Le 14 décembre 2017, l’Assemblée législative de l’Ontario adoptait le projet de loi 177, une mesure omnibus qui, entre autres, modifiait la Loi de 1999 sur la Ville d’Ottawa. Parmi ses retombées, la loi reconnaissait enfin le caractère officiel du français et de l’anglais de la Ville d’Ottawa. Elle venait clarifier les obligations de la ville au regard de la Loi sur les services en français (LSF) et confirmer la compétence du commissaire aux services en français d’enquêter les plaintes.
Presqu’un an plus tard, le 6 décembre 2018, le gouvernement de Doug Ford fait adopter la Loi 57, intitulée Loi de 2018 visant à rétablir la confiance, la transparence et la responsabilité. Le titre de la loi est malheureux parce celle-ci vient ébranler – au lieu de rétablir – la confiance des Franco-Ontariens à l’égard de leur gouvernement provincial. La Loi 57 abolit le poste de commissaire aux services au français et confie la mise en œuvre de la LSF à l’ombudsman de l’Ontario. Par ailleurs, la nouvelle loi soulève une multitude de questions en ce qui a trait à la marge de manœuvre de ce nouvel avatar.
À titre d’exemple, en vertu de l’article 12.2 de la LSF modifiée, il appartiendra dorénavant à l’ombudsman – et non au commissaire – d’encourager le respect de la LSF. En vertu de l’article 12.2(a), les enquêtes seront également permises «par suite de plaintes concernant le service en français portées par quiconque, ou encore de sa propre initiative». Or, voici le hic : c’est «l’initiative» de l’ombudsman qui sera déterminante, et non pas celle du commissaire. En effet, le nouveau commissaire ne pourra vraisemblablement pas entreprendre d’enquête sans obtenir la permission de son patron, l’ombudsman. Son indépendance s’avère donc complètement postiche.
De plus, le commissaire réagira aux plaintes à titre d’ombudsman de dernier ressort. Les citoyens devront épuiser tous les recours internes avant de déposer leur plainte. La lourdeur abrutissante de cette procédure mènera de façon inéluctable à une attrition graduelle des plaintes et dissuadera les Franco-Ontariens de se prévaloir des recours disponibles.
En ce qui concerne la Ville d’Ottawa, à la lumière de ses nouvelles attributions révisées à la baisse, il y a lieu de douter de la marge de manœuvre du commissaire de faire valoir les droits linguistiques des Ottaviens d’expression française. Rappelons que l’ombudsman est chargé de recevoir des plaintes afférentes à l’administration des municipalités de la province. Toutefois, le fait de concentrer le pouvoir de surveillance municipal au sein bureau de l’ombudsman pourrait donner lieu à des conflits internes au détriment des droits linguistiques.
Il n’est pas impensable que l’ombudsman s’oppose à la proposition de son employé – le commissaire aux services en français – d’enquêter sur la Ville d’Ottawa si, à son avis, une telle démarche est pour gêner le déroulement d’une autre enquête de son bureau sur une quelconque question de mauvaise administration. Certains diront peut-être qu’un tel scénario est improbable et que le bureau de l’ombudsman assurera la coordination des enquêtes afin de répondre à toutes les plaintes des citoyens, qu’elles portent ou non sur les services en français. On peut l’espérer, mais il demeure qu’en vertu des modifications apportées par la Loi 57, rien n’empêche un ombudsman de privilégier son enquête à celle de son adjoint. Il pourrait même congédier ce dernier, réduire son budget et ses ressources s’il insiste trop sur son mandat linguistique ou carrément le remplacer par un adjoint plus docile.
Le commissaire aux services en français est désormais le subalterne de l’ombudsman. Ce dernier a perdu le prestige et l’influence institutionnelle que revêtent d’office tous les agents de la législature. Plus encore, le commissaire aux services en français a été dépossédé des attributs qui étaient garants de son efficacité : son indépendance et son inamovibilité. Pour leur part, les Ottaviens et les Ontariens d’expression française ont perdu leur champion, une voix forte pour faire valoir leurs droits linguistiques.
À propos…
François Larocque est titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques de l’Université d’Ottawa,
Linda Cardinal est titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa.
François Baril est avocat et ancien président de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario.