Loin d’être un cul-de-sac! – Benoit Doyon-Gosselin

Bolduc, Monica, Dead End, Moncton, Perce-Neige, coll. «Poésie / Rafale», 2017, 90 p.

Crédit photo : Éditions Perce-Neige.

D’entrée de jeu, la page couverture fascine. On y voit une allumette esseulée, à moitié brûlée, laissant échapper un nuage de fumée sur lequel se superpose le titre du recueil : Dead End. Il est toujours curieux de lire le titre du premier recueil de quelques auteurs de la francophonie canadienne. Herménégilde Chiasson : Mourir à Scoudouc (1974), J.R. Léveillé : Œuvre de la première mort (1977), et aujourd’hui Monica Bolduc : Dead End (2017) dans la collection Rafale des Éditions Perce-Neige. On imagine dès le titre un recueil sombre, sans issue et pourtant si cul-de-sac il y a, il s’avère plus lumineux qu’annoncé. Bien que le recueil soit séparé en quatre parties en plus d’un poème liminaire et d’un texte majeur en guise de conclusion, chaque partie se fond dans le tout et le propos ne diffère pas d’une partie à l’autre. Il s’agit d’une qualité, mais également d’un défaut.

Faisant écho à la couverture du livre, le premier poème donne le ton ou plutôt une direction à tout ce qui va suivre. Intitulé «Pyromane», il reprend le trope de l’allumette et du feu (peut-être celui de la création), qui «se répand / dans mon ventre / à penser / que je pourrais mettre fin à ma vie / maintenant / la flamme brule / le bout de mes doigts / je souffle // maybe next time» (p. 7). Ainsi le désir de créer, de vivre est plus fort que le laisser-aller, la mort. La locutrice veut se faire entendre. Femme de théâtre, de performance oratoire, Monica Bolduc a justement le tour de se faire entendre dans les soirées de poésie.

Dans son recueil, on retrouve un «je» souvent déçu par l’amour, par son travail dans les centres d’appel ou tout simplement par la vie elle-même. Parfois suivant les traces de Gérald Leblanc (quelques poèmes portent des noms de rues de Moncton), Bolduc offre des images fortes où l’amour et la ville ne font qu’un comme dans le poème «Moncton -37» :

aller
le vent dans la face
j’ai hâte d’être à l’intérieur

retour
le vent dans le dos
j’ai hâte que tu sois à l’intérieur
de moi (p. 17)

Pourtant, malgré quelques éclats poétiques bien sentis, le sentiment général qui ressort de la lecture du recueil demeure la retenue, comme si le «je» de Bolduc ne voulait ou ne pouvait pas aller plus loin. Certains poèmes se limitent à des lieux communs, déjà évoqués mille fois en vers :

parce que c’est plus fort que moi
parce que je t’aime
parce que tu me regardes
parce que tu m’invites
parce que tu t’ennuies
parce que c’est plus fort
que toi aussi (p. 21)

Par ailleurs, la présence parcimonieuse de l’anglais ne sonne pas faux, car Bolduc n’essaie pas de faire chiac. L’anglais, tout comme une certaine vulgarité bien dosée («sourire décâlissé»), sert la poésie en offrant une réalité crue d’un quotidien aliénant :

je me dis qu’ils devraient ajouter des options
réalistes
quand on log out de l’ordinateur
comme
piss
diarrhea ou
mental fucking breakdown
difficile d’expliquer
au boss
qu’il faut que tu partes plus tôt aujourd’hui
parce que t’es fuckée dans la tête (p. 45)

Un mot en terminant sur le dernier poème du recueil. Il s’agit du texte «Tu vas être belle (the twisted code of women)». Ce plaidoyer féministe engagé s’inscrit dans la lignée des poèmes les plus révoltés de Rose Després ou de Dyane Léger. Il renverse les codes de la féminité pour offrir un miroir déformant de la pression d’une norme (auto)imposée. Dans un cours de littérature des femmes, ce texte bien de son temps mérite d’être retenu.

Il y a douze ans, je faisais paraître dans la revue Liaison un article sur la relève littéraire en Acadie. Il s’agissait du premier numéro couvrant toutes les littératures francophones du Canada. J’y abordais les œuvres récentes d’Éric Cormier, de Christian Roy et de Paul Bossé. Au sujet de ces auteurs, j’avouais bien candidement : «Pour mieux se positionner dans le champ littéraire, ils devront faire des choix esthétiques qui leur permettront de se démarquer. Sinon, les recueils se suivront comme les recensions.» Le lien qui unit ces trois auteurs est évidemment Gérald Leblanc qui les a encouragés à publier et peut-être même de s’établir à Moncton pour Cormier et Roy (tous deux originaires de Robertville). La relève poétique de la fin des années 1990 jusqu’à 2005 a été fortement influencée par Leblanc, véritable catalyseur monctonien.

Aujourd’hui, on assiste à un formidable renouvellement de la relève en poésie acadienne. Dans les années 1970 et 1980, la majorité des poètes acadiens émanaient du monde des arts visuels. Depuis une dizaine d’années, les poètes proviennent surtout du monde du théâtre (Gabriel Robichaud par exemple) et ce changement de paradigme est important. Il faut en prendre acte. On pourrait aussi parler de la revanche des régions quand on pense à Jonathan Roy qui écrit et vit la Péninsule acadienne, à Sébastien Bérubé qui écrit et vit le Madawaska, et évidemment à Georgette LeBlanc qui écrit et vit la Baie Sainte-Marie. Elle est d’ailleurs la première et la plus fulgurante poète de cette récente génération.

Avec le premier recueil de Joannie Thomas (et qui sait, peut-être un jour celui de Caroline Bélisle ou encore de Céleste Godin?), l’offrande de Monica Bolduc participe à cette relève fortement marquée par une poésie engagée et engageante, orale sans nécessairement tomber dans le chiac. La plupart de ces nouvelles voix sont justement en train de la trouver, leur voix. Dans chaque recueil, on découvre du bon et du moins bon et dans 15 ans, certains ne publieront peut-être plus depuis longtemps. Pour le moment, il faut lire Dead End de Monica Bolduc, même si l’on souhaite que le prochain recueil ose plus et autrement. Cependant, si vous avez le choix, il faut surtout aller entendre l’auteure. C’est sur scène que se révèle tout son talent.

À propos…

Benoit Doyon-Gosselin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et milieux minoritaires et professeur agrégé au Département d’études françaises de l’Université de Moncton. De 2007 à 2014, il était professeur au Département des littératures de l’Université Laval. Spécialiste des littératures francophones du Canada, il a fait paraître en 2012 aux Éditions Nota Bene un ouvrage intitulé Pour une herméneutique de l’espace. L’œuvre romanesque de J.R. Léveillé et France Daigle. Il a publié des articles dans Romanica Silesiana, @nalyses, temps zéroMémoires du livreVoix et imagesPort-AcadieRaison publique et dans de nombreux collectifs.

2 réponses à “Loin d’être un cul-de-sac! – Benoit Doyon-Gosselin

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