La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) ambitionnait d’enfanter le CITOYEN ACADIEN (1). Maintenant qu’il est là, elle laisse au gouvernement du Nouveau-Brunswick toute la latitude pour l’élever à sa façon. Cela ne se fait pas sans conséquences problématiques d’ordre linguistique, culturel, identitaire et politique pour son rejeton. La participation du citoyen acadien au niveau de la gouvernance locale pourrait devenir une planche de salut.
Jean-Marie Nadeau, alors président sortant de la Société de l’Acadie du N.-B. , a fait une allocution sur ce thème lors d’un forum organisé par des citoyens à l’Université de Moncton en avril 2013. Le citoyen que je suis commente ses propos.
C’est un fait, la SANB a travaillé fort pour créer le CITOYEN ACADIEN, et pour qu’il soit respecté et protégé dans son droit de cité. Mais, on ne met pas au monde un enfant sans penser à l’élever et lui transmettre le nécessaire pour s’assumer. La SANB tarde à s’investir dans cette tâche. C’est surtout sur le plan politique qu’elle s’abstient de l’éduquer et de le soutenir. Elle est complètement muette sur la question de la responsabilisation et de la participation du citoyen au niveau de la gouvernance locale. Son absence permet au gouvernement du Nouveau-Brunswick de prendre toute la place et de façonner ce citoyen à sa manière.
La SANB est pourtant la première à reconnaitre le problème. Lors du forum, Jean-Marie Nadeau témoigne de sa déception. Il fait le constat suivant : « Nous avons raté notre coup sur le plan d’un contrôle politique acadien en ÉDUCATION et en SANTÉ. La loi sur l’éducation au N.-B. est l’une des plus faibles au pays; surtout en ce qui concerne le droit d’une communauté linguistique minoritaire à gérer ses affaires. Le ministre de l’Éducation centralise en ses mains le pouvoir bafouant ainsi un droit de contrôle de la communauté. L’imputabilité citoyenne de la communauté est présentement absente ». Donc, il faut en conclure que le système d’éducation actuel ne peut jouer pleinement son rôle par rapport aux besoins d’ordre civique, politique et de citoyenneté du citoyen acadien en herbe. Même les questions identitaires et d’histoire acadienne font l’objet d’un relâchement au niveau du curriculum.
Dans un autre contexte (Acadie Nouvelle, 12 février 2012), Jean-Marie Nadeau remarque que le citoyen acadien a certes un pouvoir politique, mais il néglige trop souvent de s’en servir pleinement. Il déplore le manque d’intérêt et le manque d’engouement chez le citoyen acadien par rapport aux causes acadiennes et aux questions politiques. En quelque sorte, après l’avoir enfanté, la SANB accuse pratiquement le citoyen acadien de son glissement identitaire et de son apathie politique. Elle déplore le fait qu’il s’assimile et qu’il ne joue pas un rôle actif dans l’évolution de sa communauté.
Y a-t’il à s’étonner de ce résultat? C’est que la SANB a bel et bien laissé au gouvernement du N.-B. toute la latitude pour s’occuper du citoyen acadien selon ses propres us et coutumes politiques. L’abandon par la SANB de son rôle éducatif et de soutien s’explique. Il y a quelques années, elle passa par une difficile restructuration. Le pouvoir qui traditionnellement appartenait aux individus membres passa aux mains des organismes membres. Nécessairement, il en résulta des changements au niveau des besoins et des priorités. Ainsi, aujourd’hui, vue de l’extérieur, la SANB parait indifférente aux besoins politiques du citoyen acadien.
Présentement, le gouvernement du N.-B. façonne une culture politique unique pour l’ensemble de ses citoyens. Certes, cette culture a ses avantages. Il suffit de mentionner la démocratie. Par contre, pour le citoyen acadien, certaines pratiques de nos élus deviennent perverses. Par exemple, nos politiciens manifestent peu d’enthousiasme pour les causes reliées aux questions identitaires, linguistiques, et des droits en général. Pourtant, ce comportement d’inaction et d’évitement sert de modèle. Il se généralise chez le citoyen acadien, servant parait-il à maintenir la paix sociale et l’harmonie entre les deux communautés linguistiques . Sur le long terme, les effets deviennent trop souvent problématiques en ce qui concerne le citoyen acadien.
