»Le patrimoine d’une ville n’est pas fait des objets qu’elle a créé, mais des capacités créatrices et du style d’invention qu’articule, à la manière d’une langue parlée, la pratique subtile et multiple d’un vaste ensemble de choses manipulées et personnalisées, réemployés et « poétisés ». Le patrimoine, finalement, ce sont tous ces « arts de faire » ». – Michel de Certeau
Moncton a un développement événementiel. Toute l’énergie pour son avenir est mise dans la création d’infrastructures capable d’attirer des spectacles. Mégaconcerts, centre multifonctionnel, power centers. L’espace produit est transitoire, temporaire. Pourtant, nous y sommes pour rester. Est-ce un hasard si la métropole acadienne semble nous échapper ? Nous échapper à nous, acadiens, qui dans tout ce bas monde ne contrôlons rien, pas une seule ville, pas un seul territoire qui prospère ? Nous échapper à nous, monctoniens, parce que l’événementiel est pour les autres. Est pour la fête sans sens. Entre les spectacles, qu’en est-il du quotidien des stationnements pleins le centre-ville, des écoles en orbite dans les banlieues qui ne cessent de s’étendre toujours dans le bois par Irishtown, par St-Anselme ? Les rues affreusement vides ? La monotonie des centres d’appel ? Moncton smart city nous échappe.
La province nous échappe. Nos forêts et nos eaux sont des ressources industrielles. De la fibre à faire pousser aux moindres coûts. Un réservoir de chair de poisson, de mollusque et de crustacé à récolter industriellement pour alimenter les marchés mondiaux. Red Lobster, Sea Food Differently©. De chairs transformées à la chaîne par des travailleurs temporaires, tandis que ceux qui les pêchent sont au chômage. Nos ressources sont colonisées, atrophiées.
Notre travail est colonisé, atrophié. La standardisation d’un centre d’appel, la mécanisation des moulins de pâtes et papiers. Notre travail est atrophié parce que nous n’y avons pas accès, parce que nos ressources sont sous contrat.
Notre espace est colonisé, atrophié. Mégaconcerts on the hill pour babyboomers une fois l’an. Un stade de 20 000 places, aussi grand que le Stade Saputo de l’Impact à Montréal, mais pas de sports team. Vide. Downtown Moncton ? On « imagine » un fancy aréna de 7 500 sièges, pis une grande place extérieure qui fit 12 000 personnes 800m plus loin, derrière la Croix Bleue. Qui pense à tout ceci ? Qui gagne dans tout ça ? Imaginez comment depressing cette place-là va être la plupart du temps, quand il n’y aura pas un événement pour attirer une douzaine de milliers de personnes ? Vous savez, ces rares moments où 10 % de la population de la ville n’est pas à la même place… On n’est pas en train de construire cette ville-ci comme si on l’aimait. Comme si on aimait y flâner, y vivre. On s’épâre autant qu’on peut pour éviter de s’accoster. Nous avons comme seule stratégie d’habiter l’incantation des circuits mondialisés et standardisés du spectacle. On n’habite pas, on prend et on fait de la place. La Sagouine aura de quoi forbir.
La Mountain Road est notre vérité. D’un bout à l’autre, quasiment, des fast-food jusqu’à Trinity Drive, Trinité le nom ne s’invente pas, où la fin de semaine c’est un clusterfuck de chars qui drivent d’un box store à l’autre. Imaginez si ces magasins là étaient en ville ? Si au lieu de se rendre jusqu’à un grotesque inland empire, la Mountain Road était une rue commerciale ? Si le commerce faisait partie de la ville. On construit des espaces vides, des rues vides, des stationnements vides. Des lieux de passage entre deux monotonies, celle du consumérisme industriel, d’un bord, et celle tout aussi industrielle des banlieues appartenant à un autre siècle, à une autre religion. Une vision obsolète de la bonne vie.
Il y a de belles choses, une chance, de belles initiatives, de la beauté et de la singularité, mais ce n’est pas avec ça en tête que la ville, que la province, que nous pensons notre développement. Et nous le laissons passer. Ça nous échappe. Nous nous échappons. Sur la butte, à l’Université, en plus de fabriquer des ingénieurs, des médecins et des avocats, on pourrait peut-être favoriser la réflexion sur nos milieux. Un programme de rurbanité, peut-être ? Penser la petite ville dans un environnement rural ? Un centre de recherche about la manière d’habiter en Acadie serait nice. On serait surpris de voir ce que l’habiter peut nous dire sur notre être. Pas sûr que la surprise serait bonne.
En attendant, il faut revoir la répartition des pouvoirs et des compétences dans cette province. Les deux réformes les plus structurelles et les plus urgentes que nous devons faire sont celles de notre rapport aux ressources naturelles et au gouvernement local. Des élections s’en viennent. Mais c’est à long terme, avec la temporalité des arbres, des générations et des bâtisses qu’il faut penser. Pas seulement avec celle mandats électoraux et des années financières.
