Au dernier semestre, dans l’un de mes cours, une de mes collègues de classe a partagé son opinion à l’égard de l’assimilation. Elle trouvait triste que certaines communautés francophones minoritaires ne peuvent pas vivre leur francophonie et que des jeunes se désintéressent de leur langue et de leur culture ou utilisent un vocabulaire qui ne s’inscrit pas dans le registre du «bon français» et laisse beaucoup de place à l’anglais. Elle reprochait surtout ces faits aux jeunes parce qu’elle avait l’impression qu’il s’agissait simplement d’une question de fournir plus d’efforts. Elle trouvait dommage que ces jeunes ne réussissent pas à voir la valeur du fait français, et, donc, faisaient mourir la francophonie, parce que, selon elle, «l’assimilation, c’est un choix».
J’ai eu du mal avec cette affirmation, pour de multiples raisons.
Je tiens à souligner que ma collège est originaire d’une partie du Canada où le français est en situation minoritaire, mais où le privilège linguistique et le rapport à la langue sont différents, soit ce que l’on appelle la «ceinture bilingue». Il est donc possible que ses propos soient justes selon son expérience dans sa propre communauté. Il reste que je trouve que ses affirmations peuvent difficilement s’exporter envers d’autres communautés.
Le sujet de l’utilisation d’un «français anglicisé» a été longuement débattu au moment de la controverse entourant le slogan #RightFiers des Jeux de la francophonie canadienne 2017 à Moncton, que l’on se soit positionné pour (comme ici et ici) ou contre (ici et ici) l’usage d’un tel slogan.
Il m’a paru évident, suite aux remarques de ma collègue, que l’on comprend mal pourquoi les emprunts linguistiques sont si fréquents. On pourrait évidemment dire que la grammaire française est plus complexe, ce qui rend la maitrise de la langue plus difficile, ou encore que le contact avec l’anglais est tellement prépondérant qu’il est normal que des emprunts aient lieu, ce qui n’est peut-être pas complètement faux, mais pas non plus le seul processus permettant d’expliquer la situation.
Cependant, ce dont on parle peu et qui m’intéresse particulièrement ici, ce sont les différences de sens, de connotation ou d’essence des mots que l’on remplace avec des termes en anglais.
Étrangement, l’utilisation de mots que l’on considère comme étant du «bon français» n’ont aucune signification pour moi. Être forcé à utiliser ces mots qui sont à l’extérieur de mon vocabulaire quotidien et dépourvus de sens pour plaire à ceux qui ont une peur bleue de «l’assimilation» a comme résultat de me faire constamment dire : «ce n’est pas exactement ce que j’essaye de dire». Je constate que les mots anglais que nous francisons dans notre vocabulaire détiennent un sens particulier qu’il est difficile de reproduire en «bon français». On a beau chialer contre l’assimilation, une partie de moi comprend que grâce au mélange de codes, j’erre entre l’anglais et le français de manière simultanée, donc entre deux conceptions du monde. Les sens que j’accorde aux mots ne s’en trouvent pas dévalués, mais plutôt incroyablement enrichis.
Par exemple, la différence entre les expressions «right fiers» et «très fiers» est significative. «Right» comprend une connotation de certitude solide et une assurance plus forte du mot ou sentiment qu’il qualifie, tandis que «très» n’est qu’un amplificateur du mot «fiers». «Right», c’est la conviction de cette fierté. «Right» détient alors un sens particulier dans son appropriation par le français acadien. Un sens qui ne peut pas être remplacé par un mot «plus juste», parce qu’il n’existe pas de mot français, dans mon vocabulaire habituel, ayant la même signification. Si j’utilise «très » à la place de «right», je ne suis pas en train de communiquer mes sentiments et mes pensées adéquatement, ce qui entraine alors la perte du sens que j’entendais partager.
J’imagine souvent mon bilinguisme comme étant une carte de circuits électriques (circuit board), où il y aurait deux circuits électriques séparés par les codes linguistiques que je maîtrise. On m’a longtemps fait croire que les deux circuits doivent travailler indépendamment et ne doivent pas se croiser afin de préserver la pureté du courant. Si les courants devaient se croiser, cela représenterait la fin de la machine.
Par contre, c’est une conception fallacieuse de la machine. Ce qui habite réellement ma tête n’est qu’un seul circuit hybride, composé de deux langues et de deux sources de référents culturels, avec un seul courant électrique, soit l’ensemble de mes pensées. Les acadianismes, survivances linguistiques du vieux français, et, surtout, les mots anglais francisés ne viennent pas teinter négativement le parler avec lequel j’ai été socialisé organiquement, mais plutôt, remplissent des lacunes inhérentes à la langue française. (Cette dernière est d’ailleurs une langue balisée tellement strictement que cet effort de «purification» ne fait que stopper son développement et l’empêche de s’adapter à nos milieux). Les mots anglais francisés lui donnent une vitalité et offrent à ses usagers des manières riches et intéressantes de transmettre leurs sentiments. En fait, les anglicismes sont peut-être essentiels.
