Nous avons lu avec grand intérêt la nouvelle position constitutionnelle du gouvernement du Québec, Québécois, notre façon d’être Canadiens. Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes. D’entrée de jeu nous disons oui au dialogue initié par le Québec. Sa volonté d’occuper «toutes les chaises» à Ottawa nous réjouit. Toutefois l’approche préconisée dans le domaine des langues officielles et de la francophonie canadienne dans ce rapport est ténue.
La fédération canadienne s’est construite en partie pour répondre aux préoccupations du Québec en tant que nation nous dit le rapport du gouvernement du Québec. Malheureusement, la Constitution de 1867 a laissé en plan les Acadiens et les francophones de l’Ontario. Le fédéralisme a aussi rendu possible la mise en place de politiques assimilatrices à leur endroit, dont le Règlement 17 en Ontario interdisant l’enseignement en français.
Par ailleurs, à l’époque, le Québec a joué un rôle clé dans la lutte pour l’éducation en français hors Québec. Mentionnons aussi le rôle clé des sénateurs du Québec dans le dossier de la nomination de francophones du reste du Canada au Sénat. Jusque vers les années 1960, le Québec a été de tout cœur avec les luttes des francophones de l’ensemble du pays.
Depuis ce temps, le Québec a redéfini son rôle dans le contexte du développement de l’État providence pour se consacrer à l’édification de son État. Son action envers les minorités francophones a été consignée dans une politique d’appui aux communautés francophones; en 2008, le Québec fondait le Centre de la francophonie des Amériques.
Le rapport le confirme et souligne que le Québec souhaite contribuer à l’élargissement de l’espace francophone au Canada. Bien que le sujet ne soit pas traité dans le rapport, il serait souhaitable que le Québec s’abstienne lorsque ses interventions devant les tribunaux sont potentiellement nuisibles aux minorités francophones. Nous convenons toutefois que le Québec peut jouer un rôle important au sein de la Conférence ministérielle de la francophonie canadienne, notamment afin d’appuyer les revendications des minorités francophones dans les provinces anglophones.
Cela étant, la perspective proposée dans le rapport fait fi du rôle du Québec dans le développement d’une approche favorable aux langues officielles au pays. À titre d’exemple, si le Québec joue un rôle dans le développement de la francophonie et qu’il affirme souhaiter poursuivre son action dans ce domaine, nous sommes étonnés de constater le peu de cas fait de son rôle dans la mise en place, depuis au moins les années 1960, de la politique des langues officielles. En effet, l’adoption, en 1969, de la Loi sur les langues officielles vient du leadership du Québec à Ottawa. Cette Loi confirmait le droit des francophones et des anglophones à des services dans la langue officielle de leur choix au sein des institutions fédérales et la représentation équitable des francophones et des anglophones au sein de la fonction publique fédérale. Cette Loi a aussi jeté les bases de la reconnaissance constitutionnelle de l’égalité du français et de l’anglais en 1982. Depuis 1988, la nouvelle Loi sur les langues officielles confère aux francophones et aux anglophones du pays le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix.
Le Québec doit poursuivre cet engagement qu’il porte envers les langues officielles depuis les années 1960, car la force normative de la Loi dépend aussi de son action. On ne peut pas faire de la Loi un simple outil d’action pour les minorités de langue officielle. Ce serait en réduire la portée et laisser entendre que les Québécois francophones n’ont pas à se sentir concernés par les langues officielles au pays, comme si leurs droits linguistiques étaient complètement pris en compte par la Charte québécoise de la langue française. Le Québec doit se préoccuper du dossier des langues officielles, par exemple en appuyant les démarches pour officialiser le caractère bilingue de la Ville d’Ottawa et en exigeant une meilleure place pour le français dans la fonction publique fédérale. Non seulement, le Québec joue un rôle particulier au pays afin de s’assurer de la pérennité du français, il doit se faire un devoir de contribuer au bon état de santé des langues officielles au pays dans son ensemble et non uniquement du français au Québec. La défense du français mené par le gouvernement du Québec ne serait se limiter au seul territoire québécois. Elle doit aussi faire partie de sa conception des relations canadiennes et d’un véritable fédéralisme plurinational.
À propos…
Linda Cardinal est professeure à l’École d’études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa. Spécialiste des rapports entre langue, droits et politique, ses travaux portent principalement sur l’analyse comparée des régimes linguistiques, les enjeux des minorités linguistiques, les politiques linguistiques et l’aménagement des langues (Canada, Europe et international).
Stéphanie Chouinard est originaire de Labrador City. Elle est professeure adjointe au Collège militaire royal du Canada (Kingston). Détentrice d’un doctorat en Science politique de l’Université d’Ottawa, ses recherches portent sur les droits des minorités, sur les politiques linguistiques au Canada et en Europe, et les droits autochtones.
Marie Hélène Eddie est étudiante au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse à la francophonie, aux médias d’information et au journalisme, ainsi qu’aux enjeux féministes et minoritaires. Elle habite à Ottawa mais son cœur est en Acadie.
Sébastien Grammond est professeur à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa depuis 2004. Il a enseigné le droit des obligations, le droit des autochtones, la procédure civile et le droit des affaires. Les recherches de Sébastien Grammond portent tout d’abord sur le droit des peuples autochtones et, plus généralement, sur le traitement juridique des problématiques minoritaires.
Rémi Léger est professeur de sciences politiques à Simon Fraser University en Colombie-Britannique. Il est titulaire d’une maîtrise de l’Université de l’Alberta (2007) et d’un doctorat de l’Université Queen’s (2012). Son site personnel : remileger.wordpress.com .
Martin Normand est postdoctorant à l’École d’études politiques et à la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa. Ses travaux portent sur l’action collective des minorités linguistiques, sur les espaces de pouvoirs locaux dans les communautés francophones au Canada et sur le principe d’offre active.