Moncton (Nouveau-Brunswick) – Je campe au blocus actuel le long de la route 134 depuis l’installation du campement, et je fais des rapports presque quotidiens pour Media Coop. En juin et en juillet de cette année, lorsque les manifestations contre l’exploration du gaz de schiste au Nouveau-Brunswick ne suscitaient pas autant l’intérêt national, je faisais la même chose.
Vers 6 h hier matin [NDR : 17 octobre], la GRC a de nouveau bloqué les deux côtés du campement anti-gaz de schiste le long de la route 134. Mais cette fois-ci, avec une présence policière sans précédent. Les journées d’avant, la GRC a d’abord autorisé les piétons, puis les automobiles sur une voie, à circuler librement à travers la zone de blocus. Les militants anti-gaz de schiste, de bonne foi et surtout pour le passage des véhicules d’urgence, avaient retiré quelques jours plus tôt deux arbres abattus qui bloquaient complètement la circulation.
Ce geste, bien entendu, a permis le retour quasi à la normale de la circulation. Cela a aussi permis un accès sans entrave à la GRC qui, comme on le sait, explorait la zone et se préparait pour mettre définitivement un terme au ralentissement de la circulation, tout cela de façon totalement pacifique.
Hier [NDR : 17 octobre], j’ai entendu que les routes étaient bloquées par une personne qui criait dans une zone de campement située près de l’entrée du complexe abritant l’équipement de prospection sismique de SWN Resources Canada, à proximité de mon lieu de campement. Je dormais durant les faits.
Je pouvais entendre les agents de police qui commençaient à s’identifier, et des bruissements dans les arbres indiquant les mouvements de plusieurs personnes. J’en ai déduit que la GRC était partout et qu’elle appliquait finalement l’injonction de SWN contre l’obstruction de son équipement.
SWN, la société gazière du Texas, avait obtenu auparavant une prolongation de dix jours de son injonction contre le campement, laquelle doit expirer le 21 octobre. Nous avions entendu que l’injonction avait été imprimée dans des journaux appartenant à Irving. Étant donné la collusion d’Irving avec SWN (par exemple, le complexe abritant le matériel de SWN appartient à Irving), il y a eu une sorte d’interdiction sur les journaux d’Irving. Diverses sources nous ont également informé que le climat de paix demeurerait sur le site de campement au moins jusqu’au vendredi 18 octobre, date à laquelle une audience publique contre l’injonction était prévue au palais de justice de Moncton.
Cela n’a pas du tout été le cas.
J’ai pris mes clés de voiture et j’ai couru environ 100 mètres jusqu’au campement des Warriors (Mi’kmaq).
Ce que j’ai vu m’a surpris.
Le fossé en face de moi était rempli d’une vingtaine d’agents de police vêtus en uniforme tactique bleu, arme au poing. Trois agents de police en tenue complète de camouflage, dont un avec un berger allemand en laisse, étaient aussi près du fossé.
Au loin, au moins 35 autres agents de police avançaient progressivement vers le campement des Warriors qui comprenait une remorque et à peu près dix tentes. Nombre d’entre eux portaient l’uniforme tactique bleu et avaient l’arme au poing. Au moins trois agents étaient en tenue complète de camouflage et avaient leurs fusils à lunette braqués sur la foule. Les Warriors, de leur côté, étaient environ 15.
À l’aide d’un haut-parleur de police dirigé vers la bretelle de sortie de la route 11, un agent a commencé à lire l’injonction contre l’obstruction de l’équipement de prospection sismique de SWN. Tout ceci s’est passé avant l’aube.
Avant le lever du jour, environ sept cocktails Molotov ont été lancés depuis les bois vers le cordon de police situé dans le fossé d’en face. Je ne suis pas en mesure de confirmer l’identité des personnes qui ont jeté les cocktails. En tout cas, les cocktails ont été lancés en vain vers le cordon de police et ont tout juste laissé de petites traînées de feu sur la route. Un cocktail a mis le feu à une chaise de jardin. Deux agents camouflés ont alors tiré trois salves de balles en caoutchouc vers les bois.
Peu de temps après, trois soi-disant Warriors accompagnés d’un journaliste dans la remorque – déclarant être arrivés du Manitoba deux nuits auparavant – ont apparemment décidé que la situation était trop extrême pour eux. Deux d’entre eux ont été depuis identifiés comme étant Harrisen Freison et « Eagle Claw ». Ils ont rapidement dévalé la route en direction de l’extrémité du blocus de police. Jusqu’à la nuit dernière, personne n’avait jamais vu ces individus.
