Un dernier été avec maman – Gilbert Mclaughlin

Quel triste été que celui passé chaque jour à l’hôpital au chevet de sa mère.

Je ne peux m’empêcher de me rappeler le froid de la nouvelle. «Elle est mourante. Elle est trop jeune pour cela», disait-on.

Cette nouvelle, je l’ai apprise à des centaines de kilomètres. Travaillant à l’extérieur de la province, cela m’a pris près d’un mois avant de pouvoir me déplacer.

Et pour cause. Quand j’ai demandé l’avis de mon syndicat, j’ai appris avec étonnement qu’il n’y avait pas de congé possible pour accompagner nos proches mourants. Seuls les employés dont un membre de la famille est décédé ont droit à une semaine de congé pour les funérailles.

Étrange pratique?! Souhaitant plutôt voir ma mère de son vivant, j’ai décidé de ne pas renouveler mon contrat de travail. Ce fut certainement la meilleure décision de ma vie.

Je suis parmi les chanceux, m’a-t-on dit. Une chance que j’ai mis du temps à comprendre. Cependant, pendant ces longues heures passées dans les corridors de l’hôpital, plusieurs m’ont fait part de leur peine.

Certains m’ont rappelé qu’ils n’avaient pas eu le luxe d’accompagner leurs proches comme ils l’auraient souhaité. D’autres, non syndiqués, se sont fait mettre à la porte par leur employeur à la suite d’un «congé injustifié» passé au chevet d’un proche. Les plus perspicaces, quant à eux, ont reçu un billet de maladie grâce à la bonne volonté de leur médecin, et cela, aux frais de l’État.

Tous ces gens, à leur façon, souhaitaient la même chose : s’occuper de leurs proches malades et mourants.

Une infirmière me rappelait la chance de ma maman. «Tu sais, dit-elle, il est bien rare de voir des membres de la famille passer autant de temps avec leur parent mourant.»

Ce n’est pas toujours de la mauvaise volonté, m’a-t-elle raconté. Parfois, les gens n’ont pas suffisamment d’argent pour se le permettre. Il y a aussi la distance, les enfants et les obligations qui peuvent empêcher une famille de se réunir dans de telles circonstances.

Il reste clair que la société n’est pas faite pour les soutenir. L’information se passe de bouche à oreille. Les plus chanceux auront un billet de maladie ou un peu de chômage par charité. Cela laisse les moins informés et les moins nantis dans une fâcheuse position.

Toutefois, je refuse de considérer que l’accompagnement est un «luxe».

On cache la mort dans nos sociétés. On s’assure que rien ne trouble le bon ordre et la bonne humeur. Le message social que l’on envoie est : «si tu meurs, fais-le rapidement».

Le gouvernement ne commence qu’à s’intéresser aux aidants naturels.

Toutefois, tout est encore fait comme si on nous disait que quelqu’un est payé à notre place pour s’occuper de nos proches malades. Que dans cette circonstance, nous n’avons pas à souhaiter prendre une pause de notre travail.

Bien heureux que notre société offre des services de soutien, mais il ne faut pas sous-estimer le bien psychologique et physique que cela peut faire d’accompagner les proches dans la dernière étape de leur vie.

Des gens m’ont raconté avoir été blessés pendant de longues années parce qu’ils n’avaient pas pu bien accompagner leurs proches, parfois rongés par un certain remord. L’accompagnement fait du bien à tout le monde.  C’est un moment où il est possible de régler nos histoires, de remercier pour les beaux moments qui nous ont été offerts et, finalement, commencer son deuil.

Dans mon cas, le retour au travail s’est déroulé beaucoup plus vite qu’espéré. J’ai eu le temps de lui dire adieu et de lui dire «je t’aime» une dernière fois.

La vie reprend son cours. Le cœur libéré, je reconnais maintenant la chance que j’ai eue. Mais je ne peux pas oublier ces chambres d’hôpital dans lesquelles j’ai vu bon nombre de mourants, seuls jusqu’à leur dernier jour.

Me rappeler de cette dame âgée qui, se tournant vers ma mère, lui a dit d’une voix épuisée: «tu es donc ben chanceuse d’avoir de la visite…»

À propos…

Gilbert McLaughlin est un fier acadien originaire de Tracadie-Sheila au Nouveau-Brunswick. Passionné de politique et membre d’Astheure, il est présentement étudiant à Ottawa. Twitter : https://twitter.com/Gilbert_mcl .

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2 réponses à “Un dernier été avec maman – Gilbert Mclaughlin

  1. Quel beau témoignage… moi aussi j’ai eu cette chance d’accompagner ma mère, de lui tenir la main pendant qu’elle montait les marches, une après l’autre, ses jambes bougeant sous les couvertures de son lit d’hospice, l’encourageant à aller jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle vers le repos…

  2. Bravo d’avoir exprimé ceci…. faites le suivre le plus possible… la réalité est qu’accompagner un proche en fin de vie, est vital pour la famille et la société….

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