Ce texte est inspiré d’une conférence donnée au Comité de sauvegarde de l’Église de Bas-Caraquet. L’auteur a été le président d’honneur de la campagne de sauvegarde de la cathédrale l’Assomption de Moncton. Nous publions aujourd’hui la première partie de ce texte en trois parties.
L’architecture et sa transformation en patrimoine est sans doute la forme d’art, la forme d’expression qui manifeste le plus notre volonté d’être propriétaires car les bâtiments que nous avons construits sont une manifestation de notre volonté de durer. On peut en être conscient ou inconscient et cela aura évidemment une importance par rapport à la fonction mais surtout à l’esthétique de ces bâtiments, à notre volonté de les embellir pour laisser un témoignage non seulement de notre passage mais également de nos moyens, de notre entêtement, de notre enracinement et de notre confiance dans l’avenir.
On dit que toute société, toute civilisation a une volonté et un désir de laisser des traces. Si vous avez remarqué nous laissons de moins en moins de traces, occupés que nous sommes à construire à une vitesse ahurissante, avec des matériaux de plus en plus accessibles et surtout peu dispendieux. Ces édifices modernes, confortables, bien isolés, bien éclairés munis de toutes les commodités, sont souvent, sinon toujours, économiques, efficaces et à la mode mais il leur manque quelque chose, quelque chose que seul le temps est capable de leur accorder. Ces édifices n’ont assurément pas l’âme de ceux qui furent érigés au prix de sacrifices et d’une ferveur, d’une croyance en quelque chose de plus grand et de plus durable. Ces édifices qui poussent comme des champignons en quelques mois nous prenons aussi la liberté de les démolir sans grand regret en faisant disparaître jusqu’à leur fondation.
Parallèlement à ceci nous vivons à une époque de grands changements en ce qui a trait à la culture acadienne, c’est à dire que nous sommes à un moment de notre histoire où nous devons prendre en considération l’ensemble de notre contribution et non plus seulement celle de la génération actuelle. Dans ce mouvement il est important de ne pas négliger ou faire disparaître celle des générations précédentes car cela correspondrait à vivre au jour le jour sans projet d’avenir et sans considération pour ce que nous avons été. À trop vivre collés aux enjeux actuels on finit par perdre de vue notre sens de la perspective. Notre vie risque alors de devenir celle d’une histoire vécue presqu’uniquement au présent en oubliant qu’il y a des moments, des contributions, des étapes qui nous ont marqué plus que d’autres, des moments, des évènements qui ont fait de nous ce que nous sommes, c’est à dire des Acadiens.
La religion fait assurément partie de ce parcours, elle a même constitué le lien privilégié de rassemblement pour de nombreuses générations qui y ont trouvé une manière de vivre ensemble et une manière de maintenir vivante une culture qu’ils considéraient comme essentielle à leur équilibre mental et spirituel. Cette religion, ce système de valeurs, il s’est incarné dans des édifices où la communauté s’est rassemblée et se rassemble toujours, de la naissance à la mort, pour le culte mais aussi pour affirmer une volonté de vivre en français, de vivre en s’inscrivant dans une histoire pour vivre pleinement une culture, leur culture, notre culture.
En ce sens une église c’est un édifice, c’est un lieu de rencontre, c’est un lieu de recueillement mais c’est aussi une manière de marquer le paysage, de souligner la prise de possession d’un lieu, c’est une sorte de vengeance sur le passé, pour avoir été chassé comme des malfaiteurs et surtout pour manifester notre retour en élevant ces clochers très hauts dans le ciel, des clochers qui, comme des phares, se voyaient de très loin. À ce sujet j’ai toujours été fasciné par le fait qu’à Moncton les trois plus hauts édifices de la ville ont été construits par des Acadiens. L’édifice l’Assomption, la résidence Lafrance sur le campus de l’Université de Moncton mais surtout, en 1934, la cathédrale l’Assomption, surnommée le monument de la reconnaissance acadienne, une église qui, comme vous le savez sans doute, fait aussi face aux mêmes défis que votre église.
