J’ai quitté le Nouveau-Brunswick en 2010 pour étudier à Québec. Je voulais ouvrir mes horizons, voyager et, surtout, me réaliser pour être à la hauteur de mes ambitions, dans ma langue. Je me suis dit que je reviendrais peut-être un jour en Acadie…mais quand?
Je n’avais pas de plan défini. Je suis ensuite déménagée à Montréal en 2014. Rapidement, le quotidien s’est installé, les semaines de travail se sont enfilées pour devenir des mois, puis des années. Et soudainement, près de dix ans se sont écoulés depuis mon départ initial. J’ai aujourd’hui presque trente ans, je ne suis plus la jeune étudiante que j’étais et je ne suis toujours pas rentrée en Acadie.
«Je n’ai pas quitté l’Acadie [en déménageant à Montréal], je l’ai transplantée.» Ce sont les paroles d’Antonine Maillet dans une récente entrevue à Plus on est de fous, plus on lit. Je me suis immédiatement reconnue dans les propos de cette grande écrivaine que je tiens en haute estime. J’ai toujours ressenti une sorte de culpabilité d’avoir abandonné ma famille et ma communauté et voilà qu’une figure de proue de la littérature me disait qu’il était possible de vivre dans la métropole en contribuant à l’essor de mon peuple. J’aimais cette idée.
Voyons toutefois la réalité en face : je suis encore très loin de remplir les souliers de madame Maillet. J’aime moi aussi écrire et j’ai quelques projets personnels d’écriture en cours, mais je n’ai encore rien publié. Comment pourrais-je prétendre contribuer à l’essor de l’Acadie à Montréal? Que fais-je concrètement? Certes, j’assiste à des concerts d’artistes acadiens qui sont de passage, je consomme des médias acadiens, j’achète des recueils de poésie acadiens qui se trouvent en librairie… Bref, j’encourage les artistes de ma patrie. Mais est-ce vraiment suffisant?
Quand je lis les nouvelles d’une région située à plus de 800 kilomètres de mon lieu de résidence, un terrible sentiment d’impuissance s’empare de moi. Je n’ai pas pu voter aux dernières élections provinciales qui ont porté au pouvoir un premier ministre unilingue anglophone.
«Tu peux lire les nouvelles, mais tu get pas vraiment ce qui va on», a dit le documentariste Julien Robichaud dans le superbe film Le Prince de l’Acadie. En réfléchissant bien, je réalise qu’il a raison. Je peux me complaire dans la croyance que je soutiens l’Acadie à Montréal, mais dans les faits, je n’y participe pas. Je ne suis qu’une simple spectatrice.
On dit que l’Acadie n’a pas de frontières fixes, mais la bataille des Acadiens pour leurs droits linguistiques (et leur droit d’exister, carrément), elle, s’inscrit bel et bien dans un territoire géographique. Et ce territoire n’est pas à Montréal, cette ville qui valorise de plus en plus la langue anglaise pour prospérer sur la scène internationale.
Le poète et comédien Gabriel Robichaud, dans le même documentaire, mentionnait que son exil de l’Acadie lui avait permis de mieux définir son identité, puisque chaque personne qu’il rencontrait lui demandait d’où il venait. Je vis aussi ce phénomène. Au moins une fois par semaine, j’explique que non, je ne suis pas Québécoise. Je suis Acadienne. Et non, je ne parle pas le chiac, car les accents au Nouveau-Brunswick sont pluriels. Ces discussions m’ont fait prendre conscience de la richesse de mes origines.
Ironiquement, je n’ai jamais été si fière de mes racines acadiennes et je n’ai jamais autant parlé de l’Acadie que depuis que je l’ai quittée. Quand je vais en vacances dans ma famille à Petit-Rocher, j’apprécie les paysages que je tenais autrefois pour acquis, comme la mer qui se profile sur des kilomètres et des kilomètres. Chaque jour dans les rues bétonnées de Montréal, j’observe avec fascination un million de stimuli tous aussi différents les uns que les autres. Mais à quoi bon, si je ne peux pas porter mon regard sur le lointain et voir grand, littéralement.
