Quelle serait votre réaction si on vous demandait d’étaler les détails juteux d’une relation sexuelle avec votre partenaire? Votre réponse serait-elle différente si on vous demandait de le faire devant vos parents, vos amis, un ancien partenaire, ou de parfaits inconnus?
Et si vous n’aviez pas consenti à cette relation sexuelle? Si pour que justice soit rendue, on devait étaler votre vie privée sur la place publique, avec vos sous-vêtements, littéralement, et possiblement des photos ou vidéos de vous, nu?
Eh bien, c’est ce qu’on demande aux personnes qui allèguent avoir été victime d’agression sexuelle dans le système pénal actuel.
Nombreuses sont les critiques qui ont été publiées depuis la tombée du verdict de non-culpabilité de Jian Ghomeshi le 24 mars dernier. Cet article ne vise pas à critiquer les valeurs fondamentales de notre système de justice pénale que sont notamment la présomption d’innocence, le droit au silence et le droit à une défense pleine et entière. Ce texte n’est pas non plus une critique du verdict rendu la semaine dernière, ni ne s’attarde à l’appréciation des faits dans la décision Ghomeshi.
Cependant, si « justice a été rendue », je m’interroge quant aux tenants et aboutissants de cette justice à l’heure où les victimes ne bénéficient d’aucune protection équivalente à celles des accusés.
Dans un procès civil, la personne lésée poursuit la partie qui lui a fait du tort. En matière criminelle, c’est l’État qui poursuit l’accusé au nom des personnes ou des entités lésées. Par conséquent, la victime n’a qu’un rôle de témoin. Or, dans les faits, il y a une différence fondamentale entre une victime et un témoin, du simple fait que les premières étaient le sujet du crime.
L’appareil judiciaire est complexe et ses spécificités sont souvent incomprises de la population générale. La simple idée de se présenter devant le juge est une source de stress et ce, même pour un avocat chevronné!
Nous sommes tous différents. Certains sont introvertis, d’autres extravertis; certains sont à l’aise à parler en public, d’autres préfèrent éviter le contact humain ou garder leur vie personnelle pour eux. Nos expériences sont différentes. Nos parcours de vie sont différents. Conséquemment, le fait de témoigner n’aura pas le même effet sur chacun de nous, et de ce fait sur notre témoignage.
Un des principes de base du système de justice criminelle est que la victime se doit de faire face à son agresseur. Il existe des dispositifs pour protéger les enfants puisqu’ils sont considérés vulnérables. Ils peuvent témoigner derrière un rideau, dans une salle ou devant le juge seul, selon la province. Ces méthodes permettent à l’accusé d’entendre le témoignage et de contre-interroger selon certaines balises, ce qui respecte le droit à une défense pleine et entière. Pour les adultes, seules les ordonnances de non-publication, méthode selon laquelle les parties demeurent anonymes dans les dossiers publics, et certaines autres mesures exceptionnelles sont disponibles. C’est dire que lorsqu’on atteint l’âge adulte, on perd le droit d’être vulnérable.
Il semble que le système de justice pénale actuel soit fait pour entendre l’histoire de victimes parfaites, parce que les excuses sont faciles et les stéréotypes accrocheurs.
La victime doit être une femme, parce que les hommes, les vrais, ne peuvent pas se faire violer.
Il serait préférable que l’individu en question n’ait jamais eu de relation sexuelle ou un seul partenaire tout au plus, parce que c’est à elle de ne pas coucher avec n’importe qui.
Ses préférences sexuelles doivent être dans la moyenne, ordinaires. Après tout, c’est de sa faute si elle aimait ça rough.
Il faut porter des vêtements amples, non-révélateurs qui ne laissent voir aucune courbe. Parce qu’elle n’avait qu’à se couvrir.
Mieux vaudrait qu’elle n’aie jamais donné de deuxième chance à personne. Sinon elle pourrait avoir l’air d’en redemander, parce qu’elle avait caché une partie de l’histoire. La victime n’a pas droit à l’erreur, ni d’avoir fréquenté une « erreur ». Oui mais, elle l’a cherché. Parce que rien qu’à voir, on voit bien!
On demande par ailleurs aux victimes de répéter leur histoire à maintes reprises. D’abord à un ami, ensuite à la police, à l’enquêteur, au procureur, à l’autre procureur qui prendra le dossier pendant le congé parental ou maladie du premier, à la conférence préparatoire, au procès, aux médias, et avec un peu de chance, peut-être à un psychologue ou à un travailleur social.
Ce processus force les victimes à revivre chaque fois l’expérience traumatisante qu’elles ont vécu. Pas besoin de savoir additionner pour faire le calcul et en conclure que c’est assez pour décourager les victimes de porter plainte ou d’aller jusqu’au procès.
Je ne crois pas qu’il y lieu de réduire les droits des accusés. Ces garanties juridiques ont été difficilement acquises et ont leur raison d’être. Je crois qu’il faut plutôt remettre en question le fait de traiter les agressions sexuelles de la même manière que les bagarres au coin d’une rue ou une transaction de drogue. Les victimes ne devraient-elles pas bénéficier de garanties juridiques équivalentes à celles des accusés ?
Si la majorité des victimes d’agression sexuelles sont des femmes, il reste que les hommes sont aussi victimes de violence sexuelle. De plus, ils constituent la quasi-totalité des agresseurs. Il s’agit donc d’un problème de société, au même titre que la place des victimes dans le système pénal actuel, sur lequel il faudrait se pencher.
À propos…
Citoyenne du monde aux racines acadiennes, Marie-Hélène Haché est bachelière en criminologie et sociologie, titulaire d’une licence en droit civil et d’un Juris Doctor. Elle pratique le droit à Fredericton, Nouveau-Brunswick. Quoique très pragmatique, elle prend plaisir à reconstruire le monde.
C’est vrai que ça serait pas mal pratique si les victimes avaient le droit de mentir devant la cour comme ce fut le cas pour Lucy Decoutere dans l’affaire Ghomeshi. On pourrait leur demander de jurer de dire une partie de la vérité plutôt que toute la vérité.