Georgian Bay. Courage : vol. 1 – Soleil [CD]. [s. l.], Georgian Bay, 1er juin 2018.
Il y a quelque chose de magique dans l’eau de la Baie Georgienne. Branche nord-est du Lac Huron, ses côtes ont inspiré les tableaux de Tom Thompson et du Groupe des sept. Ses eaux cristallines enchantent les vacanciers depuis des générations, mais de nombreuses épaves rappellent aussi la violence de ses orages imprévisibles. C’est un paysage où règnent à la fois la quiétude et un spectre qui guette juste sous la surface. Il est à propos que le tandem de Joëlle Westman et Kelly Lefaive ait adopté le nom Georgian Bay, en hommage à cette mer d’eau douce, puisque tout comme cette vaste étendue, la musique que signent ensemble ses deux femmes est tantôt sereine, tantôt foudroyante, toujours ensorcelante.
Courage, Vol. 1 : Soleil a été lancé en juin 2018 et regroupe sept titres. Il s’agit du troisième opus du groupe (Horizons, 2014 ; Patience, 2016). Comme le titre le laisse entendre, il s’agit de la première moitié d’un album en deux temps. Un album qui se veut une exploration de l’expérience humaine dans l’ombre et la lumière. Notons que la dualité est au cœur même du projet de Georgian Bay… né de la collaboration entre deux créatrices qui vivent et qui créent autant en français qu’en anglais.
Cet album ne contient qu’environ 25 minutes de musique, mais propose tout de même une palette musicale riche et variée dont l’auditeur ne se lassera pas rapidement.
Les premiers pouls de «Canyon» rappellent un battement cardiaque. C’est une chanson enlevante, remplie de variantes mélodiques qui portent la chanson vers son apogée : un pont où le rythme et la structure harmonique de la chanson changent brusquement, suivi d’un couplet et d’un refrain chanté a capella, en parfaite harmonie. Ça évoque Alison Krauss ou la famille Rankin.
C’est plutôt un twist des paroles qui nous accroche dans la chanson «Roi». C’est un conte de fées réinventé où une femme forte n’accepte pas d’être reléguée au rang d’une dame en détresse, au haut de sa tour. Nos héroïnes affirment la noblesse de leur féminité en chantant : «je ne suis pas une princesse/je suis un roi!». Une chanson identitaire bien ancrée dans la modernité. (La vidéo pour «Roi» vient de paraître, et est tout à fait à la hauteur de cette pièce.)
C’est sur la chanson «Océan» qu’on remarque la virtuosité du jeu de violon de Kelly Lefaive. Je plane en écoutant la juxtaposition de lignes mélodiques qui se croisent et qui s’enchainent. Une phrase chantée qui complète un bout de mélodie entendu d’abord au violon… Des paroles qui évoquent le vent, le besoin de partir en mer, de goûter à la liberté. Je suis séduit par la douceur des voix avec, en arrière-plan, un fond de rythme électrisant.
Avec «Heaven», la tendresse des voix en arpège est exaltante. C’est une chanson qui nous enveloppe de sensualité. Une mélodie où une succession de notes se déclinent en cascade perpétuelle et toujours en harmonie. L’effet ressemble à une adaptation vocale d’une mélodie jouée au clavecin.
La pièce finale de l’album nous transporte vers Toronto pour témoigner de l’adieu de deux amants. Un début de chanson dépouillé… juste une guitare et une voix. Le tandem essentiel des complaintes. L’harmonie vocale, la basse et la batterie arrivent tout comme les détails d’un tableau qui se dessine sous nos yeux. On sent le froid de la pièce, on voit le givre sur la fenêtre par laquelle elle le regarde partir. Le tout se termine par un canon vocal : des harmonies qui se chevauchent, se multiplient et, lentement, s’éclipsent.
Tout au long de l’album, des vagues d’harmonies ressortent. D’abord à l’avant-plan grâce aux talentueuses membres du groupe. La synchronisation de leurs voix est sublime, notamment pendant des phrases mélodiques fluides, qui ne s’arrêtent que rarement. Ces femmes savent chanter. Puis, en arrière-plan, s’ajoutent des textures éthérées grâce au trio vocal féminin torontois The O’Pears. On entend rarement des enregistrements où les voix sont aussi finement traitées comme de véritables instruments, comme une partie intégrale des arrangements. C’est très réussi.
On remarque aussi une sonorité vintage qui imprègne toutes les pièces de l’album. Des arrangements somptueux créent un cocon musical et nous bercent d’une chanson à l’autre. C’est notamment grâce à l’ambiance qui règne au Pocket Studios, au jeu de guitare subtil et complémentaire de Neil Whitford – qui prend juste assez de place, sans piétiner sur les paroles ou les voix – et à une réalisation astucieuse.
Voici deux femmes qui ont quelque chose à dire. Elles signent des paroles tendres, fortes, encourageantes, réconfortantes, vraies, sans pour autant tomber dans le cliché. Un album qui vous fera chaud au cœur, qui vous fera du bien.
À propos…
Eric Dubeau est un auteur-compositeur-interprète et consultant d’origine franco-ontarienne. Il compte trois albums à son actif, dont Le temps d’être heureux, lancé en 2014. Il accompagne des organismes partout au pays dans le cadre de mandats d’évaluation, de gestion, de planification et de positionnement.