Boisvert, Alain Pierre. Mépapasonlà, Ottawa, Éditions David, coll. « Indociles », 2016, 221 p.
Mépapasonlà, c’est l’histoire de Mathu et Ricky, les deux pères de Jacob. Cette famille cute à l’excès profite des bons moments de la vie en passant sans trop de mal par-dessus les quelques embûches qui se dressent sur son chemin. Le texte, parsemé de clins d’œil aux expressions enfantines de Jacob et de blagues, entraîne le lecteur dans le cocon familial des personnages.
Le ton soutenu de la narration côtoie sans problème une langue très orale, volontairement exagérée dans certains dialogues, touche d’humour parsemant le propos qui ne se veut pas une apologie du français ou de ses régionalismes. Une poésie, tour à tour amoureuse et enfantine, parsème le texte et sait demeurer touchante, sans trop verser dans le lyrisme ou la guimauve, cependant. Provoquant un changement de registre qui se reflète dans la trame narrative, les poèmes font aussi office d’aveux ou de synthèse. À travers eux, les protagonistes arrivent à se mettre à nu ou à panser leurs blessures bien plus efficacement que par la parole. Grâce au dialogue, à la poésie et même aux textos, le roman parvient à un équilibre très intéressant entre oralité et textualité, ce qui rend la lecture extrêmement dynamique.
Avec sa couverture ludique particulièrement accrocheuse, Mépapasonlà s’adresse à un public jeune et moins jeune, mais définitivement adulte. Ce premier roman met en scène une famille homoparentale sans éprouver le besoin de développer tout un discours sur l’orientation sexuelle ou sa légitimation, ce qui est extrêmement rafraîchissant. Bien que le roman se déroule en Acadie, il n’est pas non plus centré autour d’un discours identitaire. Il plante plutôt un décor résolument contemporain. Cependant, on fait la part belle à une culture omniprésente et surtout éclectique où La Bohème côtoie Édith Butler et Trans Akadi sans trop de heurts. Alain Pierre Boisvert assemble pour son lecteur une mosaïque ou plutôt un patchwork narratif à la fois original et près de ses racines qui s’attache aux pas de la petite famille. Entre les retours en arrière et les clins d’œil au futur, on ne peut s’empêcher de s’attacher à Mathu, Ricky et Jacob pour qui la vie est un voyage sans fin.
Boisvert aborde l’aventure de la paternité avec humour et tendresse, mais également avec un enthousiasme débordant et, je dois l’avouer, contagieux. Entre grands apprentissages, petites victoires et quelques détours en cours de route, Mépapasonlà se penche sur ce défi quotidien que peut être la vie de famille, surtout si l’on n’entre pas dans le moule consensuel que certains choisiront pour nous. S’éloignant de la revendication, les personnages de Boisvert, eux, ont choisi le bonheur au détriment de la rancœur ou de la colère. Mathu et Ricky ont décidé de miser sur eux-mêmes, mais surtout sur la chose qui leur est la plus chère au monde : leur garçon, Jacob. D’un apprentissage à l’autre, ils enseignent à leur fiston que la recette du bonheur n’est pas écrite d’avance, mais que chacun peut s’en inventer une avec un peu de patience et une bonne dose d’énergie.
Malgré le ton le plus souvent ludique et léger du roman, Boisvert réussit le tour de force d’aborder des sujets plus épineux comme les préjugés et le deuil sans toutefois tomber dans le mélodrame. Le roman démarre avec une plainte à la protection de l’enfance, basée sur les préjugés homophobes d’une inconnue. Un obstacle de taille qui creuse une faille tout aussi immense dans la confiance jusque-là inébranlable de Mathu et Ricky envers la vie, mais aussi envers eux-mêmes. Cependant, cette plainte dénuée de sens ne trouvera pas grâce aux yeux du juge. C’est lorsque le lecteur croit que les personnages ont remonté la pente que l’auteur nous surprend encore, par la mort cette fois, mais surtout par ses suites. Le retour au quotidien à la fois attendu, mais extrêmement délicat, est abordé avec un doigté de maître. Boisvert joue sur la simplicité et l’attente, laissant les personnages être rattrapés par la réalité et vivre leur deuil au jour le jour, pour finalement apprendre à vivre de nouveau.
Mépapasonlà est une ode à la résilience, un parcours qu’il serait souvent facile d’abandonner, mais que les personnages poursuivent malgré tout, choisissant tout ce qu’il y a de bon dans l’existence, malgré les épreuves auxquelles ils sont confrontés. Ce premier roman d’Alain Pierre Boisvert est un chemin auquel il ne faut pas chercher de destination précise puisque c’est dans la progression que chacun trouvera son compte. En fait, Mépapasonlà fait penser à une crêpe beurre d’arachide, bananes, bacon : sans savoir à quoi s’attendre, on trouve que ça a l’air bon, mais, en fait, c’est génial. À lire sans modération pour les lecteurs au cœur d’artichaut comme pour les plus coriaces!
À propos…
Camylle Gauthier-Trépanier est étudiante à la maîtrise en lettres françaises à l’Université d’Ottawa. Elle parle trop vite, collectionne les romans en tout genre et adore dresser des listes (interminables) de projets plus ou moins réalistes.