Moi itou, je veux mon moment #MoiAussi – Rosella Melanson

Tu es une employée dans une usine de poisson – ou dans le petit magasin du coin, dans le restaurant du village, dans le bureau d’un courtier d’assurance – au Nouveau-Brunswick. Tu dois, dans le cadre d’une journée de travail typique, te défendre contre les attouchements et les commentaires suggestifs de ton patron. Tu rages, tu crains pour ton emploi, et tu es stressée. Le soulèvement #MoiAussi – tu en as pleuré de joie de voir qu’on s’attardait finalement à cette réalité qui est aussi la tienne, pleuré de déprime de voir que même des femmes riches et privilégiées ont le même problème que toi, et pleuré de rage quand ton patron s’est moqué de ces femmes et t’a demandé, en te tripotant, si t’allais appeler les médias.

Tu es mère monoparentale, et lorsque le propriétaire de ton logement t’a agressé, tu pensais surtout à ne pas faire de bruit parce que ton enfant risquait de l’entendre et tu te décidais à inviter ton petit ami à aménager avec toi, parce qu’il n’y a pas moyen que tu perdes ton logement.

Tu es une employée d’un restaurant genre steakhouse. Ton travail consiste autant à gérer les clients qui réagissent comme prévu à la minirobe que tu dois porter qu’à leur servir un repas.

Je ne suis pas ambivalente devant le soulèvement #MoiAussi et #Balancetonporc. Je suis d’avis que, sans doute, il en résultera du positif. Mais il n’y a pas de raison de croire que ce sera un point tournant. Et c’est déprimant qu’on s’emballe si facilement et qu’on dit de ce phénomène de célébrités qu’il est un mouvement alimenté autant de titillation que de féminisme : ces femmes connues, belles, et puissantes, agressées par des hommes connus. Disons que c’était fait pour les médias sociaux.

Qu’importe, si ça peut mener au changement, hein? Mais on ne voit pas de mouvement pour du changement. Qui saisit le moment et exige des modifications spécifiques? Qui se pose la question à savoir ce qui advient des femmes ordinaires quand elles sont harcelées? Quels sont les lois et les mécanismes qui existent ici?

Le mouvement féministe devra prendre le relais de ce soulèvement médiatique et créer un mouvement pour du changement – pour renforcer les lois, ravigoter les commissions qui gèrent les plaintes, financer des campagnes d’éducation publique.

Ou, est-ce qu’on s’est mis d’accord que le seul mécanisme pour contrer le harcèlement est de le dénoncer dans les médias? Que le prix pour une solution est de nous raconter une histoire personnelle. Si oui, ce n’est que voyeurisme, pas du changement social.

Récemment Radio-Canada Acadie a demandé pourquoi la vague de dénonciations de personnalités accusées d’inconduite sexuelle n’a pas atteint l’Acadie. «Est-ce que les femmes y sont plus respectées?» demandait-on. Peut-être avaient-ils mal interprété le sens du mot clic #MoiAussi? Peut-être que leur #MoiAussi était #Nousaussionveutdesvictimes&desagresseursvedettes?

Parce que depuis le temps que des Acadiennes quittent leur emploi n’ayant pas trouvé moyen de faire arrêter le harcèlement, depuis le temps qu’on évite comme on peut certains de notre entourage –  voisin, prêtre, collègue, délégué syndical, médecin, marchand – et depuis le temps qu’on se fait tripoter, insulter, agresser afin de gagner notre vie ou ne pas perdre notre logement, pourquoi n’a-t-on pas pensé qu’il suffisait d’en parler dans les médias? On en a parlé aux ressources humaines, au syndicat, au service de police, aux politiciens, aux avocats, aux recherchistes, aux groupes féministes. Mais oui, pourquoi si peu de dénonciations?

Parce que tu n’es pas Scarlett Johannson ou Julie Snyder. Parce que tu penses que ton patron avait raison – personne ne s’intéresse à des petites comme toi. Parce que personne ne te dit comment ça règlerait ton problème. Parce que tu veux une solution dans la dignité.

À propos…

Rosella Melanson est Acadienne, blogueuse et activiste. Elle a une formation en travail social, en journalisme et en technologie de l’information. Elle a surtout été à l’emploi du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick. À la retraite, elle voyage et écrit, et quand elle est au Nouveau-Brunswick, elle est commentatrice politique.

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2 réponses à “Moi itou, je veux mon moment #MoiAussi – Rosella Melanson

  1. Que tu as les mots justes! ta pensée bien structurée amène à une profonde réflexion. Il suffirait qu’il y ait des actions concrètes concertées afin que la situation actuelle de nombreuses femmes commande un plus grand Respect!

    • Salut et merci. Je suis contente que tu peux confirmer. Je respecte ton expérience et ton point de vue. Mon texte était un peu un coup de tête. Ça m’agaçait que personne ne pose les bonnes questions.

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