Je ne sais pas pourquoi Mon théâtre de Jules Boudreau n’est pas au programme des cours de théâtre dans chaque école acadienne (voire même dans les programmes d’immersion). Je ne sais pas non plus pourquoi ce n’est pas un livre mieux connu, et réédité. Regardons pourquoi il mériterait de l’être.
Publié en 1992 aux Éditions d’Acadie, Mon théâtre se divise en plusieurs parties. La première partie s’adresse principalement aux individus intéressés à en apprendre plus sur le théâtre (elle s’adresse davantage aux jeunes, mais véritablement, elle peut être de valeur à n’importe quel âge, si on veut en apprendre sur le théâtre). En premier, l’auteur explique les rôles dans le théâtre (acteurs, metteur en scène, etc.) et le processus de monter une pièce, avec des conseils. Il y a ensuite un bref lexique très pertinent de vocabulaire théâtral.
Cette partie est concise, autant dans sa longueur que dans les explications. Il n’y a pas de développement inutile, pas de blabla. Rapide à lire, aisé à comprendre. Pour toute personne qui veut en savoir plus, mais qui (comme moi) ne supporte pas les guides pratiques interminables où 15 pages couvrent ce qui pourrait être résumé en un paragraphe : ce livre est pour vous!
Suite à cette première partie, il y a trois courtes pièces. Elles sont de genres différents, mais ont comme trait commun d’être extrêmement comiques.
La première pièce, L’agence Belœil Inc., est un vaudeville avec tous les charmes du genre. Agréablement prévisible (on sait que ça va arriver, mais on espère que ça va arriver), personnages en archétypes sympathiques, etc., la pièce est mieux ficelée et a un bien meilleur rythme que beaucoup de vaudevilles que j’ai vus ou lus (et j’inclus là-dedans les vaudevilles en un acte de Tchekhov – que j’ai trouvés sauvagement ennuyeux – ou plusieurs des plus célèbres pièces de Noël Coward telle que Private lives).
La seconde pièce, Mon prince charmant, se présente comme une parodie musicale des contes de fées les plus connus. Ce Walt Disney-satire se moque de tout ce qu’on aime avec goût, c’est-à-dire sans nous retirer ce qu’on aime, sans le rabaisser, sans le rendre totalement risible.
La troisième pièce, La reine horse est une parodie d’une «monarchie que l’on ne nommera pas pour éviter les poursuites judiciaires». Mettant en place des jeux de pouvoir, des complots politiques, et deux-trois réflexions sérieuses sous un masque d’innocence hilarante, la pièce suit les actions d’une Première ministre avide de pouvoir, une reine insouciante, une princesse un peu lente, et un prince qui aimerait accéder au trône.
Fidèle à l’aspect pédagogique du livre, chaque pièce est précédée par un paragraphe qui explique les défis potentiels à la mise en scène (gestion de l’espace, chansons, etc.). Je trouve cela superbement bien pensé ; l’auteur met le doigt sur le défi, et invite le lecteur qui va lire la pièce à y réfléchir.
Toute personne qui veut juste lire un livre amusant, sans en apprendre sur le théâtre, peut simplement sauter la première partie et ces paragraphes, et uniquement lire les trois pièces.
En premier j’avais un peu peur, car le livre est présenté comme théâtre «pour les jeunes». Je trouve cela dommage, car le résultat est que, en tant qu’adulte, j’ai eu des appréhensions. Les pièces me parleront-elles? M’intéresseront-elles? Seront-elles un peu trop «faciles» si on a l’habitude de lire des pièces plus «matures»? Je savais que Jules Boudreau écrit bien, ayant lu et vu Louis Mailloux, et lu Cochu et le soleil, mais des pièces jeunesse feraient-elles mon affaire?
Le livre devrait plutôt se présenter comme «pièces tout public». Elles sont entièrement appropriées aux jeunes, mais comportent des dimensions qui parleront également (davantage, possiblement) aux adultes (je pense notamment à La reine horse). Les pièces qu’il contient ne sont pas épiques, ou expérimentales ; elles ne vont pas transformer notre compréhension du théâtre, etc. Ce sont de bonnes pièces, absolument divertissantes. C’est de valeur ; avec le nombre de drames contemporains que l’on nous sert, des comédies amusantes sans être bêtes, ça fait vraiment du bien.
Il pourrait être mis à jour à quelques endroits, par exemple il mentionne que les chansons dans Mon prince charmant ont été mises en musique, et qu’il est possible que l’auteur fasse parvenir une cassette audio avec les chansons à la demande. S’il est vrai que les hipsters ramènent les cassettes à la mode, il est concevable que les chansons puissent être autrement accessibles en ce jour. En ce qui me concerne, Mon théâtre est un trésor de notre littérature, que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir, et La reine horse fait désormais partie des pièces que j’aimerais énormément voir sur scène. Si vous avez la chance d’en trouver une copie, n’hésitez pas à vous la procurer.
À propos…
Thibault Jacquot-Paratte est écrivain, chansonnier et collectionneur de blagues bonnes et mauvaises. Il aime participer au monde du théâtre, ou au monde du film. Il a de nombreux textes publiés (trouvez en gratos via ecosia, ou achetez un de ses livres). Il a grandit en Nouvelle-Écosse, voyage compulsivement, apprend des langues (autant que sa tête le lui permet). Il a obtenu une maitrise en études nordiques de la sorbonne, a étudié en Finlande, en Norvège, et au Danemark aussi.