On nous répète que nous sommes pauvres, mal éduqués et vieillissants. On nous répète qu’on se fait assimiler. Alors, on pense à court terme, pour sauver les meubles, protéger les moindres acquis et attirer de vieux rockers sur une butte avec notre gros aimant. Magnetic hill ftw. Short term, et l’essentiel nous échappe.
À nous acadiens, le territoire nous échappe en partie parce que nous sommes apathiques et que nous passons plus de temps à défendre la langue en elle-même, dans son principe, qu’à nous servir de notre langue pour penser notre développement, notre devenir et celui des lieux que nous habitons. Parce que nous n’avons pas l’audace d’investir dans une université qui ne produirait pas que des professionnels, mais des intellectuels, des chercheurs, des penseurs. À nous, nation bilingue, notre province nous échappe en partie parce que nous n’arrivons pas à surmonter notre clivage linguistique et enfin valoriser nos langues et créer des espaces politiques, culturels et médiatiques communs, dans le respect, la reconnaissance et la bonne volonté. Nous continuons de produire plus d’individus unilingues que bilingues, trilingues. On en produit industriellement, même.
« In the basic core program, where most New Brunswick students are educated, only 28 of 55,000 students reached the provincial standard of intermediate, oral proficiency in French last year — a rate of .68 per cent. » (Maclean’s, 2008)
Cette asymétrie systémique dans la répartition des compétences linguistiques n’a rien pour nous aider à penser le long terme, ensemble. Commençons à nous occuper mieux d’où nous vivons. À y penser plus sérieusement. Il faut faire des choix, et il faut commencer par assumer ceux que nous faisons actuellement sans y consentir réellement, explicitement. Peu importe lesquels nous ferons éventuellement, l’important, c’est d’en être le plus conscient possible. Mais pour choisir, il faut du choix. Imaginons d’autres sortes de places pour la Sagouine à mopper. Elle choisira lesquelles elle préfère. C’est le temps de revoir nos « arts de faire ».
À propos…
Mais je trouve tellement déplorable que des francophones incluent du chiac — dialecte tellement vulgaire selon moi — dans un texte autrement bien écrit. De plus, je suis allée à Moncton il y a deux semaines pour la première fois depuis 5 ans, et ça m’a encore frappé jusqu’à quel point on ne trouve pas de beauté dans cette ville. Comme l’avait dit un journaliste étranger après le Sommet de la Francophonie de 1999, et ce n’est pas une citation exacte : « mais quelle mouche pas piqué la Francophonie pour tenir le Sommet dans cette ville sans charme! ».
Le chiac est p’tête bein »vulgaire » mon Patrice but ça pogne en simonac avec les jeunes au Québec pi en France because qui y’avons right trippé su Radio Radio, Lisa Leblanc pi tcheques autres comme ça 😉
Pas vraiment — avec Radio Radio au début tout ce qui ressortait lors des entrevues c’était ce chiac. Les Hay Babies à Pénélope McQuade, même chose. Ça ne nous fait pas honneur c’est certain. Autre chose qui est vraiment dommage, c’est qu’au Québec et à Ottawa, où j’ai travaillé, les gens pensent que TOUS les Néo-Brunswickois parlent chiac, alors que ce n’est pas le cas. Ils associent Moncton à tous ceux qui parlent français ici, car c’est la métropole.
Awesome article qui m`a fait réfléchir avec un sourire! #Wadeforpresident
»Nous échapper à nous, acadiens, qui dans tout ce bas monde ne contrôlons rien, pas une seule ville, pas un seul territoire qui prospère? »
What about DIEPPE??? La ville que l’Acadie Nouvelle appelle la »cité Acadienne ».
C’est vrai Bernard, mais Dieppe est et ne sera jamais qu’une banlieue dépendante de Moncton (quoique son hotel de ville démesuré puisse nous laisser penser). Et Dieppe souffre du même problème d’étalement urbain et de ghettoisation du secteur commercial. D’ailleurs, la rue Champlain est une abomination d’urbanisme. Si ce n’était pas de la question linguistique, les trois villes du grand Moncton seraient probablement fusionnées et pourraient ainsi travailler ensemble pour faire un centre-ville dense et divers, plutôt que de chacune chercher à se développer de leur côté sans planification commune.
« Nous n’arrivons pas à surmonter notre clivage linguistique et enfin valoriser nos langues » — ça « aurait été nice » si l’auteur aurait pu le faire dans ce texte?!
On dit : « si l’auteur AVAIT pu… »
Oops, si facile de faire des fautes parfois…. Merci de m’avoir avisé!