Du culte à la culture (partie 3) – Herménégilde Chiasson

Ce texte est inspiré d’une conférence donnée au Comité de sauvegarde de l’Église de Bas-Caraquet. L’auteur a été le président d’honneur de la campagne de sauvegarde de la cathédrale l’Assomption de Moncton. Nous publions aujourd’hui la troisième partie de ce texte en trois parties. Pour lire la première partie : Du culte à la culture (partie 1). Pour lire la deuxième partie : Du culte à la culture (partie 2).

Il existe tout de même certains éléments du patrimoine acadien qui sont toujours debout et qui peuvent nous servir de source d’inspiration. La présence de ces quelques monuments est devenue avec le temps une source de grande fierté. Je pense par exemple à la Vieille église de Barachois, la plus vieille église en bois d’Acadie, que personne ne songerait de nos jours à démolir et qui pourtant a fait l’objet de tout un débat dans les années quatre-vingt, suite au Concile Vatican II, quand on s’est mis en tête de se défaire d’une grande partie du patrimoine religieux bâti. L’église de Barachois, érigée par les plans de Léon Léger — autre figure marquante de la modeste histoire de l’architecture acadienne — allait être remplacée par une version plus moderne et plus adaptée aux changements liturgiques qui consistait, entre autres, à dire la messe face au public et à rapprocher les fidèles de l’autel.

Je me souviens de cette lettre de par mon ami l’architecte Roméo Savoie, parue dans L’Évangéline, et qui se terminait par ces mots : «Gens de Barachois, n’abandonnez pas votre église». Il y eut une mobilisation. Les gens finirent par comprendre l’importance de protéger cette fragile structure en bois dangereuse et démodée mais qui fait désormais l’envie de bien des endroits à commencer par la communauté elle-même et qui rassemble encore les gens dans son nouveau rôle de centre d’art et de salle de concert. Malheureusement le presbytère qui faisait aussi partie de cet ensemble de bâtiments architecturaux et patrimoniaux ne put être protégé et finit par être démoli dans une sorte de vengeance sur un patrimoine qui, encore là et heureusement, s’incarne dans ces édifices de notre héritage culturel qui ont résisté au temps.

Je parle de Barachois mais la même volonté s’est aussi manifestée à plusieurs autres endroits en Acadie, une entreprise qui se donnait pour mission d’arracher l’âme des communautés pour lui en substituer une autre plus neuve, plus moderne et plus adaptée au goût du jour. Évidemment à l’époque ce n’était pas vraiment une question d’argent mais souvent une question de compétition entre curés à savoir qui allait construire l’église la plus impressionnante et la plus audacieuse du point de vue architectural. Pour faire disparaître ces édifices qu’on considérait comme désuets et encombrants on y est allé d’excuses farfelues sinon complètement absurdes. À Shippagan par exemple on a abattue une magnifique église en pierre sous prétexte que le clocher était dangereux, clocher qu’il a fallu un bulldozer pour faire tomber.

Chapelle Saint-Anne de Beaumont (Memramcook).

Heureusement de magnifiques églises comme celles de Saint-Isidore, Caraquet, Memramcook ou Saint-Simon ont été épargnées et de nos jours nous en sommes tous très fiers. Dans la région du Sud-est nous avons été plutôt malchanceux car nous avons perdu les églises de Cap-Pelé et de Shédiac.

On dit que la plus vieille maison acadienne se trouve à Dorchester où elle servait de poste de traite à la fin du régime français mais encore là il s’agit de suppositions. Quoi qu’il en soit cela lui donnerait un âge approximatif d’environ deux cents cinquante ans ce qui n’est pas très vieux en comparaison de l’âge de certains édifices ou certaines ruines qu’on retrouve en Europe et dont l’âge se chiffre parfois en milliers d’années. Si vous recherchez l’âge des édifices conservés au Village historique acadien, le plus ancien aurait autour de 150 ans, ce qui, là non plus, n’est pas très vieux en termes de patrimoine mondial mais très vieux par rapport à nous et à notre culture. Heureusement qu’il y a des gens qui vont faire en sorte que cette maison puisse vivre encore plusieurs autres années.

