De plus en plus, l’évidence d’un réel dérèglement climatique nous pointe dans la direction d’une nécessaire transition écoénergétique bas-carbone. Ce qui est moins évident toutefois c’est qu’elle doit être environnementalement et socialement juste pour que les actions requises soient durablement soutenues par l’ensemble de la société.
Ce n’est pas toujours apparent à première vue mais une des grandes causes du changement climatique est le consumérisme qui est au cœur de la société de consommation qu’on cherche par la publicité à ancrer et programmer durablement et qui se caractérise par des inégalités indécentes de revenus et de patrimoine, y compris les inégalités géographiques. Pour corriger une telle situation qui se révèle actuellement critique pour l’ensemble de la planète et ses habitants, une logique de justice sociale et environnementale impose alors une dynamique de suppression des inégalités les plus élevées sans quoi comment alors construire l’acceptabilité sociale requise par l’ensemble de la société?
Rappelons que la logique des inégalités croissantes est dénoncée fortement depuis le début du XXIe siècle par les différentes variantes du mouvement social des «indignés» (Occupy Movement, Indignatos, Printemps arabe, Parapluies jaunes, Carrés rouges, Gilets jaunes, etc.), notamment contre la logique scandaleusement avantageuse pour les 1% très fortunés que le néolibéralisme a produit depuis les années 80.
De manière significative, la récente dynamique très impressionnante des grèves scolaires que personnifie la jeune suédoise Greta Thunberg s’insurge contre cette dimension qui est aussi présentée comme des inégalités générationnelles qu’un modèle économique défaillant cherche à imposer et à faire payer injustement par les jeunes générations qui alors refusent vigoureusement avec d’imposantes manifestions à l’échelle mondiale dont l’impact est bien réel et ne passe pas inaperçu : 16 mars 2019 ; 20 et 27 septembre 2019.
Rappelons aussi que de plus en plus d’économistes reconnus dénoncent depuis un certain temps les dérives injustes de ce néolibéralisme abusif comme c’est le cas de lauréats du prix Nobel économie comme Joseph Stilgitz (2001) et Paul Krugman (2008) ainsi que d’autres économistes tels le britannique Nicholas Stern et le français Thomas Piketty dont les travaux sont actuellement très en vue. Sur le terrain se multiplient aussi les actions intentées en justice contre des gouvernements pour inaction climatique, à l’encontre d’entreprises énergétiques à forte intensité en carbone ainsi que diverses formes individuelles et institutionnelles de désinvestissement des avoirs d’entreprises exploitant les énergies fossiles suivi de réinvestissements dans les énergies renouvelables.
Pourquoi est-ce important et significatif? Quelques données aident à révéler le fossé réel des inégalités sociales lorsqu’on examine la crise du changement climatique qui ne pourra être résolu sans un puissant mouvement de compression des inégalités sociales à tous les niveaux.
Le Global Footprint Network (GFN) nous a récemment révélé que nous avons déjà en date du 29 juillet épuisé les ressources de la planète pour l’année 2019. En 2018, le jour du dépassement de la Terre était le 1er août. En somme, l’Humanité utilise 1,75 fois plus vite les ressources que les capacités régénératives de la Terre et nous allons dans la mauvaise direction. Les dates de dépassement diffèrent selon les pays et les habitudes de consommation : selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), le Qatar vit à crédit après seulement 42 jours alors que l’Indonésie a consommé ses ressources naturelles en 342 jours et, selon le GFN, si l’humanité consommait à la cadence des américains il faudrait l’équivalent de 5 planètes. Pour rétablir l’équilibre, il faut entre autres réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre, réduire la consommation de protéines animales ainsi qu’en réduisant le gaspillage alimentaire. Rappelons selon Piketty (Le Monde, 8 juin 2019) que ce sont des secteurs de consommation et de privilèges écologiques fortement concentrés parmi les plus riches : «Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont responsables de près de la moitié des émissions, et les 1 % les plus riches émettent à eux seuls plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la planète. La réduction drastique du pouvoir d’achat des plus riches aurait donc en tant que telle un impact substantiel sur la réduction des émissions au niveau mondial».
Rappelons aussi que le désir d’imiter le comportement social des plus riches est un puissant déterminant de motivations de consommations qui accélère les émissions intensives que nous connaissons et qui rend difficile, voire impossible dans les circonstances actuelles, l’atteinte des objectifs de réduction assez conservateurs contenus dans les Accords de Paris et encore moins ceux établis scientifiquement par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Face au défi existentiel de l’urgence climatique, il y a évidemment beaucoup à faire à tous les niveaux pour sortir des petits pas contemporains et pour réellement inverser la trajectoire actuelle. Mais il y a aussi l’adoption volontaire et imposée de mesures économiques, environnementales, fiscales et politiques qui restreignent le pouvoir et le pouvoir d’achat des plus riches car sans cela comment peut-on envisager que les classes moyennes et populaires des pays riches et en développement acceptent de changer de mode de vie si les plus aisés n’y apportent pas une véritable contribution?
De toute évidence ce ne sera pas facile mais c’est aussi cela qui est une source du grand mouvement mondial pour le climat, le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, les grèves scolaires, les Pactes pour le climat, les actions en justice pour inaction climatique, le Green New Deal, Extinction Rebellion, la montée de Verts, etc., etc., voire même l’encyclique Laudatio Si’ sur la sauvegarde de la maison commune du pape François. Et il y aussi cette jeune suédoise de 16 ans qui a fait grève scolaire en solo pour le climat et qui maintenant fait entendre la voix d’une nouvelle génération…
À propos…
Ronald Babin est professeur de sociologie environnementale au Département de sociologie et de criminologie de l’Université de Moncton.