Monsieur Higgs,
Au nom du conseil d’administration et de toute l’équipe de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, je tiens à vous féliciter de votre assermentation en tant que premier ministre provincial vendredi dernier. Je pense que nous sommes tous d’accord que les deux derniers mois d’instabilité politique furent très tumultueux pour les citoyennes et les citoyens de cette province. En tant que président de l’organisme porte-parole de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, j’espère que votre arrivée à l’Assemblée législative nous permettra de mettre cette période amère derrière nous afin que nous puissions enfin diriger nos énergies vers la remise sur pied de notre province.
En tant que premier ministre, vous faites face à de nombreux défis aussi économiques que sociaux. En effet, vous arrivez au pouvoir alors que notre province se voit de plus en plus divisée selon des frontières linguistiques et géographiques ; le résultat, entre autres facteurs, de l’incapacité du gouvernement précédent à atténuer les tensions linguistiques qui bouillonnent sous la surface depuis de nombreuses années. D’emblée, je soulève ce point non pas pour semer davantage la division, mais simplement pour faire état des choix politiques des Néo-Brunswickois et des Néo-Brunswickoises tels qu’exprimés lors des deux dernières élections provinciales. Vous n’avez qu’à regarder une carte électorale du Nouveau-Brunswick pour réaliser que nos deux solitudes semblent malheureusement vouloir devenir de plus en plus solitaires.
Il serait naïf d’ignorer le fossé qui se creuse entre nos deux communautés de langues officielles et de ne pas reconnaître l’effet néfaste qu’a eu la montée de l’Alliance des gens sur les relations entre les anglophones et les francophones de cette province. Bien que nous puissions être en désaccord sur certains aspects pointilleux de nos politiques linguistiques, il est très inquiétant pour les Acadiens et francophones de voir un parti à l’Assemblée législative qui a réussi à se faire élire sur une plateforme qui remet en question le contrat social, ainsi que les droits fondamentaux de nos deux communautés linguistiques, tout en faisant de la communauté acadienne le bouc émissaire de tous les problèmes de la province. Malgré les avancements des dernières décennies, il y a un sentiment palpable chez les Acadiens et francophones que nous sommes témoins d’une période de recul quant à nos droits linguistiques collectifs. Ceci ne peut avoir comme effet que de miner le tissu social du Nouveau-Brunswick.
Cela dit, je tiens à vous rappeler qu’en tant que premier ministre, c’est votre rôle d’œuvrer vers la promotion de l’harmonie sociale, et ce faisant, vers la reconnaissance des droits fondamentaux des citoyennes et des citoyens de cette province. Le fardeau tombe donc sur vos épaules de démontrer une compréhension profonde des besoins et des aspirations de la communauté acadienne et francophone de la province que vous dirigez, et ce malgré l’absence d’une forte présence acadienne au sein de votre caucus.
Permettez-moi donc d’être très franc : dans le contexte actuel, et compte tenu de vos antécédents politiques ainsi que de votre proximité avec l’Alliance des gens, toute attaque envers les droits des francophones sera perçue comme un affront contre la communauté acadienne et francophone de cette province. Suffit de dire que vous avez une longue pente à remonter si vous voulez gagner la confiance de la population acadienne. Toutefois, permettez-moi de vous assurer que ce n’est pas une tâche impossible pour autant.
L’Acadie vit actuellement un moment de bouillonnement culturel et artistique rarement vu de son histoire. Vous n’avez qu’à embrasser cette culture, comme l’ont fait certains de vos prédécesseurs conservateurs, pour qu’elle vous ouvre grand les bras. D’ailleurs, dans les années à venir, vous aurez plein de belles occasions de démontrer votre engagement envers la communauté acadienne, tout en respectant sa spécificité culturelle et linguistique. Je pense notamment ici au 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 2019, au Congrès mondial acadien qui aura lieu à l’Île-du-Prince-Édouard et dans le sud-est du Nouveau-Brunswick en 2019 et aux Jeux de la francophonie internationale à Moncton en 2021. Enfin, un de vos plus grands tests en tant que leader politique sera la révision de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, qui devra se terminer avant le 31 décembre 2021. Vous aurez donc plusieurs occasions de démontrer que vos idées à l’égard de la communauté acadienne ont effectivement changé depuis votre jeune temps.
Bref, travaillons ensemble pour réduire le fossé qui se creuse entre nos deux communautés. Abordons ce travail tout en respectant les spécificités de chacun. Je suis de l’avis qu’un Nouveau-Brunswick mature serait capable de reconnaître qu’il y a de multiples peuples qui occupent son territoire ; des peuples qui ne partagent pas les mêmes langues, les mêmes références culturelles, les mêmes interprétations de l’histoire et qui ne partagent peut-être pas les mêmes visions de leurs avenirs respectifs. Reconnaître ceci ne serait pas la fin du Nouveau-Brunswick, mais plutôt un premier pas vers la reconnaissance d’une réalité qui existe depuis la fondation de notre province.
Sur ce, je vous laisse avec une citation d’un grand leader de la communauté acadienne, le défunt père Léger Comeau : «Je suis un Acadien. Je suis Canadien dans la mesure où le Canada m’aide à demeurer Acadien».
À propos…
Natif de Bathurst, Robert Melanson a étudié au Département d’art dramatique de l’Université de Moncton, ainsi qu’à l’École nationale de théâtre du Canada, où il devint le premier Acadien à être accepté en interprétation. Outre son travail dans le milieu théâtral, Robert a été propriétaire et directeur de la Librairie La Grande Ourse pendant plus de 25 ans, où il était responsable de la vente et de la promotion du livre francophone dans les quatre provinces atlantiques. Robert a également été impliqué à titre de bénévole dans de nombreuses organisations culturelles telles que le Festival Frye, les Éditions Perce-Neige, le FICFA et le Festival Inspire. Il est actuellement président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick.