Réflexions sociologiques sur la toponymie des écoles francophones au Nouveau-Brunswick – Marilyne Gauvreau

         Lors de l’inauguration officielle de la salle Claude Picard au Centre Maillet de Saint-Basile en juin 2014, mes pensées balbutiaient en regardant les magnifiques peintures réalisées par cet artiste régional de renommée internationale. C’est à ce moment précis que j’ai pris conscience à quel point nous ne connaissons pas nos leaders acadiens qui ont joué un rôle crucial dans le déploiement de notre identité collective. Parmi les descriptions des œuvres d’art présentées pendant cette soirée, j’ai découvert qui étaient le Dr. Albert-M. Sormany et l’abbé Thomas Albert. Pourtant, c’est un peu étrange que nous négligeons la mémoire de ces personnes dont nos écoles portent leur nom. Heureusement, des gens comme Claude Picard ont réussi à faire revivre ces personnages historiques à travers la culture artistique. Il est dommage qu’à l’intérieur de nos institutions scolaires on ne nous raconte pas l’histoire en commençant, en tout premier lieu, par celle de notre milieu local. Les élèves sont ignorants de l’histoire des pionniers dont leur propre école porte le nom. Ne soyez pas surpris du fait que j’ai seulement appris qui était Alexandre J. Savoie, ayant pris part à la fameuse « Patente » des provinces Maritimes (l’Ordre de Jacques-Cartier), pendant mes études universitaires. Quelle indignation!

Or, vous l’avez peut-être déjà remarqué, mais, depuis les dernières années, la plupart des nouvelles écoles francophones construites au Nouveau-Brunswick sont nommées selon des critères dépersonnalisés et anhistoriques. Nous n’avons qu’à penser à l’Odyssée de Moncton, le Centre d’apprentissage du Haut-Madawaska à Clair et l’école La Mosaïque du Nord à Balmoral. Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce que notre société serait devenue, tout à coup, amnésique? J’évoquerai, selon moi, quelques explications possibles qui relèvent d’une perspective sociologique afin de mieux appréhender ce nouveau phénomène contemporain associé à la toponymie de nos écoles francophones.

Tout d’abord, je crois que nous assistons à un déficit de mémoire, tant sur le plan collectif qu’individuel. L’expression de nos voisins québécois « Je me souviens » n’a soudainement plus de sens. Au cours des vingt dernières années, la toponymie des nouvelles écoles reflète une désincarnation de notre patrimoine au profit de noms tirés d’un lexique comportant parfois des termes inclusifs, territoriaux ou dépersonnalisés. Autrefois, les écoles étaient nommées en référence aux personnes qui ont contribué à l’histoire de leur communauté régionale. Il s’avérait, à cette époque, important de ne pas oublier ces activistes qui provenaient de divers milieux : politique, culturel, religieux et professionnel. Le souci du legs à la prochaine génération par la toponymie représentait une façon visible de reconnaître les figures incontournables de notre passé.  En ce sens, l’école était perçue comme une institution capable de faire revivre une mémoire collective dans sa communauté et chez les futurs citoyens de demain. Aujourd’hui, les écoles récemment construites portent des noms désincarnés. L’école des Pionniers, le Sommet, le Mascaret et les autres exemples mentionnés plus haut confirment cette réalité.

 

École A. J. Savoie

Mindy M. Photographie

À mon avis, je constate que notre imaginaire occidental contemporain et ses valeurs affectent, non seulement la société canadienne et ses institutions au sens large, mais aussi nos communautés francophones au Nouveau-Brunswick dans ses manières de penser, de faire et de s’auto-représenter. Même si nos leaders acadiens n’appartiennent désormais plus à l’élite clérico-professionnelle, il existe toujours à l’heure actuelle des militants qui ont contribué et contribuent encore à l’avancement de notre chère Acadie. Pourquoi ne pas nommer nos futures écoles à l’honneur de Jean-Marie Nadeau, de Claudette Bradshaw, d’Antonine Maillet et j’en passe? Il faudrait y réfléchir.

Ensuite, notre mémoire est défectueuse pour deux raisons. D’une part, nous oublions assez rapidement dans cette ère de l’information instantanée. Quand nous sommes débordés d’événements ici et là dans notre « village global », les souvenirs deviennent évanescents. La mémoire individuelle et la mémoire collective deviennent paralysées par la vitesse ahurissante à laquelle l’information circule. Est-ce pour cette raison qu’on oublie facilement d’enseigner aux jeunes le parcours historique du personnage qui se situe le plus près de nous dans notre école? Bien souvent, la proximité nous rend aveugle. D’où l’importance de la toponymie pour nous rappeler, quand nous visitons des lieux, qui nous sommes en tant que membres d’une communauté. D’autre part, la mondialisation rend les frontières davantage perméables, voire même invisibles. Ce phénomène a, sans aucun doute, des conséquences importantes sur le choix de la toponymie des institutions scolaires. Les autorités politico-administratives ont probablement peur de favoriser notre culture au détriment des autres cultures et veulent démontrer que l’école se veut une institution inclusive. Bref, notons que la toponymie, quant à elle, demeure permanente. Elle est aussi une mémoire vivante. Elle peut s’avérer fondamentale pour les communautés francophones en situation minoritaire et elle peut notamment enrichir les connaissances des nouveaux arrivants sur notre culture.

