Roy, Camilien, Mémoires d’un homme inutile, Moncton, Perce-Neige, coll. «Prose», 2017, 283 p.
Ce n’est pas moins de dix ans après la parution de son dernier livre que Camilien Roy nous revient avec les Mémoires d’un homme inutile. Dans ce nouvel ouvrage, l’auteur dresse un portrait actuel de son protagoniste, s’éloignant ainsi de ses premiers romans que l’on pourrait qualifier d’excellentes fictions historiques.
Récemment divorcé et père d’une fille qui refuse de lui adresser la parole, Jacques Dubreuil est un fonctionnaire dans la cinquantaine. Ses journées se suivent et se ressemblent : effort minimal, peu de contacts avec ses collègues ou même d’ambition. Il n’a rien d’inoubliable et entend bien continuer son petit bout de chemin le plus confortablement possible jusqu’à ce qu’un message de son médecin vienne perturber ce plan trop simple. Il décide soudainement de tout quitter et prend la route pour aboutir dans un chalet de la Péninsule acadienne. Le roman s’ouvre alors que le personnage est à l’hôpital où une travailleuse sociale, Madeleine, tente d’établir un dialogue avec lui. Au fil des jours, il entreprend de lui raconter son histoire, son enfance, sa vie, ses rencontres, sa fuite et enfin ce qui l’a mené dans ce lit d’hôpital en lui faisant la lecture des cahiers qu’il a commencé à rédiger après s’être enfermé dans un chalet de la Péninsule.
J’ai retrouvé dans ce roman le sens du rythme et la simplicité qui m’ont fait tourner les pages des autres livres de Camilien Roy en plus d’un humour un peu grinçant de la part du personnage principal, qui rappelle l’ironie déployée par l’auteur dans L’art de refuser un roman (2007) :
Ce stylo, c’était un cadeau de mon employeur pour souligner mes vingt-cinq années de loyaux services dans la fonction publique. La définition de loyauté signifie davantage ici mon manque de volonté à trouver un autre emploi et à ne fournir que le minimum d’effort dans toutes les tâches que l’on m’avait assignées au cours de ma longue et ennuyeuse carrière. (p. 32)
Cela dit, certains effets narratifs me paraissent un peu gauches. Bien que les personnages de Roy soient en général habilement construits, cela ne semble pas être le cas de celui-ci. Disons-le, Jacques Dubreuil n’est pas conçu pour être attachant. Imbu de sa personne et presque pompeux, il cherche constamment à transmettre une image déjà faite lui-même plutôt que de laisser le lecteur se faire sa propre idée. Ainsi, il interrompt fréquemment ses lectures à Madeleine pour lui suggérer les diverses impressions qu’elle pourrait avoir de lui à travers ses propos, bien que ce ne soit pas du tout ce que le lecteur peut percevoir… C’est le cas lorsque Jacques termine la lecture d’un passage de ses carnets portant sur un mystérieux jeune homme croisé des années auparavant :
– Pas trop déstabilisée, Madeleine?
– Non.
– …?
– J’ai déjà entendu pire.
– Il y a toujours quelqu’un pour faire mieux. Mais quand même, admettez que c’est hors norme. (p. 113)
Alors qu’il y aurait certainement matière à réfléchir sur la fragilité de l’existence ou encore l’utilité de l’être humain, plusieurs passages n’ont malheureusement pas l’effet escompté.
Les personnages secondaires dont Eugénie, la belle caissière de la coopérative, et Madame Ginette (même si cette dernière est moins présente) colorent un peu le terne paysage de Jacques et contribuent très certainement à dynamiser le roman. Alors que Jacques a tout abandonné, ces personnages, ces femmes, constituent pour lui un ancrage dans le réel. Elles l’empêchent de trop se renfermer puisqu’il fait l’effort de leur parler un peu. Ce sont d’ailleurs les moments où le personnage raconte sa disparition dans la Péninsule acadienne qui suscitent le plus l’intérêt du lecteur. Les dialogues avec Madeleine, bien qu’utiles pour accéder au passé du personnage, sont malheureusement plus lourds et moins vivants.
Le projet demeure intéressant et cherche tout de même à proposer une vaste réflexion sociale par l’entremise de ces notions d’accomplissement, d’efficacité et d’ambition qui sont si chères à l’humain contemporain. Plus largement, c’est aussi un discours sur la vie et ses passages trop souvent considérés comme obligatoires que propose Roy. J’avouerai, bien malgré moi, ne pas avoir été enthousiasmée de la même façon pas les Mémoires d’un homme inutile que par La première pluie (1999) et La fille du photographe (2005). Il semble que le changement de registre préconisé par l’auteur, qui semblait pourtant sur la bonne voie avec son Art de refuser un roman, soit encore à parfaire, particulièrement au niveau de certaines subtilités narratives. C’est donc davantage comme un point de départ que je considérerais ce roman qui cherche à confronter son lectorat autant qu’à le faire réfléchir.
À propos…
Camylle Gauthier-Trépanier est étudiante à la maîtrise en lettres françaises à l’Université d’Ottawa. Elle parle trop vite, collectionne les romans en tout genre et adore dresser des listes (interminables) de projets plus ou moins réalistes.
Critique intéressante d’un roman que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire. Le silence de 10 ans entre L’art de refuser un roman et cette offrande peut être attribuable à la déception (fictive ? réelle ?) à la fin de L’art de refuser un roman : « Dégoûté des mots et des romans, je n’écrirai plus une seule ligne. […] Vous pouvez considérer cette ouvrage comme mon testament et mon unique contribution à la littérature » (p. 127). Enfin, La première pluie est un excellent premier roman, mais une fiction historique ??? non vraiment pas.