À l’aube de l’exil – François Cormier

Accoudé sur le bout de la table de cuisine chez mes parents à Caraquet, je réfléchis au passé récent. Quelques mois auparavant, je vivais, indépendant, dans une grande métropole; Montréal. Grande cité où la diversité règne.

J’y vivais une vie bien remplie dans le beau quartier d’Outremont, au cœur de l’île, entouré de juifs hassidiques, le peuple le plus homogène au monde. Les hommes ont tous la même barbe hirsute, le même chapeau, le même costume. Les femmes ont toutes la même perruque, la même robe, la même bande d’enfants qui tournoient autour d’elles. Les enfants, c’est des enfants; ils avaient tous les yeux très grands quand ils me voyaient avec un cornet de crème glacée de la crèmerie du quartier, Le Bilboquet. Tous mes déplacements, je les faisais par la force de mes muscles en marchant, en vélo ou par la force du collectif en autobus, en métro. J’avais l’impression que chaque jour réservait une surprise ou une découverte. Certains matins, le métro ne fonctionnait pas (surtout pendant les manifestions étudiantes), on sortait dehors pour prendre l’autobus et c’était la confusion dans les rues; une symphonie de klaxons, des gens fâchés qui couraient dans tous les sens, un sans-abri qui souriait. D’autre fois, la surprise était plus douce; un vieil ami m’envoyait un message texte pour me dire qu’il avait ramené des côtelettes de porc salées de Caraquet et qu’il m’invitait à souper et à boire quelques bières chez lui. Ou encore, je découvrais, pendant des soirées festives, des gens, qui devinrent mes amis, qui venaient d’ailleurs, de France, de Belgique, de Syrie, du Liban, d’Italie, d’Angleterre, à qui je devais expliquer ce qu’est l’Acadie. Me revoilà en cette chère Acadie et accoudé sur le bout de la table chez mes parents, j’écris, je pense au futur rapproché et je souris.

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Vincent Leclair, avec recadrement

Je souris parce que je suis revenu aux sources, en Acadie, pour mieux repartir. Il est important de raviver ses forces avant d’entreprendre un nouveau voyage et sa terre natale est l’endroit idéal pour le faire. En terrain connu, l’esprit est moins sollicité, il peut mieux se détendre. Le vent salin et les vagues déferlantes ont tout ce qu’il faut pour revigorer un homme. Caraquet est une petite ville, mais elle m’impressionne toujours par son souffle de vigueur et de résistance. Présentement, les gens de qualité et les belles personnes qui l’habitent prouvent qu’elle prospèrera, même si elle est affligée par l’exode de ses jeunes. Un jour, je l’espère, ils retourneront y vivre. Je fais partie de ces jeunes qui partent vivre et travailler à l’extérieur des frontières. Il y a des bâtisseurs, ceux qui restent pour construire des bases solides et durables, et il y a des flâneurs, ceux qui, comme moi, préfèrent prendre leur temps sans destination précise. Rien n’empêche de commencer sa vie flâneur et de la finir bâtisseur et vice versa. Je vais avoir la chance de travailler dans un autre pays grâce à un programme vacances-travail. Le Canada détient des accords avec plusieurs pays qui permettent à ses citoyens âgés de moins de 30 ou 35 ans, dépendamment des ententes, d’aller travailler à l’étranger librement, presque comme s’ils étaient des citoyens dans l’état d’accueil, pour une période d’un an ou deux. Un programme idéal pour découvrir d’autres cultures.

Il y a un peu plus 400 ans, en 1604, Sieur Dugua de Mons, avec une petite colonie composée d’hommes seulement, entreprend la traversé de l’Atlantique sur un immense bateau à voiles avec l’ambition de devenir les premiers Français à habiter dans le Nouveau Monde. Assurément, pour partir comme ça sans aucune femme, c’est qu’ils n’avaient rien à perdre. Étaient-ce des voyous à qui on donnait une ultime chance de se racheter ou des volontaires qui espéraient y trouver un monde meilleur, ou encore des gens qui avaient soif d’aventures, qui voyaient en cette occasion une chance de vivre mille péripéties et de faire partie de l’Histoire? Probablement que c’était un mélange de tout ça. Ils devaient tous avoir un point en commun; le courage. Des hommes qui n’avaient pas froid aux yeux. Des hommes qui n’avaient pas peur de foncer vers l’inconnu, de découvrir, de mourir. C’est grâce à ces hommes que nous pouvons aujourd’hui dire « Je suis un(e) Acadien(ne) ».

Maintenant, en 2013, quelques centenaires plus tard, un jeune Acadien va entreprendre une traversée similaire, mais dans le sens contraire; de la jeune Amérique vers la vieille Europe. Ce qui devait être accompli par un grand effort collectif, on peut maintenant le faire par un effort individuel. Ce qui prenait des mois à traverser, on peut maintenant le faire en quelques heures. Le monde évolue. Certaines choses deviennent plus faciles, mais sur des bases de plus en plus complexes. Les principes du bateau à voiles sont plus faciles à saisir que ceux de l’avion. Mais quand même, il y a des choses qui ne changent pas. Le désir de conquête est toujours dans l’Homme. C’est ce désir qui a installé en moi la force de partir à nouveau. Au lieu de la conquête d’un continent, je me lance à la conquête d’un cœur, territoire unique pour lequel aucun guide de survie n’est disponible. Un territoire rempli d’embûches, d’obstacles, où il faut toujours être aux aguets ou à l’écoute des signes, où il faut déchiffrer les non-dits et communiquer les différends, les incompréhensions. L’amour, moteur intransigeant. L’amour, le tout ou rien. L’amour, force inconditionnelle perpétuellement renouvelée à travers les âges. C’est en suivant les lois indomptables de l’amour que je vais bientôt me retrouver sur le sol anglais, pour rejoindre celle que j’aime.

Je pars à la découverte d’une grande nation qui a changé, en bien ou en mal, le visage du monde actuel. Plusieurs des pays colonisés par les Britanniques font partie des pays où il fait le mieux vivre selon le dernier rapport de l’ONU, par exemple au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Je pars à la découverte d’une culture riche qui a donné naissance à de nombreuses légendes, du Roi Arthur aux Bealtes. Je pars vivre dans une culture parfois opulente, parfois bucolique, une culture unilingue. Je pars vers l’inconnu, mais surtout, je pars à la découverte de moi-même.

à propos…

François CormierFrançois Cormier, originaire de l’orgueilleuse et autoproclamée capitale de l’Acadie, a obtenu son diplôme pour le baccalauréat multidisciplinaire ès arts à l’Université de Moncton en 2010. Depuis, il est endetté, enjoué, rêveur et amoureux. Il a toujours été un fervent lecteur de littérature. Après avoir absorbé tant de récits romanesques, il a décidé de suivre l’exemple du fameux don Quichotte et, en décembre 2013, il est parti pourchasser les aventures sur les terres européennes. Son rêve : vivre de sa plume.

 

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