Ce texte a d’abord été lu à haute voix lors une soirée du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick le 15 mars 2017. Il a, par la suite, été retouché pour publication dans Astheure.
Ces derniers jours, j’ai eu vent de commentaires de la part de personnes qui ne comprennent pas pourquoi Telefilm Canada et l’ONF lancent des projets spéciaux pour viser la parité homme-femme en cinéma. Quand j’avais 13 ans, Jane Campion a gagné la Palme d’Or pour son film The Piano. Même si je ne le réalisais pas complètement à cet âge-là, c’était un des moments les plus importants de ma vie. Parce que ça me donnait un modèle. À mon image. Et ça n’arrive pas souvent dans l’industrie du cinéma. Le patriarcat affecte le monde du cinéma en général, et mon monde du cinéma plus personnel, d’innombrables façons. J’en fais ressortir quelques-unes ici.
Le patriarcat en cinéma, c’est : le test de Bechdel. Il s’agit d’un test qui a été créé pour déterminer s’il y a un minimum de présence féminine dans un film. Surtout pour démontrer l’absurdité de la non-présence féminine au cinéma. Tout ce que ça prend pour réussir ce test, ce sont deux personnages féminins qui ont un nom, et qui se parlent entre elles à un moment donné dans le film, d’un sujet autre que les hommes. On parle vraiment d’un minimum, on est très loin de l’égalité. Et il y a presque la moitié des films qui échouent lamentablement ce test. Les trois premiers Stars Wars, malgré la merveilleuse Princess Leia, ne passent pas le test. Une femme est une femme de Godard. Tu croirais qu’avec un titre comme ça… Et non! Même Frida, un film sur Frida Kahlo, échoue le test de Bechdel. Complètement absurde.
Le patriarcat en cinéma, c’est : quand j’suis une réalisatrice sur un plateau de tournage ou dans une salle de montage et que je donne des indications, puis que l’équipe attend que mon collègue masculin répète la même chose avant d’agir. Ouin. «S’cuse, j’ai juste un bac en photo, j’comprends pas vraiment comment ça marche le cadrage ou l’éclairage, merci de prendre les décisions à ma place».
Le patriarcat en cinéma, c’est : grandir avec l’idée que tu recevras jamais les plus grands honneurs. Sur les 62 Palmes d’Or, Jane Campion est toujours la seule femme à l’avoir emportée. Et en 89 années d’Academy Awards, il y a juste Kathryn Bigelow qui a eu l’Oscar de Best Director avec son film The Hurt Locker, qui en passant, ne réussit vraiment pas le test de Bechdel. C’est ça le message qu’on reçoit, en tant que femme. Faut-il présenter un univers masculin pour être récompensée?
Le patriarcat en cinéma, c’est : sur un plateau de tournage, essayer du mieux que je peux d’être une figure d’autorité, pendant que mes collègues masculins m’appellent «Chère» ou «Sweetie» ou «Ma Belle» devant mon équipe. Ça n’améliore pas ma crédibilité aux yeux des autres, ça n’améliore pas ma confiance en mon autorité non plus.
Le patriarcat en cinéma, c’est : voir des actrices hyper talentueuses abandonner parce qu’elles ne trouvent pas de rôles après l’âge de 30 ans, mais glorifier des acteurs masculins de tous âges, et même montrer que c’est OK en 2017, qu’un homme accusé d’agression sexuelle gagne l’Oscar du meilleur acteur.
Un dernier exemple, et le plus honteux pour moi à admettre… Le patriarcat en cinéma, c’est : écrire des scénarios avec des rôles masculins et féminins, pour me rendre compte que je tombe moi-même dans le panneau. Moi, la femme, la féministe, je me surprends à reproduire les mêmes patterns des scénarios que j’ai vu à l’écran toute ma vie : un homme, ça doit faire ça, une femme va sûrement réagir comme ça. Moi aussi, il m’arrive inconsciemment d’écrire des stéréotypes de genres, parce que j’ai été influencée par un cinéma conçu par des hommes.
Bref, c’est pour cette raison que le changement doit venir d’un effort délibéré et conscient de tout le monde. Parce que ce n’est pas évident de se défaire des modèles, des images qu’on voit sur nos écrans depuis des décennies. Et pourquoi est-ce vraiment important de produire du cinéma plus égalitaire et de consommer du cinéma égalitaire? Parce que c’est un art qui a beaucoup d’influence sur les perceptions qu’on a de nous-mêmes, sur les perceptions qu’on a de la société qui nous entoure.
Si j’ai un souhait pour l’avenir des femmes en cinéma, c’est que la prochaine génération de filles ait beaucoup, beaucoup plus de modèles de femmes influentes et reconnues, devant et derrière la caméra (et je pense que ça commence enfin à être bien parti).
Je voudrais vraiment voir une petite fille grandir en croyant sincèrement qu’elle a autant le droit que son frère de rêver à son Oscar ou sa Palme d’Or. Que c’est pas juste un miracle qui arrive une fois par siècle.
À propos…
Emmanuelle Landry est une scénariste, réalisatrice et actrice de Moncton. Elle est aussi locutrice/sous-titreuse à Radio-Canada Acadie depuis 2008. Grande consommatrice de culture locale, elle s’intéresse particulièrement au développement du cinéma de fiction en Acadie.