Jeux de la francophonie canadienne : lettre ouverte à Sophie Durocher – Eric Doucet

Madame Durocher,

Je regrette de vous informer que je n’avais pas besoin de m’asseoir en lisant vos deux récentes chroniques portant sur le slogan des Jeux de la francophonie canadienne (JFC) 2017 – Moncton-Dieppe[1]. Comme la plupart des francophones en situation minoritaire qui comprennent le sens de l’évènement, j’ai d’abord levé les yeux au ciel en entendant parler de votre chronique. Ensuite, j’ai versé quelques larmes de rage en raison des efforts des participants que vous avez insultés avec vos propos ignorants.

Hé oui, la plupart des participants étaient «Right fiers» de parler, de participer, et d’échanger en français. Leur français. Est-ce que cela veut dire qu’il n’y avait pas d’anglais aux JFC? Certainement pas. Plusieurs de ces participants, âgés de 13 à 18 ans, ont la chance de parler en français que pour quelques heures par semaine. Imaginez-vous à cet âge, voyager à l’autre bout du pays avec une équipe que vous venez de rencontrer il y a à peine quelques jours, pour vivre un événement d’envergure nationale dans une langue que vous ne parlez que de temps en temps. Plein de chocs culturels et de dépaysement. C’est bien normal que quelques-uns se soient sentis intimidés et se soient réfugiés dans leur zone de confort en début de semaine. Ceux qui ont le privilège de vivre en français au quotidien les épaulent, et ils se redressent et gagnent en confiance ensemble. La beauté de cela, c’est que les évènements par et pour les jeunes comme les JFC sont le contexte parfait pour que les participants s’encouragent entre eux et se sentent à l’aise à s’exprimer sans craindre les reproches de leurs parents ou leurs enseignants. À la fin de l’évènement, le niveau d’utilisation et la qualité du français sont supérieurs à ce qu’ils étaient au début. Ce n’est pas une coïncidence.

Je laisserai les sujets du chiac et l’Acadie à quelqu’un qui pourra mieux vous expliquez les nuances que vous semblez encore ignorer. Cet exercice pourrait tout de même être un peu difficile étant donné la fatigue qu’éprouvent les Acadiens à constamment justifier leur existence. D’ailleurs, l’écrivaine et militante acadienne Céleste Godin en était à bouts de nerfs sur Facebook le 17 juillet:

«Je ne veux plus entendre vos opinions, à qui que ce soit sur le chiac. Je les ai toutes entendues, et je m’en fiche […] si c’est une langue ou un dialecte ou un handicap ou une inspiration ou un culte ou une maladie mentale ou une assimilation ou [une] affirmation de soi ou une façon linguistiquement intéressante de parler ou une source de honte ou une source de fierté. On a compris, vous avez tous des sentiments très forts sur le sujet. Je veux parler d’autre chose et vous utilisez les minutes de ma vie, l’espace de débat en Acadie et l’air sur notre planète depuis trop longtemps sur ce sujet.»[2]

Être «Right fiers», ce n’est pas une tendance entre jeunes, une manière de rebeller contre l’ancienne génération, ou un signe d’assimilation. Au contraire, c’est l’invitation que les jeunes de Moncton-Dieppe ont fait aux jeunes de partout au pays afin qu’ils viennent à leur rencontre. C’est une affirmation de soi et cela représente ceux qui étaient à la tête des Jeux. Alexis Couture, ancien président de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick (FJFNB) et de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), a écrit au sujet du slogan et des jeunes qui l’ont choisi lors de son dévoilement :

«Ils ont eu le courage de choisir un slogan qui leur ressemble, malgré la controverse inévitable qui allait suivre. Cette décision démontre non seulement que la jeunesse acadienne du sud-est du Nouveau-Brunswick a le courage de ses convictions, mais aussi que les Jeux, comme institution importante de la francophonie canadienne, sont réellement «par et pour les jeunes». […] C’est en acceptant que nous sommes différents et que notre différence a une valeur.Le français «parfait» n’existe pas, c’est une langue en constante évolution qui gagne à être transformée et adaptée.»[3]

Il s’agit de bien plus qu’une simple compétition sportive, comme vous semblez encore le croire dans votre deuxième chronique. C’est une compétition à trois volets qui regroupe plus de 1 200 jeunes athlètes, artistes et leaders. La langue et la construction identitaire sont au cœur de l’évènement et il est extrêmement important que les jeunes se rencontrent pour prendre conscience des différences culturelles de leurs pairs. Pour certains, les Jeux leur permettent de savoir qu’ils ne sont pas seuls.