De plus, c’est reconnu, notre système de représentants élus encourage le désengagement politique des citoyens. C’est qu’une fois élu, le message devient clair : « Allez, mes enfants, vous êtes libres. Plus nécessaire de vous impliquer…! Nous nous occupons de tout». D’ailleurs, quand est-ce que nos politiciens nous font des comptes-rendus pendant leur mandat? Quand nous consultent-ils? Quand recherchent-ils notre prise de responsabilité, notre implication, notre participation aux décisions qui nous incombent et qui nous touchent tous. Ils nous tiennent à l’écart et c’est un modèle de citoyen enfantin insouciant qu’ils favorisent. Évidemment, cette culture politique peut s’avérer des plus néfastes; cela, pour tous les citoyens, mais encore plus pour le citoyen acadien.
Le désengagement politique du citoyen acadien prend de l’ampleur. Il y a de moins en moins de gens qui prennent la peine de voter. La SANB ne peut rester indifférente et inactive sur ce point. Elle doit tenir compte des enjeux qui opèrent et qui affectent négativement le fonctionnement et l’épanouissement de sa création. Le citoyen acadien a besoin du politique pour vivre en tant que tel. Rien à faire autrement de ce côté-là.
Dans le cas où la SANB décide de passer à l’action, elle doit le faire en tenant compte de nouvelles réalités sociales. Le monde a changé. Dans le temps, c’était la communauté d’abord; maintenant, c’est l’individu. L’Acadien comme bien d’autres a été emporté par le courant individualiste et capitaliste. La langue actuelle, c’est l’argent et le « Me, Myself and I ». Et beaucoup apprécient la liberté individuelle qu’elle engendre. Ainsi, pour que le citoyen acadien s’intéresse au politique, c’est dans son milieu de vie que cela peut se réaliser, surtout s’il ressent moindrement que sa parole et son vote comptent.
La SANB peut faire beaucoup pour reprendre et poursuivre son implication auprès de son citoyen acadien. Mais, au départ, il faut cesser de croire à l’adhésion des individus dans la SANB pour qu’ils deviennent des accros aux causes acadiens. Cette époque est révolue, entre autres parce que les droits de cité sont acquis. Le citoyen acadien possède maintenant un pouvoir politique. Il a surtout un besoin de l’utiliser, le plus souvent possible, là où ça compte pour lui; à savoir son milieu de vie. La SANB doit donc penser davantage en termes de sensibilisation, d’éducation, de plans de soutien et d’information, et en particulier de voir à enchâsser des instances de participation citoyenne dans les municipalités. D’ailleurs, Jean-Marie Nadeau lors de son allocution au forum, s’est prononcé en faveur d’une participation politique du citoyen. Il a dit : « OUI à la participation citoyenne, mais qu’elle devienne réelle par l’entremise de l’éducation populaire. La base de la participation citoyenne réside dans l’éducation. Il s’avère nécessaire de préparer la population pour qu’elle y soit intéressée et qu’elle sache comment y prendre part. Par contre, il faut se demander si notre système politique actuel a intérêt à une participation citoyenne? »
Dès maintenant, la SANB doit adhérer à une culture politique de responsabilisation et de participation citoyenne au niveau de la gouvernance locale. Espérons que la nouvelle présidente à la barre de la SANB, Jeanne d’Arc Gaudet, ainsi que les organismes qui la composent, en comprennent l’importance. D’autant plus, cela devient opportun étant donné l’élan actuel vers le regroupement et la municipalisation des communautés en milieu rural. Les citoyens acadiens sont nécessairement appelés à y participer et à décider. Il y a lieu de soutenir cette culture, mais aussi, voir à l’implantation permanente de mécanismes pour le faire, au sein de ces nouvelles municipalités.
(1) Citoyen acadien : dans cet article, il s’agit d’un citoyen qui s’identifie à la communauté linguistique francophone, l’une des deux communautés légalement reconnues, du Nouveau-Brunswick.
À propos…
Gilles Thibault s’intéresse à la participation citoyenne au niveau de la gouvernance locale. Il est présentement un membre élu au Conseil consultatif du district des services locaux (DSL) de Grande-Digue.
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