme travailleur humanitaire. Au cours de ce séjour, j’ai eu l’occasion d’effectuer deux semaines de bénévolat dans un orphelinat de Phnom Penh, capitale du Cambodge. Avant tout, il est évident que l’objectif de ce périple était d’aider les gestionnaires de l’orphelinat en question à réparer et à construire des ressources matérielles. Ce séjour m’a permis de découvrir un peuple, les Khmers, fraîchement sortis d’un régime d’oppression politique inimaginable. Moins de 35 ans avant mon arrivée, les Khmers, sous la gouverne de Pol Pot, furent soumis à la vision d’un homme qui a causé la mort de près de 2 millions d’habitants. Évidemment, aujourd’hui le Cambodge est toujours grandement ébranlé par la folie de cet homme : les bidons-villes, la pollution et la corruption du corps policier sont toujours présents et rappellent la douleur du passé. Néanmoins, par leurs convictions et leur détermination, les Khmers ont réussi à se relever. Des universités ont été reconstruites, des élections démocratiques, bien qu’imparfaites, ont été institutionnalisées et, finalement, un bastion d’intellectuels de plusieurs domaines commence tout juste à renaitre des cendres laissées par la dictature du « Khmer Rouge ».
Si j’ai décidé de dédier un court passage à l’histoire d’un peuple déchu qui a, depuis peu, un avenir prometteur, c’est pour rappeler à ceux et celles qui condamnent « ad vitam aeternam » le Nord de la province que les fâcheuses circonstances qu’affrontent les Nordiques ne sont qu’une fleur de sel comparé aux malheurs vécus par le peuple Khmer. Comme on le dit chez nous, c’est souvent en se comparant que l’on se console…
Bien que certains d’entre vous pourraient penser qu’il n’y a aucun rapport entre la situation cambodgienne et celle du Nord de la province du Nouveau-Brunswick, détrompez-vous. Depuis l’arrivée des « Nordiques », et encore aujourd’hui, les Acadiens du Nord se comportent telle une population déchue. Déposédés de leur terre en 1755 et, aujourd’hui, d’un futur dit économique, les Nordiques, tout comme les Cambodgiens sont en phase de réorganisation. Il est clair que la réorganisation du Nord est loin d’être de l’ampleur de celle du Cambodge, mais lorsque l’on observe ce que les Cambodgiens ont réussi à produire en seulement 35 ans, après l’un des plus grands génocides de l’humanité, il est possible de croire en un avenir meilleur pour le Nord.
Aujourd’hui, les défis économiques et politiques du Nord de la province sont complexes. Il suffit d’ouvrir l’Acadie Nouvelle pour voir que la pêche, le pilier de l’économie local, devient de moins en moins rentable. Vous constaterez également que les ressources naturelles du Nord se font de plus en plus rare, pour cause la mine Brunswick vient de fermer. Et finalement, vous observerez une frustration généralisée à l’égard des actions d’un gouvernement fédéral qui s’acharne à mettre en place des réformes nocives à la majorité des Nordiques « accaparés » par la réalité rurale de leurs emplois saisonniers. Le résultat : nombreux sont ceux qui ont décidé de s’expatrier dans l’Ouest canadien ou dans la nouvelle « Capitale de l’Acadie », le Grand Moncton.
À l’ombre de cette réalité, plusieurs se posent la question suivante : « Que reste-t-il de ce territoire aride d’emplois et de ressources vitales au développement économique?» Comme l’écrivait Michel Roy, « sommes-nous véritablement réduits à échanger tous les jours une partie de notre fameuse acadianité pour des poignées de dollars »[1] ?
Évidemment, je ne prétends pas détenir la solution à tous les problèmes qu’affrontent les « Nordiques », mais je vous propose quelques pistes de solution qu’il serait possible d’étudier de plus près.
Tel que je l’ai écrit plus haut, même si les Cambodgiens ne sont qu’au début de l’ère post-Pol Pot, ils réussissent à s’unifier autour d’une identité nationale et à consolider, à l’aide de leurs institutions, un nouveau Cambodge à leur image. De leur côté, les « Nordiques » ou, si vous voulez, les Acadiens du Nord clament toujours une histoire douloureuse du passé et du présent. Je pense qu’il est temps de focaliser nos efforts afin que les institutions dites acadiennes commencent à jouer un rôle d’importance dans la réorganisation de la gouvernance et de l’économie de ces régions. Pour y arriver, voici quelques pistes qui me sont venues à l’esprit. D’abord, je propose que nos institutions acadiennes participent à la création d’une coopérative maritime des pêcheurs acadiens. Elle pourrait donner une plus grande légitimité politique aux pêcheurs, tout en leur permettant d’orienter leurs produits en fonction d’un marché conforme aux visées de la coopérative. Je suggère aux institutions acadiennes d’encadrer des forums citoyens portants exclusivement sur le développement économique des régions dites acadiennes. Ces forums permettraient peut-être de trouver de nouvelles alternatives à la main-d’œuvre acadienne qualifiée qui cherche du travail dans sa région. Et, finalement, je conseille à la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick de s’orienter vers la création de projets visant une délimitation ou une expansion de portée nationale. Une profonde modification des institutions dites acadiennes serait nécessaire, si elles veulent un jour viser au-delà de la participation de ses 20 000 membres de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick et de son rôle de « lobbyisme » auprès du gouvernement du Nouveau-Brunswick. À quand un projet national en bonne et due forme? L’audace du Parti acadien est-elle disparue à jamais ?
Comme vous l’aurez compris, je pense que nous devons cesser de multiplier nos sphères d’action, telle une girouette poussée par le vent du Nord-Est, afin de commencer à naviguer vers un avenir qui comprend une plus grande participation de nos institutions acadiennes. Si nous ne voulons pas que l’Acadie et, plus particulièrement, le Nord ne soient perdus à jamais, comme Michel Roy le prédit, il est temps de changer les choses et d’unir nos forces, car de tout mon cœur je ne souhaite pas que « l’Acadie Perdue » devienne notre infaillible prophétie.
À propos…
Amoureux de l’Acadie, Mickael Arseneau est un jeune homme né dans un petit village du Nord du Nouveau-Brunswick, intitulé Pointe-Verte. Passionné par le Monde et par la politique, ce « nordique » vient de terminer son Baccalauréat en spécialisation en science politique à l’Université de Moncton. Pour en savoir plus suivez-le sur Twitter à l’adresse suivante : https://twitter.com/Mickael023
[1] Michel Roy, « L’Acadie Perdue », Editions Québec/Amérique, Ottawa, 1978, p. 176