Astheure, c’n’est pas taleure – Gilbert McLaughlin

-Gilbert Mclaughlin-

Cette phrase me rend souvent nostalgique, me rappelant ma mère qui poussait ces quelques mots en soupirant devant les petites misères de la vie. Ces quelques mots qu’on aurait pu si bien traduire par : « peu importe ce qui s’est passé, maintenant il faut faire quelque chose ».

Faire quelque chose de quoi ? De l’Acadie, bien sûr. Mais, est-ce une question qui est encore d’actualité? Pourquoi faudrait-il en faire quelque chose?

Nul besoin de rappeler que l’on est présentement dans un moment de l’histoire où l’idée d’une identité nationale n’est plus très populaire. Au contraire, on constate un déclin depuis les dérives de la Deuxième Guerre mondiale. Cette identité politique est souvent associée péjorativement soit au repli sur soi ou à la haine de l’autre. (L’ancien président français François Mitterrand ira jusqu’à affirmer que le nationalisme, c’est la guerre.) Il ne faut alors pas s’étonner de voir depuis des années certaines formations politiques, dont le Parti québécois, aux prises à de grandes difficultés lorsque vient le temps de définir le contour de leur nationalité.

Le relativisme culturel et l’individualisme n’ayant jamais été si répandus, on peut se demander s’il y a encore de la place dans le débat des idées pour discuter d’affirmation nationale et politique du vivre ensemble en Acadie. Car ce délaissement national se reflète déjà au niveau politique. Force est de constater qu’il n’y a pas eu en Acadie de proposition de projet politique collectif depuis le Parti acadien. Les associations nationales semblent avoir abandonné le développement global de la cause acadienne en le remplaçant par du développement communautaire où différents groupes de pression protègent leur propre intérêt; comme l’a déjà si bien dit Jean-Marie Nadeau, par du « militantisme subventionné ». Pendant que le pourcentage d’Acadiens des Maritimes décroit, les luttes sociales et politiques s’orientent de plus en plus vers la défense des droits individuels aux dépens des droits collectifs.

Bien sûr, il n’y a peut-être rien de mal en soi dans ce que je viens d’énumérer. On peut très bien faire le choix de ne pas avoir de projet commun. On peut collectivement décider de reléguer notre acadianité à la sphère du privé. Néanmoins, il faut quand même accepter les conséquences de ce choix. Si l’on s’identifie seulement en tant qu’individu détaché de sa collectivité, au nom de quoi peut-on protester contre un gouvernement qui veut nous envoyer travailler à l’autre bout du pays?

Quand l’on sait que s’assimiler aux Anglais et quitter l’Acadie offre souvent de meilleurs bénéfices salariaux et l’accès à de meilleures conditions sociales, il faut se demander pourquoi des gens choisissent encore de rester en Acadie. Les Acadiens qui font ce choix en dépit (dans plusieurs cas) de ces bénéfices ne le font pas par paresse ou par peur de l’inconnu. Au contraire, plusieurs de nos parents ont très bien compris l’importance de la communauté pour leur qualité de vie. On peut alors se demander si la culture est plus importante dans notre développement personnel que ce que les idéologies dominantes de l’époque voudraient bien nous faire croire.

Il faut le rappeler, la bien-pensance libérale (idéologie dominante de l’époque) s’acharne à nous faire croire que les identités collectives et la tradition mènent au repli sur soi et constituent autant de barrières à l’émancipation individuelle. Au contraire, l’identité culturelle est, à mon avis, la première source de notre liberté et de l’ouverture au monde. La culture est constitutive de la personne que l’on est. On devrait alors se méfier du discours des cultures dominantes qui proposent de nous libérer de l’emprise identitaire en proposant d’adopter leur mode de vie. Aux prises avec une identité et une langue que nous n’avons pas librement choisies, la réelle liberté ne pourrait-elle pas se retrouver, paradoxalement, dans l’attachement envers celles-ci ? Ce choix nous offre une grande liberté, soit celle de redéfinir qui nous sommes. Celle de mieux nous connaitre et de donner un sens à cet héritage, au passé, au présent et au futur. Ici, toute la liberté du monde s’offre à nous.

Ça prend une vie pour être Acadien. Ce n’est quand même pas rien. Et bien qu’il nous soit possible de nous assimiler ou de nous exiler, le temps ne pourra jamais effacer les souvenirs de notre enfance, la mémoire de nos amis et de notre famille, des nombreux rassemblements et des festivités. Parce que c’est la culture qui rend un homme libre. Cela lui permet de se retrouver, et devant une histoire comme la nôtre, on ne peut qu’être fier d’y participer. Puisque nous n’avons pas seulement été déportés, l’histoire acadienne nous permet de nous inspirer à travers ses contes et légendes, ses héros et ses mythes montrant leur courage.

Ainsi, réserver notre identité à la sphère privée, c’est ramener tranquillement l’Acadie à se définir seulement à travers de son ethnicité. C’est devenir lentement une attrape-touriste lors de festivals traditionnels et de visites aux lieux historiques. Finalement, c’est devenir une Acadie qui a été, et être nostalgique devant une Acadie qui n’est plus.

Vivre la société acadienne suppose une communauté vivante, la capacité de s’organiser collectivement. Il est donc faux de dire comme chez certains romantiques que l’Acadie se trouve là où sont les Acadiens. Comme dirait Joseph Yvon Thériault, il peut bien y avoir une grande population acadienne à Ottawa, pourtant, « assurément l’Acadie n’y était pas ».  Il faut une communauté nationale pour qu’une société politique prenne forme.

Alors, l’Acadie doit se vivre, se penser, et se faire. Mettre de côté nos intérêts personnels et associatifs pour réfléchir à ce qui nous rassemble, ce qui nous unit d’un village à l’autre. La culture devient alors un aspect important de nos vies. L’amour de sa patrie étant l’un des rares biens dont le partage rend plus riches. Elle nous appartient collectivement, devenant trop souvent, comme dirait Jean Jaures, « le seul bien des pauvres ».

J’irais plus loin : il est peut-être le temps de recréer l’Acadie, de la réinventer. De la construire à notre image. Il est peut-être le temps de nous accorder la liberté de penser notre autonomie. Il faut sortir des dépendances gouvernementales afin de prendre contrôle de notre destin. Il ne faut pas se faire d’illusion, le travail est difficile. C’est un labeur de tous les jours qui doit prendre place dans nos communautés.

Une plateforme web comme Astheure ne peut avoir la mission de changer le visage de l’Acadie. Néanmoins, elle offre un espace de discussions à tous ceux qui sentent l’urgence de prendre la parole, quitte à être parfois impoli, afin de dire et redire l’Acadie. Donner la chance non pas à une quelconque relève (comme si l’avenir de l’Acadie était dans les mains de quelques individus), mais à la diffusion d’une multitude d’idées qui ne sont pas diffusées dans l’espace social.

Quels que soient les défis, le but n’est pas de nous figer dans l’histoire, mais bien d’en retirer des enseignements pour bien affronter le futur et se battre pour améliorer notre quotidien. La tâche sera ardue, il faut se l’avouer. Mais devant les défis qui nous attendent, il faudra bien qu’on se le dise constamment, « Astheure c’n’est pas taleure ».

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