Environ dix minutes plus tard, les tensions s’étant alors très aggravées entre le cordon de police envahissant dans le terrain adjacent au campement et les Warriors qui étaient désormais sur un chemin de terre public, deux agents se sont approchés de Seven Bernard, le chef de la Warrior Society. Ils ont essayé de donner au chef Bernard l’injonction controversée de SWN. Des douzaines de fusils de tous les angles étaient braqués sur nous tous.
Seven Bernard a commencé à s’éloigner de l’agent essayant de lui donner l’injonction. S’il importe, l’agent en question était le même sergent Rick Bernard qui m’avait arrêté plus tôt en été pour menaces et obstruction à la justice (les deux accusations n’ont rien donné et ont été abandonnées).
Le sergent Bernard a alors lancé l’injonction à son homonyme, en disant : « Considérez que vous avez été servi. »
Je pouvais entendre les agents de la GRC qui nous encerclaient dire que quelqu’un avait un fusil. Je n’ai vu aucun Warrior porter une arme à feu. Je peux dire avec certitude qu’aucune cartouche n’a été tirée du côté des Warriors. Si, comme la GRC le prétend maintenant, un coup a été tiré, ce n’était pas pendant cette altercation.
Avant de poursuivre, il est important de noter que le campement des Warriors était installé sur une terre fédérale (ou de la Couronne). Les terres de la Couronne, juridiquement, sont réservées aux peuples autochtones du Canada, dans ce cas-là les Mi’kmaq. En raison de la négligence de la Couronne, ce fait est souvent oublié, surtout par les populations non autochtones du Canada.
De la même manière, on oublie qu’aucune des provinces Maritimes n’est un territoire cédé. La Couronne est liée aux premiers habitants autochtones et à leur terre par l’entremise de traités de paix et d’amitié. C’est tout.
Il est aussi important de noter que l’ensemble de la force de police était concentrée sur un groupe d’environ 15 Warriors qui étaient alors tous sur un chemin de terre public, loin de l’équipement soi-disant bloqué de SWN.
L’injonction était censée viser les manifestants qui bloquaient l’accès à l’équipement de SWN sur la route 134. Toutes les arrestations qui ont eu lieu à ce moment de l’altercation ont été faites sur le chemin Hannah.
Les forces de la GRC ayant submergé totalement tous les manifestants restants à l’entrée du complexe, une question se pose :
Pourquoi se concentrer sur un petit groupe de Warriors, très loin de tous les équipements de SWN et tout à fait incapables de reformer un blocus, avec plus de 60 fusils de différents calibres braqués dans leur direction?
Effectivement, une camionnette appartenant à une certaine Lorraine Clair de la Première Nation d’Elsipogtog avait été retirée le soir d’avant de l’entrée du complexe. Il s’agissait là du principal obstacle à l’accès de SWN à son équipement.
Les tensions se sont alors aggravées quand un groupe de jeunes d’Elsipogtog a commencé à courir sur le chemin de terre en direction des Warriors et de la police. On ne sait pas trop comment les jeunes, à pied, ont réussi à surgir d’une voie secondaire pour se diriger vers une situation extrêmement volatile. La police a tenté d’arrêter ces jeunes qui approchaient, on ne sait pour quelle raison.
La Warrior Mi’kmaq Suzanne Patles, dans une tentative désespérée de désamorcer une situation qui tournait à une lutte de cris avec des fusils de police pointés dans toutes les directions, s’est précipitée au milieu pour hurler : « On nous a donné ce tabac la nuit dernière! »
En pleurs, elle tenait dans sa main, enveloppée d’un tissu rouge, une carotte de tabac que lui avaient donnée les négociateurs de la GRC la nuit d’avant, en signe de paix.
Il y a eu ensuite des escarmouches dans toutes les directions. Sur la chaussée de la route, le chef Jason Augustine était pourchassé par plusieurs agents de police. Devant moi, partout, je voyais des Warriors se faire jeter au sol par de nombreux agents de la GRC en différents uniformes. Des balles de caoutchouc ont été tirées par la GRC, et Jim Pictou et Aaron Francis disent tous deux qu’ils ont été touchés, dans le dos et dans la jambe respectivement.