En août dernier, je suis rentrée du Congrès mondial acadien le cœur rempli d’espoir; je me sens revivre d’une motivation renouvelée. Mon Acadie, tu es belle et je ne veux plus t’observer de loin, dans le confort de mon siège passager. Je veux voir ta mer et tes forêts, me perdre dans mes pensées en observant ton horizon, je veux entendre tes accents, m’inspirer de tes intonations mélodieuses. Je ne veux plus te transplanter, je veux t’arroser (tous ceux qui ont des plantes à la maison savent que c’est un projet bien plus ambitieux). En attendant, je te souhaite beaucoup de pluie et de soleil… Et qui sait, peut-être cela produira-t-il un arc-en-ciel.
À propos…
Marie-Ève Arsenault est originaire de Petit-Rocher. Titulaire d’une maîtrise en rédactologie de l’Université Laval, elle vit de sa plume à Montréal depuis 2014.
Ce texte me touche. Je suis dans la même situation que vous… depuis 25 ans ! Venue à Montréal pour le doctorat avec l’idée de retourner en Acadie à la fin de mes études, et même plus tôt. Mais bon, la vie, le travail, l’amour… et cette ville que j’adore, qui me rappelle Moncton, et dont j’aime sentir le sol sous mes pieds. Pour citer Zachary Richard, il y a toujours un vent qui me ramène en Acadie chaque année, habituellement deux fois plutôt qu’une. Tellement puissant que ma fillette ressent le même appel, elle qui est pourtant née si loin du continent et vit à Montréal depuis 10 ans. Votre texte me fait aussi penser à la chanson du regretté Denis Richard: « Et s’y j’y étais resté, j’en aurais même pas parlé… » Mon lien avec Cap-Pelé, où j’ai vécu mon enfance, est toujours aussi fort, peut-être même renforcé par mon « auto-déportation ». Au plaisir de vous lire !
J’aime me promener sur votre blog. un bel univers agréable et un blog intéressant. Vous pouvez visiter mon blog récent. A bientôt.
J’ai 68 ans, j’ai vécu les 25 premières années de ma vie dans les villages de la péninsule acadienne et cela ne m’a jamais quitté. J’ai vécu ensuite à Québec (4 ans), en France (2 ans) et à Montréal pour le reste mais mon identité acadienne n’a fait que se préciser davantage. Je vibre à l’identité québécoise ( la culture sous toutes ses formes), je suis marié à une québécoise, mais jamais je me suis sentie québécois. J’ai acheté la maison familiale dans le petit village où j’ai grandi et j’y vais trois fois par année et à chaque fois j’ai le sentiment de retourner chez moi. Je suis fier de faire partie de ce petit peuple qui s’est construit au fil des siècles et qui demeure bien vivant malgré tous les défis qu’il a eu à affronter et qu’il a encore à affronter.
Gérard Basque
Yeah right.
L’Acadie n’est pas un paradis romantique, fétiche des exilés nostalgiques. Mad Maillet n’a pas transplanté l’Acadie, son hubris n’a pas ce pouvoir.
L’Acadie est à protéger et à construire et certains qui sont là n’ont pas la nostalgie des arc-en-ciel.
Les Acadiens en exil ne sont pas les premiers à ressentir cette nostalgie. Misère.
Ça veut pas dire que ce qui se fait à chaque jour en Acadie n’est pas plus important que votre nostalgie.
J’écrivais enragée… ma dernière phrase aurait dû être :
Ce qui se fait à chaque jour dans l’Acadie réelle, là ou des gens vivent et se battent pour sa survie est plus important que votre nostalgie. On ne se moque pas d’eux.
Pourquoi vous écriviez enragée et qu’avez vous contre les arc-en-ciel je trouve plutôt que c’est un signe d’espoir. L’hubris (démesure) de Mad Maillet à surtout servi à faire connaître l’Acadie tout comme vous qui la défendez et la protéger si bien (je lis toujours vos écris avec intérêt). J’ai toujours habité l’Acadie et ma nostalgie elle est ancrée en moi, de la perte d’un pays que nous n’avons jamais possedé. Cet jeune femme qui revient au bercail avec l’amour et l’envie de mettre l’épaule à la roue pour la défance de langue française vous surprendra peut-être un jour. Et j’ajouterais que l’Acadie est plutôt romantique.
Tu as raison. Étrangement, son identité acadienne s’emplifie quand on est loin, et qu’on s’ennuie de son pays. On devient rapidement un promoteur de notre culture unique. Et la ville de Montréal, étant la métropole francophone d’Amérique, est un bel endroit pour faire la promotion de l’Acadie.