L’immersion française au Nouveau-Brunswick en prend encore un coup – Jeanne Renault

Les Commissaires Finn et McLaughlin ont eu le double mandat de proposer «une révision de la Loi sur les langues officielles du N.-B et l’amélioration de l’apprentissage d’une seconde langue officielle au Nouveau-Brunswick». En juxtaposant ces deux éléments, celui qui a fixé le mandat donne l’impression qu’ils sont en lien, alors que ce n’est pas le cas. La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick garantit des services publics à tous les citoyens dans LEUR langue. Il est donc clair que la Loi sur les langues officielles n’impose à aucun citoyen de notre province d’être bilingue, au contraire.

En abordant le deuxième volet de leur mandat, soit l’amélioration de l’apprentissage d’une deuxième langue au Nouveau-Brunswick, les Commissaires proposent «d’abolir le système d’immersion et de le remplacer par un système plus inclusif».

Des parents anglophones éclairés ont voulu, dès les années 60, que le système d’éducation anglophone mette sur pied un système d’immersion où les enfants apprendraient le français dès la première année avec l’objectif de devenir bilingues à la fin de leur douzième année. Notons que le Nouveau-Brunswick fut l’une des provinces où le programme d’immersion a connu le plus de succès. Aujourd’hui, l’ensemble des provinces et des territoires, sans exception, offrent un programme d’immersion à leurs élèves.

Le programme d’immersion, avant d’atteindre sa vitesse de croisière, a progressé de façon considérable et le succès de ce programme fut non seulement incontesté, mais admiré et le modèle fut adopté dans plusieurs pays du monde. Pourtant, après l’an 2000, au cours d’une seule décennie, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a choisi par trois fois, d’apporter des changements au niveau d’entrée du programme d’immersion.

Et voilà que les Commissaires Finn et McLaughlin proposent, en 2022, que le programme d’immersion «soit aboli et remplacé par un programme plus inclusif». Que se passe-t-il au Nouveau-Brunswick, de la part du gouvernement provincial et maintenant de ces deux Commissaires qui emboîtent le pas, pour que soit remis en question, encore une fois, le système d’immersion française dont les preuves d’efficacité ne sont pourtant plus à faire? Que se passe-t-il dans notre province, la seule bilingue du pays, pour qu’il y ait tant de positions réfractaires au programme d’immersion alors que la valeur de ce programme n’est remise en question par personne, ni dans les autres provinces, ni dans les territoires?

Les Commissaires affirment eux-mêmes, que non seulement le programme d’immersion fonctionne bien, mais que 90% des étudiants dans le système d’immersion réussissent à converser dans leur deuxième langue. En conséquence, puisque le succès du système d’immersion est reconnu et incontestable, pourquoi les Commissaires voudraient-ils que le Nouveau-Brunswick revienne à un enseignement du français d’avant les années 60, un système qui ne donnait pas les résultats escomptés? L’expérience en enseignement des langues secondes nous démontre que même un programme de français enrichi n’aurait pas le succès retentissant du système d’immersion. Cette proposition des deux Commissaires est incompréhensible! Elle est non-fondée, en plus d’être rétrograde et injustifiée. Vue sous l’angle de l’acquisition d’une langue seconde, elle ne nous apparaît pas reposer sur des notions pédagogiques solides qui, ne l’oublions pas, doivent favoriser le début de l’acquisition d’une deuxième langue entre trois et six ans.

Alors pourquoi les deux Commissaires proposent-ils de niveler vers le bas? N’aurait-il pas été plus logique de proposer la continuation du programme d’immersion, tel que conçu, tout en suggérant que les cours de français de base soient enrichis et mieux adaptés à notre province? Pourquoi faut-il choisir entre les deux apprentissages du français et annuler celui qui fonctionne bien ici et à travers le pays? Nous ne croyons plus aujourd’hui aux valeurs de l’approche unique pour tous. Il y a sûrement de la place pour deux approches face à l’acquisition des langues secondes.

Les parents anglophones du Nouveau-Brunswick auront certainement leur mot à dire face à des changements aussi importants. Toutefois, un nouvel élément apparaît ces dernières années et celui-ci pourrait éclairer le débat. Bon nombre de parents anglophones d’aujourd’hui sont eux-mêmes des diplômés de l’immersion. Ils comprennent donc la valeur du système de l’immersion dont ils sont les produits et, souhaitons-le, le défendront.

Pourquoi la communauté francophone doit-elle s’intéresser à la discussion entourant le programme d’immersion et le soutenir? Plusieurs raisons. Dans leur milieu de travail, les francophones auront toujours des collègues de travail qui seront anglophones. Dans le premier volet «Loi sur les langues officielles», les Commissaires demandent que les francophones employés dans la fonction publique provinciale puissent travailler dans leur langue. Cette proposition, remarquons-le, entre en conflit avec leur proposition d’abolir le système d’immersion. Car le français comme langue de travail ne deviendra une réalité que lorsque la fonction publique provinciale sera composée d’un nombre important de francophones et d’anglophones bilingues dans toutes les régions de la province. Il n’y a presque que le cours d’immersion française qui puisse permettre à un anglophone d’atteindre un niveau de français où celui-ci sera capable de travailler dans sa deuxième langue.

Le bilinguisme chez un plus grand nombre d’anglophones facilite et enrichit le «vivre ensemble». L’augmentation du nombre d’anglophones bilingues fera du français une langue beaucoup plus utilisée au travail et dans la vie de tous les jours, ce qui aidera évidemment à réduire le taux d’assimilation de la communauté francophone.

En terminant, je me permets de faire une suggestion au premier ministre et au ministre de l’Éducation : la mise sur pied d’une commission sur l’enseignement des langues secondes dans notre province. Seraient invités des spécialistes de l’acquisition des langues secondes, des enseignants de ces matières et des étudiants issus de ce système d’enseignement. Les témoignages des premiers intéressés, soit ces étudiants, seraient des plus bénéfiques et un gain pour tous.

Une réforme n’a de sens que si elle démontre une amélioration du système existant. Or, je crains que les recommandations actuelles soient à courte-vue. Ainsi elles risquent de faire vivre des montagnes russes aux parties prenantes : les parents qui s’intéressent à l’acquisition d’une nouvelle langue chez leurs enfants, aux enseignants qui font un travail professionnel en la matière, aux directeurs d’écoles qui trop souvent, à l’approche de chaque nouvelle année scolaire, ne savent plus sur quel pied danser en matière d’enseignement des langues.

À la faveur d’un tel exercice, celui du travail d’intelligence procuré par un vrai débat entre personnes engagées dans ces programmes, les dirigeants politiques auraient alors l’information pédagogique nécessaire, voire indispensable, pour prendre une décision éclairée. Elle établirait les bases d’un ou des programmes d’enseignement pendant un bon nombre d’années à venir.

L’efficacité d’un gouvernement ne se mesure pas au nombre de réformes engagées mais à leur bien-fondé et à leur efficacité.

À propos…

Née à Campbellton, Jeanne Renault est diplômée du Collège de Bathurst et de l’Université de Toulouse (France) Le Mirail. Elle a, pendant près de 30 ans, représenté les Commissaires aux langues officielles du Canada à Ottawa, à Sudbury (Ontario) et au bureau de l’Atlantique (Moncton). À titre de bénévole, elle a œuvré dans des conseils d’administration au niveau d’un théâtre et d’une compagnie de théâtre, dans une maison d’édition, dans un festival de cinéma et dans le secteur de la santé. Elle est à la retraite depuis 10 ans.

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