Lʼincroyable légèreté de Luc L., Philippe Soldevila, Christian Essiambre, Pierre Guy Blanchard et Luc LeBlanc [texte], Philippe Soldevila [mise en scène et direction de la création], Moncton, Théâtre Sortie de secours et Théâtre lʼEscaouette, 2017. [Moncton, 18 octobre 2017]
Dès mon entrée dans la salle du théâtre lʼEscaouette, je suis frappée par la proximité avec les comédiens, qui sont déjà sur scène ‒ Luc L. discute avec quelques spectateurs et Christian E. sʼéchauffe en étirant les muscles de son visage. Lʼambiance est décontractée et la scène, dénudée : trois chaises, une console, des micros et quelques canettes de bière. La fébrilité est palpable, autant dans lʼassistance que du côté des acteurs, qui trébucheront dʼailleurs sur quelques répliques. Peut-être la pièce est-elle déjà commencée au moment de pénétrer dans la salle? Il sʼagit dʼun spectacle sur la fraternité, sur la communalité, sur «lʼêtre ensemble» acadien. Lʼimpression de communion est grande, et pour cause : les spectatrices et les spectateurs sont venus entendre parler dʼeux dans ce troisième volet du triptyque en passe de devenir un classique du théâtre de lʼAcadie.
La pièce commence un peu sans quʼon sʼen rende compte alors que Luc L. interrompt le mot de bienvenue de Philippe Soldevila et enchaîne immédiatement avec son rôle dʼanimateur dʼune émission télévisée intitulée LʼAcadie right icitte. Le public, mis à profit, est encouragé à scander «LʼAcadie right icitte» ou «Moncton» et à applaudir aux moments opportuns. Dès les premières répliques, les premiers gags, les rires fusent dans la salle, ce qui me porte à croire que lʼauditoire est gagné dʼavance. Lʼhumour est effectivement à lʼhonneur, puisque le principal chapeau de Luc L. est celui dʼhumoriste. Les blagues sont efficaces, mais souvent faciles : je pense surtout à la séquence de jeux de mots appartenant au champ lexical des excréments. On peut apprécier ou pas ce type dʼhumour, mais il reste que Luc L. est une bête de scène, comme en témoigne sa performance survoltée. Mention spéciale pour sa prestation complètement déjantée dans la scène du stand up à Edmonton, où il incarne un personnage au bord de la psychose après sʼêtre perdu pendant des heures dans le centre dʼachats. Sa performance, énergisante, contraste de façon intéressante avec les moments dʼintrospection, qui montrent lʼenvers de la légèreté de Luc L. Pierre-Guy B., lui aussi un habitué de la scène, ne donne pas sa place. Son humour acide frappe droit dans le mille. Son monologue sarcastique sur un hypothétique musical des francophonies canadiennes ‒ et la prestation musicale qui vient avec ‒ est un véritable bijou.
La question identitaire est au cœur de la pièce, les trois comédiens ayant un rapport différent à lʼAcadie. Christian E. incarne le retour en Acadie pour redonner au milieu qui a contribué à le faire, Pierre-Guy B. est un citoyen du monde anti-nationaliste qui a décidé de jeter lʼancre à Charlo après avoir vu les quatre coins du globe et Luc L. paraît être une figure de la tradition, pilier du théâtre acadien nʼayant jamais quitté sa terre natale et continuant à œuvrer au Pays de la Sagouine. Cʼest dʼailleurs ce dernier qui propose à ses deux acolytes de créer un spectacle-bénéfice sur lʼAcadie pour sauver le petit pont qui mène à lʼÎle-Aux-Puces. Mais la préparation de lʼévénement ne se fait pas sans heurts, Pierre-Guy B. et Christian E. ressentent un certain malaise face à ce projet dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Les discussions qui émanent de ce conflit, mais aussi celles plus personnelles où les interprètes se dénudent et livrent leurs victoires et leurs défaites, donnent à voir une Acadie multiple. On se trouve devant trois hommes qui, au premier abord, semblent nʼavoir en commun que leur origine partagée dans le Nord du Nouveau-Brunswick. Mais la complicité entre les acteurs opère bien au-delà des anecdotes de gars chaud à McKendrick et à Charlo. Ils sont tous issus du milieu artistique acadien et font du stuff, pour reprendre les mots de Pierre-Guy B. Trois petits gars du Nord du Nouveau-Brunswick forts dʼun parcours intéressant dans le monde des arts, mais qui restent très proches du «vrai monde». La poursuite du bonheur nʼest aisée pour aucun dʼentre eux, mais les instants de bonheur surgissent dans la création collective et dans la communion quasi instantanée avec le public.
La pièce mérite dʼêtre vue pour lʼincroyable énergie des trois complices, la mise en scène réglée au quart de tour et lʼintelligence de la scénographie, où on a fait beaucoup avec une économie de moyens, comme cʼétait le cas des deux premiers volets. Lʼincroyable légèreté de Luc L. nʼa peut-être pas le panache des Trois exils de Christian E. ‒ cʼétait la même chose avec Le long voyage de Pierre-Guy B. ‒ mais elle clôt le triptyque de façon convaincante, en toute légèreté.
À propos…
Isabelle Kirouac Massicotte est chercheure postdoctorale à lʼUniversité de Moncton et ses recherches portent sur lʼesthétique de la minorisation en mode trash dans la poésie acadienne contemporaine. Son livre Des mines littéraires : lʼimaginaire minier dans les littératures de lʼAbitibi et du Nord de lʼOntario paraîtra en 2018 chez Prise de parole. Elle a notamment publié chez Voix et Images, Figura, Perce-Neige ainsi que dans Minorités linguistiques et société.