C’est un fait que les édifices m’inspirent. Ce fut le cas d’une ancienne école, devenue depuis le Centre culturel Aberdeen de Moncton où j’ai longtemps eu un atelier et dont je suis l’un des membres fondateurs. Au temps où j’étais président du Conseil, j’ai travaillé avec Paulette Thériault, maintenant conseillère à la ville de Moncton, pour en faire un Centre culturel. Nous avons obtenu l’édifice du gouvernement pour un dollar et nous avons fait plusieurs représentations auprès des politiciens et politiciennes pour obtenir l’argent nécessaire à rénover cet édifice qu’on voulait démolir pour y construire un centre pour personnes âgées. Contrairement à d’autres édifices tels que l’ancienne Académie qui abritait autrefois L’Évangéline et le premier centre culturel acadien de Moncton ou, plus près de nous, l’Hôtel Shédiac, l’ancienne école Aberdeen a d’abord été quatée par des artistes qui ont décidé de la conserver. Devenu depuis l’un des lieux importants de l’Acadie urbaine, c’est aussi un édifice patrimonial et de nos jours, c’est aussi un des rares édifices publics à avoir survécu aux démolisseurs qui ont eu raison à Moncton de l’ancien Hôtel de ville, de l’ancienne gare du CN et de tant de magnifiques bâtiments qui longeaient la rivière Petitcodiac.

Église Saint-Isidore (Saint-Isidore).

En Acadie, nous avons de la difficulté à garder des institutions pour plus de cent ans – ce fut le cas entre autres du journal L’Évangéline ou du Collège St-Joseph qui ont fermé leurs portes quelques jours seulement avant ou après avoir passé le cap des cent ans. De la même manière il me semble que nous avons de la difficulté à garder des édifices debout pour très longtemps. Cela provient peut-être du fait que nous avons encore de la difficulté à nous concevoir comme propriétaires et à valoriser la contribution que nous avons fait au patrimoine de cette province.

Il est temps de regarder autour et de voir que nous sommes riches d’une culture et d’un patrimoine qu’il nous faut mettre en valeur mais surtout pour en jouir comme la preuve de notre appartenance et la trace de notre culture mais aussi pour les transmettre à ceux qui auront à cœur de les transmettre à d’autres car c’est ainsi qu’une culture vit et survit au passage des générations. Les Acadiens jouissent de nos jours d’une certaine aisance matérielle, du moins si on la compare à l’époque où la plupart des églises ont été construites. Nous pouvons investir un peu de cette richesse dans l’entretien de ce qui nous a jadis donné une identité et des rêves d’avenir.

Nous entendons constamment parler de la fierté acadienne et plusieurs nous incitent à promouvoir cette fierté mais cette fierté doit dépasser le simple fait de s’identifier comme Acadien. Cette fierté elle doit s’incarner dans des gestes et des engagements au-delà du drapeau et du 15 août. De cette manière nous serons fiers de ce que nous avons fait et non pas uniquement de ce que nous sommes. Conserver une église constitue une sorte de défi, un défi qui ressemble à celui qu’ont relevé nos ancêtres, conscients que leur survie et la survie de leur culture ne pouvait venir que d’eux-mêmes. Nous devons retrouver cet esprit pour nous investir dans un projet dont la réussite nous rendra cette fierté, une fierté qui prendra les allures d’une victoire. Conserver une église pourrait constituer ce genre de défi, ce genre de projet, ce genre de cause qui ressemble à la foi religieuse mais aussi à la foi culturelle sur laquelle ces édifices, ces églises ont été bâties.

À propos…

Herménégilde Chiasson détient des baccalauréats des universités de Moncton et Mount Allison, un Master of Fine Arts de la State University of New York et un doctorat de l’Université de Paris 1 (Sorbonne). Il a été réalisateur à la radio et à la télévision de Radio Canada, réalisateur au cinéma et professeur à l’Université de Moncton. Il a été président ou membre fondateur de plusieurs institutions culturelles d’importance en Acadie. Écrivain, il a publié plus de 50 livres depuis 1974. Comme dramaturge il est l’auteur d’une trentaine de pièces de théâtre. Au cinéma, il a réalisé une quinzaine de films et, en arts visuels, il a produit plus de cinquante expositions solos et participé à une centaine d’expositions de groupe.

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