Dans un article paru le mois dernier dans le magazine McLean’s, David Suzuki déclarait que l’environnementalisme a échoué (« Environmentalism has failed »). Quelques jours plus tard, à l’occasion d’une conférence prononcée à Moncton, il expliquait que même si les défenseurs de l’environnement ont connu certaines réussites au cours des dernières années, le constat, dans son ensemble, en est effectivement un d’échec.
Selon Suzuki, les écologistes ont déployé tellement d’efforts à lutter pour des causes particulières et chercher le soutien du public qu’ils ont échoué l’essentiel, soit de définir et faire accepter un nouveau paradigme, une nouvelle façon de concevoir la place de l’être humain sur la planète. Si bien que les victoires qu’ils croyaient acquises dans des domaines comme l’exploitation forestière, les méga barrages, les oléoducs et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, n’ont été que des gains partiels et temporaires.
Lorsque j’ai entendu David Suzuki annoncer l’échec de l’environnementalisme, mon cœur s’est momentanément arrêté de battre. Même ses plus farouches détracteurs ont dû soudainement avaler leur salive. Mais, à vrai dire, les propos de Suzuki ne sont pas entièrement surprenants. Ils traduisent un point de vue très répandu au sein du mouvement aujourd’hui. Je m’explique.
Depuis la publication du livre de Rachel Carson, Silent Spring, en 1962, le mouvement écologiste a surtout tenté de prévenir l’humanité des dangers de l’exploitation débridée des ressources de la planète. Pour l’essentiel, ce message a été énoncé comme suit : « Si nous ne changeons pas nos modes de vie et nos façons de faire, nous allons causer des dégâts écologiques et économiques irréparables et nous en souffrirons. »
Malgré le martèlement constant de ce message au cours du demi-siècle dernier, force est de constater que la course à l’exploitation des ressources est toujours aussi effrénée. L’idéologie dominante et l’objectif politique recherchés partout au monde restent la croissance économique à tout prix. Pendant ce temps, les catastrophes causées directement par l’homme n’ont cessé de se succéder : déversements de produits pétroliers et chimiques, accidents nucléaires, surpêche, déforestation, pour ne nommer que celles-ci.
Oui, c’est vrai que le mouvement écologiste a réussi à faire passer, par-ci par-là, des lois pour protéger l’air, l’eau, les terres agricoles et les espèces en voie de disparition. C’est vrai aussi que des millions d’hectares de terres ont été protégés à travers le monde. Mais ne soyons pas dupes en croyant que cela est permanent. Ces lois et ces mesures sont constamment menacées partout au monde. Au Canada, au nom de la croissance économique, le gouvernement Harper a, à lui seul, réussi à affaiblir des dizaines de lois conçues pour protéger l’environnement. Récemment, en Australie, le nouveau Premier ministre Abbott a introduit un projet de loi pour abolir la taxe sur le carbone, une mesure durement acquise par le gouvernement précédent. Les exemples de ce genre d’érosion législative sont nombreux.
Donc, la danse continue. Un pas d’avant, deux pas derrière. Nous voilà en 2014, aux prises avec des problèmes d’accidents nucléaires, d’acidification des océans, de destruction accélérée de la biodiversité, d’épuisement des ressources et des changements climatiques. Chacun de ces problèmes peut en soi déstabiliser de façon inimaginable la vie humaine sur la planète. Jamais la menace n’a été aussi grande, et pourtant jamais l’objectif ultime de changer véritablement nos façons de faire ne semble aussi distant. L’être humain vaque à ses affaires comme si de rien était.
Ce constat d’échec du mouvement écologiste traditionnel a incité certains chefs de file à recadrer le débat. À quoi bon prétendre que globalement les choses vont s’arranger, demandent-ils. Mieux vaut se préparer au pire, localement. De cette idée est né un nouveau message qui s’énonce, grosso modo, comme suit : « nous avons causé des dommages écologiques et économiques irréparables et nous en subirons inévitablement les conséquences. L’avenir est à la résilience communautaire ».
Cette nouvelle approche, que certains nomment « post environnementaliste », a donné naissance aux mouvements « Transition » en Grande-Bretagne et « Post carbone » aux États-Unis. L’originalité de ces mouvements sur l’environnementalisme traditionnel tient en plusieurs points. D’abord, ils préconisent une vision de l’avenir qui est résolument optimiste, en ce sens où les crises, désormais incontournables, sont vues comme des occasions de changer radicalement la société actuelle. Ils sont aussi plus portés sur les solutions positives et locales que sur l’action politique traditionnelle, comme les manifestations. Ces mouvements sont aussi fortement axés sur la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et la reconstruction d’une économie locale vigoureuse sur une base plus durable.
Au Nouveau-Brunswick, voilà déjà plus de cinq ans que des organismes comme Transition Cocagne et Grand Moncton post carbone ont été fondés. Et d’autres groupes continuent de s’ajouter.
Tous ces « post environnementalistes » travaillent dans un esprit d’optimisme et de pragmatisme. Car s’ils ont perdu espoir dans la capacité de leurs gouvernements et des grandes institutions internationales à solutionner les problèmes, ils ont une confiance inébranlable dans le « local ». Ils croient foncièrement en l’aptitude des citoyens à s’adapter au changement et faire face à la crise, qu’elle soit écologique, énergétique ou économique.
À propos…
Depuis plus de 12 ans, Michel Desjardins se consacre sans relâche à des causes environnementales dans la région de Moncton. Il a notamment joué un rôle de premier plan dans la bataille pour la restauration de la rivière Petitcodiac. Il est aussi l’instigateur de plusieurs projets et organismes locaux, dont Grand Moncton Post Carbone.
Comme consultant, Michel Desjardins se spécialise en recherche communautaire, en développement organisationnel et en rédaction.