Pourquoi ces églises, ces édifices, font-ils face à ces défis? La réponse vous la savez aussi bien que moi. Cela provient d’une diminution de la pratique religieuse. Indépendamment des choix de conscience de chacun, il faut voir que ces édifices ont été construits au prix de grands sacrifices et en espérant en faire des lieux de beauté dans l’espoir que ces lieux de beauté allaient aussi nous émerveiller et nous émouvoir. Les églises sont des lieux de prière et en ce sens ils sont devenus des lieux inspirants, eux-mêmes des sortes de prière. Nos mères et nos pères, nos ancêtres, ont voulu que ces édifices soient des œuvres d’art construits avec le soin et la ferveur des cathédrales d’autrefois en se soumettant à des corvées qui ont fait de ces entreprises, de ces construction, des œuvres architecturales remarquables et uniques dans l’histoire de l’Acadie.
L’architecture est un art dispendieux qui, loin d’être le fait d’une seule personne nécessite le concours de plusieurs autres soucieuses d’en faire une œuvre collective mémorable qui dépend de plusieurs corps de métier, de plusieurs compromis et de plusieurs volontés pour faire en sorte que le projet voit le jour comme le rêve de quelqu’un, d’un architecte – Nazaire Dugas par exemple à qui on doit les plans de plusieurs églises – dont le talent a fait en sorte que ce rêve, où nous nous retrouvons aujourd’hui, a vu le jour pour se concrétiser dans l’esprit de ceux qui ont hérité de ce rêve. L’architecture est un art fascinant, et Nazaire Dugas en sera le premier pratiquant ici, en Acadie.
Lorsque nous regardons l’histoire de l’Acadie il est triste de se rendre compte qu’il y a au milieu de notre parcours, une énorme rupture qui nous a entraîné dans un déficit à bien des niveaux, déficit dont nous commençons à peine de nous relever. La Déportation nous a non seulement désorganisés, appauvris, humiliés, elle nous a en plus et surtout privé des traces de notre culture, des traces de notre passage. On dit d’ailleurs que l’image la plus courante de la conquête britannique, celle qui revient le plus souvent dans les écrits des francophones qui y ont survécu, c’est celle de la maison qui brûle et bien sûr de l’église qui brûle. Car il était important pour les conquérants de faire disparaître ces lieux de rencontre, de culte et de culture. Pour avoir été longtemps simplement tolérés pour ne pas dire méprisés, nous avons développé des habitudes et des réflexes qui sont les mêmes que ceux des étrangers, c’est à dire que nous avons de la difficulté à croire que cette terre, que ce territoire est désormais à nous, que nous avons la liberté de l’aménager comme nous le voulons. Difficile de se départir d’une mentalité de locataire et de croire que nous sommes les propriétaires de ce que nous avons érigé.
Napoléon Landry qui fut sans doute le premier écrivain acadien à être reconnu internationalement et qui était curé de Sainte-Marie a écrit à ce sujet un poème assez éclairant qui a pour titre Nos églises d’autrefois.
Aux temps de la «Tourmente»
Et jetant partout l’épouvante,
L’ennemi, d’un grand feu,
Réduisait les clochers en cendres.
Chacun, sans même se défendre,
Aux rafales du nord,
S’éteignait dans la mort.
Vous ne fûtes, dans la flamme,
Sublimes clochers de mon pays,
Comme Jeanne d’Arc, si belle dans son âme,
Qu’un objet de mépris.
Mais de vos cendres, horreur du traître,
De nouveaux clochers
Vont renaître;
De nouveaux foyers
Vont reparaître…
Indépendamment de cette absence et sans vouloir me réclamer à tout prix du bon vieux temps, il existe une dimension qui continue de nous habiter : la présence de ces édifices qui, pour une raison ou pour une autre m’ont toujours parlé. Bien sûr c’est un discours qui passe sur une toute autre fréquence que celle de la parole ou des images. Cette dimension, ce discours, ce devoir c’est celui de la mémoire.
À suivre : Du culte à la culture (partie 2).
À propos…
Herménégilde Chiasson détient des baccalauréats des universités de Moncton et Mount Allison, un Master of Fine Arts de la State University of New York et un doctorat de l’Université de Paris 1 (Sorbonne). Il a été réalisateur à la radio et à la télévision de Radio Canada, réalisateur au cinéma et professeur à l’Université de Moncton. Il a été président ou membre fondateur de plusieurs institutions culturelles d’importance en Acadie. Écrivain, il a publié plus de 50 livres depuis 1974. Comme dramaturge il est l’auteur d’une trentaine de pièces de théâtre. Au cinéma, il a réalisé une quinzaine de films et, en arts visuels, il a produit plus de cinquante expositions solos et participé à une centaine d’expositions de groupe.
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