Madame Durocher, vos chroniques m’ont blessé. Une jeune de mon groupe était inquiète de son niveau de français en arrivant. Elle était nerveuse qu’on l’entende parler. Après les Jeux, elle avait de nombreux amis partout au pays. Elle a vécu la meilleure expérience de sa vie, tout en s’émerveillant du talent de ses pairs. Tous les participants avaient une chose en commun : le fait de parler français. J’en connais des centaines des jeunes qui ont vécu des expériences semblables, qui sont venus me parler avec l’étincelle dans leurs yeux. Ils y en a des milliers d’autres. Vous pouvez choisir de les taper sur la tête ou de les écouter.

Après tout cela, Madame Durocher, je ne vous en veux pas. Je comprends votre point de vue. Je sais pourquoi vous vous êtes choquée en écrivant sur les JFC à partir de votre bureau de Montréal. Toutefois, la controverse avait eu lieu il y a plus d’un an, lorsque le slogan avait été annoncé. Les organisateurs ont eu raison de ne pas répondre à votre chronique. Ils avaient des meilleures choses à faire. Et comme le disait la directrice générale du Conseil jeunesse provincial, Roxane Dupuis, à Radio-Canada le 17 juillet, «Je pense que le slogan a fait parler pour les Québécois. Je ne pense pas que le slogan a fait parler pour les gens qui sont en milieu minoritaire»[4]. Effectivement, en survolant les commentaires de vos chroniques, ceux de votre avis, qui déplorent le sort du français, sont surtout des Québécois à la chevelure plutôt salée. Ironiquement, leurs commentaires sont souvent bourrés de fautes…

Pour ceux d’entre nous qui se battent réellement au quotidien pour vivre en français, une chose est claire : l’enthousiasme et l’amour de la langue doivent venir en premier. Cloé Maisonneuve, la médaillée d’argent d’Équipe Alberta en Art Oratoire, nous confiait lors des Jeux que son histoire, c’est en partie «l’histoire d’une petite fille qui est maintenant grande, qui a été traitée de frog, qui a été traitée d’anglophone, qui aurait pu douter de sa place mais qui, encore aujourd’hui, se présente comme francophone. Qui reconnaît les batailles gagnées du passé et valorise les fruits de son travail. Qui a appris c’est quoi se tenir debout, se tenir droit, viser toujours plus haut, réussir au-delà des attentes, même quand on en peut plus, parce qu’il faut constamment valider la francophonie.» Survivre, ce n’est pas se battre entre nous, Madame Durocher. Survivre, c’est encourager nos différences, c’est aller à la rencontre de l’autre, c’est s’écouter pour valoriser nos cultures distinctes à travers cet immense pays. C’est rester unis dans notre diversité.

Madame Durocher, sortez votre cuillère en bois du fumier de la controverse et mettez donc la main à la pâte avec nous. Ce serait un plaisir de vous voir aux Jeux de la francophonie canadienne 2020 qui se dérouleront à Victoria en Colombie-Britannique. Avec des disciplines en démonstration telles la voile et l’art culinaire, ce sera, comme toujours, une édition et une expérience à ne pas manquer!

Je vous laisse avec un des refrains du groupe de musique de l’Île-du-Prince-Édouard, Les 112 accords, qui a gagné la médaille d’argent dans la compétition de musique :

On va chanter, on va danser
On va fêter toute la soirée
C’est juste comme ça qu’on a été élevées
De nos familles, on l’a hérité

Bien à vous.

La version originale de ce texte a été publiée dans le blogue de l’auteur.