Enfin, la dépersonnalisation accélérée de la toponymie de nos écoles francophones est, à mes yeux, due aussi à une autre réalité. Jadis, nous étions une société de mémoire. Maintenant, c’est le savoir qui prédomine notre organisation sociale. Entre ces deux périodes, on retrouvait un équilibre relatif entre ces deux composantes. Or, la mémoire et le savoir ne sont désormais plus complémentaires. À vrai dire, le dernier l’emporte sur le premier. Les valeurs associées à la société du savoir engendrent des comportements qui propulsent la culture technoscientifique. Le récit historique perd sa place au profit de la réussite des objectifs d’apprentissage fixés par les professionnels de l’éducation. Toutefois, si vous allez lu la PALC (Politique d’aménagement linguistique et culturel), publiée en 2014 par le Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance du Nouveau-Brunswick, vous verrez que la mission éducative encouragée est double : la réussite scolaire et la construction identitaire des jeunes francophones sont inscrites à l’agenda. Est-ce que ces deux buts sont irréconciliables? Dans les faits, on remarque que le premier but l’emporte la plupart du temps, si on tient compte de tous les efforts déployés par les enseignant(e)s afin que leurs élèves performent lors des évaluations ministérielles. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres que j’ai choisi ici pour illustrer la gravité des valeurs axées sur la réussite, la performance et la compétitivité dans notre système éducatif.

Après avoir brossé ce portrait obscur de notre réalité sociale, je demeure convaincue que la réussite des élèves francophones peut s’enrichir de la construction identitaire. Un élève qui reconnaît son passé et celui de sa communauté s’apprête à mieux connaître son existence, à accéder plus facilement au monde du savoir et à y contribuer. D’ailleurs, un savoir mémorable est beaucoup plus riche qu’un savoir insignifiant et aseptique. On y devient attaché affectueusement et on cherche à le transmettre aux autres, peu importe leur lieu d’origine. En conséquence, je considère que l’aménagement linguistique et culturel, par l’entremise de la toponymie, s’avère une stratégie éducative que nous ne devrions pas négliger pour revitaliser nos communautés francophones. Soyons reconnaissants envers nos bâtisseurs. Ne craignons pas de les nommer et de les afficher fièrement sur la façade de nos établissements scolaires. Discutons de leurs contributions afin qu’ils ne soient pas seulement une « marque de commerce », à défaut de trouver une meilleure expression pour refléter l’état de notre ignorance envers les fondateurs de nos écoles.


À propos…

Marilyne Gauvreau

Marilyne Gauvreau est originaire de Saint-Quentin.  Elle détient un baccalauréat en science politique de l’Université de Moncton (2011) ainsi qu’une maîtrise en sociologie de l’Université d’Ottawa (2013). Elle est présentement inscrite au programme de doctorat en éducation à l’Université de Moncton. Parmi ses intérêts de recherche principaux, on retrouve la place de l’imaginaire en éducation, le mouvement de l’unschooling et la construction identitaire des jeunes en milieu minoritaire francophone

Ressource :

Projet de toponymie mené par le Conseil provincial des sociétés culturelles du Nouveau-Brunswick : http://www.cpscnb.com/projet-de-toponymie

3 réponses à “Réflexions sociologiques sur la toponymie des écoles francophones au Nouveau-Brunswick – Marilyne Gauvreau

  1. Ou est-ce que post-Université de Moncton, l’oeuvre d’éducation a eu comme objectif de nous libérer de notre acadianité (cauchemar historique) plutôt que de nous y ancrer pour mieux la faire évoluer?

  2. L’histoire des soeurs de Notre-Dame du Sacré-Coeur est sur le Web.
    Mère Marie-Anne – Suzanne Cyr (1851-1941)

    Fondatrice des Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur
    Femme de vision et de foi profonde, elle n’abandonne jamais son rêve de voir le peuple acadien se développer. Âgée de 73 ans, appuyée de 52 autres compagnes, elle fonde une nouvelle congrégation de religieuses qui se détache des Soeurs de la Charité de l’Immaculée-Conception en 1924.

  3. Analyse pertinente et d’actualité. Lors de l’exercice mise en place par la district et la province pour identifier un nom pour la nouvelle école acadienne de Moncton Nord, j’avais proposé (avec l’appui de plusieurs parents de la future école) le nom de Suzanne Cyr, fondatrice de la section francophone de la congrégation des soeurs de Notre-Dame du Sacré-coeur à Moncton. Cette suggestion m’avait été faite par madame Louise Imbeault qui jugeait important de reconnaître l’oeuvre colossale de Suzanne Cyr. Plusieurs la présente comme étant une pionnière de l’éducation en français à Moncton et dans le Sud-Est du NB – l’une des grandes acadiennes du 20e siècle. Et pourtant, le ministère à jugé que cette proposition émanant de la communauté posait problème (trop associée à la religion catholique m’a-t-on dit…) et a préféré utiliser son droit pour choisir une autre des trois propositions finalistes de l’exercice public. Pour ma part, il s’agissait là d’un manque de vision et une occasion exceptionnelle ratée de reconnaître la contribution d’une femme d’exception à la construction de l’Acadie contemporaine. Ce sera pour la prochaine fois, je l’espère.

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