Je continuais d’essayer de prendre des photos de ce qui était rapidement devenu une scène de chaos, jusqu’à ce qu’un agent en tenue de camouflage avec un fusil d’assaut pointé vers moi me dise : « Il est avec eux, arrêtez-le! ».
On m’a jeté au sol et arrêté.
Moi-même et environ 25 personnes avons ensuite passé un certain temps au centre de détention de Codiac. Certains d’entre nous, apparemment au hasard, ont eu droit à des couvertures et des matelas. Les autres ont passé à peu près 20 heures sur le béton.
Vers minuit, on m’a pris mes empreintes et accusé d’obstruction à la justice, pour avoir couru lors d’une altercation (tout en prenant des photos, cela dit). On a refusé de me libérer lorsque je n’ai pas pu fournir une caution de 500 $.
Une heure plus tard, on m’a de nouveau amené au bureau de mise en liberté. J’étais désormais accusé de méfaits, et avais ordre de rester à 1 kilomètre de l’équipement et du personnel de SWN.
J’ai refusé de signer ces documents à ce moment, préférant voir un juge le lendemain. Vers 3 h, on m’a dit que toutes les charges retenues contre moi étaient abandonnées, qu’on me lirait l’injonction de SWN et que je serais relâché.
J’ai refusé de signer l’injonction, et à 3 h 15, j’étais relâché, dans la nuit de Moncton.
Je suppose que l’atténuation de mes chefs d’accusation était en grande partie due à la protestation du public pour avoir été arrêté encore une fois alors que je couvrais le sujet actuel de la prospection sismique au Nouveau-Brunswick.
Je suis reconnaissant de ce soutien appuyé.
De nouveau, il faut s’étonner devant les moyens vraiment violents employés par la GRC avant le lever du jour pour tenter de faire respecter une injonction contre le fait de bloquer l’équipement de SWN. De nouveau, il faut répéter qu’aucun des membres de la Mi’kmaq Warrior Society ni personne d’autre n’était présent à côté de l’entrée du complexe récemment débloquée. Et personne n’était en mesure de reformer un blocus.
Il faut également rappeler que la camionnette de Lorraine Clair, le principal obstacle à l’accès de l’équipement, avait été retirée la nuit d’avant.
Au lieu de cela, armes au poing, la GRC semblait déterminée à provoquer un pic de violence sur les lieux du blocus qui durait depuis presque trois semaines.
Je peux vous assurer que c’est un miracle que personne n’ait été gravement blessé hier, ou même tué. La GRC est arrivée armes au poing, avec des chiens aboyant, des fusils d’assaut dirigés vers diverses cibles, et des autobus entiers d’agents de police venant de toute la province et d’ailleurs.
Alors que des actions de solidarité se sont déployées dans tout le pays, les événements d’hier [NDR : 17 octobre] ont peut-être ouvert la porte à une mobilisation bien plus importante dans le combat des Néo-Brunswickois contre le gaz de schiste.
Enfin, tandis que les médias grand public exagéreront en décrivant la situation comme une affaire « autochtone », il est essentiel de rappeler que le blocus, jusqu’à hier, avait le soutien de divers alliés dans toute la province. Il convient de noter aussi que 28 groupes au début, représentant les Néo-Brunswickois de tous horizons, avait demandé de cesser toute exploration ou exploitation du gaz de schiste.
Tout ceci s’est produit bien avant les images d’Autochtones avec des foulards sur la tête (on examine désormais de près s’ils sont de véritables manifestants locaux et non des provocateurs) et qu’une seule voiture de la GRC ne soit incendiée.
*Le texte d’origine (« RCMP bring 60 drawn guns, dogs, assault rifles, to serve injunction on the wrong road ») a été publié le 18 octobre 2013 sur le site Web de la Halifax Media Coop. Il a été traduit par François Chapron.
Miles Howe est journaliste pour Halifax Media Co-op et militant pour la paix. Il vit à Halifax, en Nouvelle-Écosse, où il est aussi sociologue, traiteur, musicien et s’occupe d’un foyer de groupe pour des personnes ayant des handicaps intellectuels. Il a été arrêté au cours des événements récents d’Elsipogtog, les 17-18 octobre, alors qu’il couvrait les événements en tant que journaliste.