[1] http://www.journaldequebec.com/2017/07/14/tiguidou-right-trou et http://www.journaldequebec.com/2017/07/17/right-fiers-detre-des-dead-ducks

[2] https://www.facebook.com/celestifique/posts/10154987794669164

[3] https://astheure.com/2016/02/05/jeux-de-la-francophonie-canadienne-2017-un-slogan-par-et-pour-les-jeunes-alexis-couture/

[4] http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/l-actuel/segments/entrevue/31511/franglais-manitoba-jeux-francophonie-milieu-minoritaire

À propos…

Eric Doucet est un musicien professionnel bilingue d’Edmonton, Alberta. Longtemps passionné des activités par et pour les jeunes francophones, il est un habitué des Jeux de la francophonie canadienne et tiens ses amis, ses instruments et son chat à cœur. Il ne hausse pas souvent le ton pour autre chose que de la musique. Il a donc dû ressentir des émotions fortes pour écrire ce texte.

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2 réponses à “Jeux de la francophonie canadienne : lettre ouverte à Sophie Durocher – Eric Doucet

  1. JE SUIS RIGHT FIERS D’AVOIR AGIT EN TANT QU’AGENT DE SÉCURITÉ LORS DE CE GRAND RASSEMBLEMENT. BRAVO AUX ORGANISATEURS ET AUX JEUNES. VOUS AVEZ RAISON D’ÊTRE RIGHT FIERS. MAINTENANT PLACE AUX JEUX MONDIAUX DE LA FRANCOPHONIE ICI EN 2021.

  2. 28/06/2017
    I grew up in a thoroughly tricultural area of the Gaspésie, the upper estuary of the Restigouche River. I attended a bilingual school in Cross Point, and a trilingual school in Restigouche. Although I was labelled, tete quarre, peasouper, and frog, I really felt multicultural and harbored no prejudice. Having been born in this area, the three main cultural groups are obliged to live together through no fault of their own. As for my personal cultural origins, my father was a direct descendant of Francois Gregoire, a Surgeon who arrived in Canada in 1682 with the Mozelle regiment of the Marines, our Canadian born ancestor was delivered in 1685 at Pt-au-Trembles on Montreal island. My paternal grandmother was of Scottish ancestry, Marjorie Ferguson, which assured a somewhat bilingual tradition amongst her offspring. My mother is pure Acadian stock genetically and was very bilingual. I am not sure why I and my siblings were educated in English but I suspect it may have been the reality of better economic success for Anglophones at the time. I on the contrary sent my children to school in French because I reasoned that bilingualism was the way to go, and that English would come naturally to them. I was right, they have acquired a reasonable mastery of the French written word and language, especially grammar. In my view by not attending English school they were not thought, nor did they acquire, the English world view.
    The utopian view of Canada and Canadians as portrayed by some governments is commendable but false. We are a country for 150 years, which is not a long time at all. Of all the different cultures that make up the Canadian mosaic, one has been historically predominantly oppressive towards the rest, the English, along with some Scottish collaborators. This fact is simply not mentioned in the historical version of the conquerors, as Napoleon had suggested. The official English and American view was that they were rescuing the Canadiens from the despicable French Papists, when in fact they were involved in an armed economic expansion. After the British conquest Canada evolved within the sphere of London banks. The only way that the seven years’ war can be classed as a cultural conflict, is that for most peoples involved, it was a struggle for survival, not riches. That struggle continues to this day because of the capitalistic system imposed on us by the establishment. It is a system that is wholly based on personal profit at literally any cost to the environment and its peoples.
    The struggle today is, and always was, between profiteers and survivalists, and we are convinced that there is no other viable system possible. (Iceland recently proved this theory to be false, they arrested all the Vandenberg’s) We are still burdened with a system imposed on us for specific economic purposes without regard for human rights. Our federal government is giving huge subventions in taxpayer’s dollars to the petroleum industry’s bank accounts, which is destroying the environment big time. We could be leaders in survival rather than slaves for profiteers.
    I realize I will be criticized for these radical views of what is hidden amongst us, but Canada is an idea of perfection amidst controversy.
    Andre Gregoire

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