Acadie de mon cœur : enfin… Républicaine? – Xavier Bériault

-Xavier Bériault-

            À ma connaissance, personne n’a encore été assez fou pour prétendre lire dans le passé de l’Acadie le présage d’une République à venir. Nos pionniers intellectuels, préférant d’autres avenues, ne se sont en tout cas pas aventurés sur cette piste de réflexion. En effet, « l’idée d’une république acadienne, selon l’historien Léon Thériault, appartient au domaine chimérique ». De même, le sociologue Joseph-Yvon Thériault rappelle que le peuple acadien n’a « pas connu les mutations révolutionnaires qui feront des sujets du roi de France des citoyens d’une république démocratique ». Et pourtant… si « on est bien avec les oreilles par terre », si on est à l’écoute d’une histoire oubliée que nous souffle le vent de la mer, qui recèle en son fond les perles et les coraux, il serait peut-être possible de concocter « une réponse de silhouette » qui nous ferait découvrir des trésors perdus (vintage Zéroº Celsius).

            Parmi ceux-ci, on retrouve d’abord le témoignage de deux gouverneurs de l’Acadie, François-Marie Perrot (1684-87) et Jean-François de Brouillan, qui, exaspérés par l’insolente indépendance de leurs sujets récalcitrants à toute forme d’autorité, les traitèrent de républicains. Cette image dépeinte par des contemporains contraste de façon flagrante avec celle qui sera plus tard transmise par l’historiographie. Longtemps, nous avons appris que nos descendants étaient de frustes paysans, issus de la France profonde, qui courbaient l’échine sous le joug d’un monarque absolu à la volonté capricieuse. Il est grand temps de dépoussiérer ce vieux cliché traditionnel qui retire toute dignité politique à notre histoire. Pour le démonter, l’historienne Leslie Choquette a méticuleusement compilé une banque de données qui retrace l’origine de 16 000 colons français. Elle a ainsi pu démontrer que les origines géographique, religieuse et économique de nos ancêtres se caractérisent au contraire par leur modernité : plus des deux tiers sont citadins, parfois irrévérencieux, et font preuve d’initiative économique.

            Libérés de la fausse vision féodale de la colonie, il nous devient possible de poursuivre la réflexion sur les éléments républicains de la société acadienne. Nous pouvons ainsi maintenant comprendre le véritable sens du statut de « laboureur », qui caractérise la majorité des hommes figurant sur les listes de recension de l’époque. Ce terme signifie que l’Acadien était propriétaire de sa terre et de ses animaux. (Une situation à laquelle le serf français ne se permettait même pas encore à rêver!) Vu qu’une véritable aristocratie n’a jamais réussi à s’implanter dans la colonie, il semble également qu’une relative égalité des conditions sociales existait au début de la colonisation. Par leur attachement à leurs fermes, à leurs navires, à leurs villages, ainsi qu’à leurs célèbres aboiteaux – ces aboiteaux qui aujourd’hui encore nous inspirent un tel sentiment de fierté qu’il éclate souvent en chanson – à tous ces artifices, qui sont le résultat de leur effort herculéen pour les arracher à une nature vierge, les Acadiens et les Acadiennes font aussi preuve d’une préoccupation pour la chose publique. Dans la tradition républicaine, la propriété, l’égalité et le souci pour la res publica constituent certaines conditions de l’accès à la citoyenneté.

Aboiteaux - zavier

            La situation particulière de l’Acadie au sein de l’empire français contribue aussi à l’émergence d’une indépendance de fait. La métropole française, toujours plus intéressée par les colonies du Québec (fourrure) et des Antilles (sucre), laisse une plus grande autonomie à l’initiative des colons, qui doivent par conséquent organiser la colonisation par leurs propres moyens. De plus, la position des villages, souvent très éloignés de Port-Royal, donne à ses habitants la liberté de s’autogouverner.

            Le contexte géopolitique de l’Acadie favorise ainsi la création d’une diversité d’assemblées plus ou moins formelles chargées de la gestion au niveau local (impossible de construire et d’entretenir les aboiteaux sans organisation collective). Michel Boudrot devient ainsi, en 1639, l’un des premiers syndics de Port-Royal, un poste où ses compagnons l’ont désigné, probablement lors d’une assemblée, comme le représentant des intérêts de la communauté. Les capitaines de milice, une charge importante en cette période d’attaques répétées, sont également nommés après consultation des habitants. Les colons se réunissent également pour élire le prochain marguillier qui sera membre du conseil de fabrique, une instance qui veille à l’administration des biens possédés par la paroisse – on ne peut sous-estimer à cette époque l’importance de la paroisse comme expression de la vie collective de la communauté. Finalement, lorsque la nouvelle de la défaite française atteint les côtes de l’Acadie, les Acadiens procèdent à l’élection de délégués, « probablement la première expression politique et démocratique des provinces maritimes » (Léon Thériault), qui agiront comme porte-paroles de leurs communautés devant l’administration anglaise. Ce sont certainement eux qui élaborent le discours de la neutralité, un discours articulé dans le langage de la philosophie des Lumières qui constitue sans aucun doute la « pierre angulaire de la culture politique acadienne de l’époque » (Maurice Basque). Pendant plus de trente ans, les administrateurs anglais qui se succèdent auront affaire avec ces représentants, jusqu’à un certain mois de juillet, dont vous connaissez déjà l’année, où une centaine de députés acadiens, sommés par le lieutenant-gouverneur Lawrence, se rendent à Port-Royal et se voient imposer un serment de fidélité sans condition, qu’ils refusent courageusement encore une fois, avec les funestes conséquences qu’il nous est impossible d’oublier.

            Si Joseph-Yvon Thériault a raison d’écrire qu’« il faut se garder de voir dans [ces formes de] représentation […] la manifestation d’une vie politique comme celle que connaissent nos sociétés », c’est toutefois notre devoir de combattre l’idée reçue, incontestée pendant près de deux siècles, qui prétend que les colons français faisaient preuve d’une inaptitude congénitale à l’exercice de la démocratie. Si les expériences que j’ai évoquées n’ont jamais réussi à s’institutionnaliser en forme de gouvernement, cela ne signifie pas pour autant qu’il nous est interdit de puiser dans cet imaginaire historique les sources d’inspiration pour améliorer notre vie communautaire au niveau local.

2 réponses à “Acadie de mon cœur : enfin… Républicaine? – Xavier Bériault

  1. Hey Sam!
    Il semble que les Acadien.e.s ont continué de s’assembler afin de rédiger des pétitions et des requêtes à diverses instances gouvernementales peu de temps après la déportation, tant dans les colonies américaines qu’en France. Mais c’est certain qu’au XIXe siècle, avec l’arrivée de contingents importants loyalistes, ainsi que l’implantation d’un clergé catholique farouchement contre-révolutionnaire, l’esprit républicain entre en dépression. Toujours est-il que les Acadien.e.s continuent de s’associer tout au long du XIXe, phénomène associatif qui culmine à cette époque avec la fondation de la Société Nationale de l’Acadie, un projet qui est toutefois plus culturel que politique. Matière à réflexion…

  2. Intéressant, mais si la société de l’âge d’or acadienne montrait des signes de républicanismes (qui resemblent fort a ceux qui éxistaient aux États-Unis a la même époques, disont le), es-ce que ce républicanisme naissant a survécue a la déportation et a la subjugations sous l’ordre catholique et anglaise suivante? Deuxième partie?

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