Dans nos milieux francophones, ce n’est que récemment qu’on a commencé à mettre en évidence et à adéquatement représenter cette réalité du bilinguisme, sans en faire un enjeu de revendication ou de controverse. De voir cette réalité que nous vivons représentée de manière à être célébrée implicitement est une expérience que j’ai du mal à bien exprimer, quelle que soit la langue que j’utilise. Le mot le plus proche de ce que je souhaite exprimer vient de l’anglais : empowerment.
Par exemple, la mixtape qu’a diffusé Tide School récemment évoque une réalité que je ressens quotidiennement, mais qui n’avait jamais été représentée de mon vécu. C’est le type de musique que j’aurais aimé et voulu entendre à la radio, sans jamais savoir que c’est ce que je voulais vraiment entendre. C’est plus que juste l’un de mes albums préférés, c’est le soundtrack de mon vécu comme jeune homme acadien, et il détient une valeur symbolique personnelle incomparable. Cette mixtape remplit un vide important dont j’ignorais l’importance: elle offre de la musique acadienne qui n’est pas identitaire, mais de fait qui reflète le vécu de jeunes personnes comme moi, utilisant un langage que l’on reconnait et que l’on utilise quotidiennement. Les artistes qui ont participé au projet abordent les sujets des lendemains de brosses, de la santé mentale, du fait de manquer de batterie d’ordinateur et bien d’autres thèmes que l’on vit au quotidien.
On peut même retrouver cette représentation de notre vécu dans le jeu vidéo sur le magasin de vêtements usagés Frenchys qui simule l’expérience d’être au Frenchys de Meteghan, une expérience facilement transférable à toutes les localités de l’Atlantique, compte tenu de notre forte culture du thrifting. Ou, pour l’envers de la médaille, quand on a l’occasion de se faire représenter mais que l’on manque complètement le bateau, cela peut venir renforcer le sentiment que notre réalité n’est pas perçue comme étant légitime, ou ne vaut même pas la peine d’être mentionnée. Cela peut affecter massivement la manière dont on se perçoit et que l’on vit notre francophonie. On peut même en arriver au point où l’on se dissocie de cette identité, par manque de valorisation et de représentation positive de notre identité telle qu’on la conçoit.
La représentation est indispensable et a un pouvoir d’une importance indéniable. Même si certaines personnes de notre entourage n’aiment pas nécessairement admettre que l’anglais a une influence dans nos vies, et bien que le français reste notre ancrage identitaire, on peut encore se retrouver inconfortable et mal accueilli dans la francophonie.
Autrefois, on m’aurait facilement déclaré «assimilé» dans le sens où ma collègue l’entendait. Je comprends le processus de pensée derrière le décrochage culturel et linguistique parce que je l’ai vécu et je le vis toujours d’une certaine manière, et d’une façon que ma collègue, qui supposait que l’assimilation est un choix, risque de ne pas comprendre facilement. Pendant des années, j’avais un dédain profond pour la francophonie. Je peinais à parler en français et «vivre» la culture de ma communauté, et d’ailleurs, je vis toujours avec plusieurs de ces frustrations.
Mais de me faire dire que ce fut un choix est bien plus frustrant que de vivre la situation en tant que telle, parce que je n’ai jamais choisi d’être pris dans un tug-of-war identitaire et linguistique, pour alors me faire traiter de «traitre» ou «d’assimilé» quand je tente de vivre ma francophonie de la seule manière qui me semble authentique. À mon avis, ce sont des facteurs structurels, internes à la communauté, qui mènent les jeunes au décrochage culturel et identitaire, et non uniquement des actes individuels volontaires. Nos communautés deviennent alors des lieux de toxicité identitaire et selon plusieurs qui vivent ces réalités, il est probable que l’on pousse trop le français chez les jeunes. Souvent on finit ainsi par cultiver la honte plutôt que la fierté, ce qui mène à cette réticence à parler la langue et participer à la culture.
Quand on aborde cette dualité qui nous habite, on nous présente deux options : assimilation ou purification. Cependant, les deux options présentent une conformité qui limite et qui néglige une partie essentielle de qui nous sommes devenus en tant que personnes qui habitent cette frontière. S’assimiler, c’est perdre une partie de soi-même, cela j’en suis certain. Mais de se «purifier» c’est aussi aller à l’encontre de l’environnement qui nous a formé et nous a créé. C’est perpétuer le sentiment de honte face à notre évolution dans notre contexte, ce qui implique d’être constamment en lutte avec l’environnement qui nous a façonné, d’être en lutte avec nos pairs qui ont fait autrement que nous et surtout, d’être en lutte avec soi-même. Si on opte pour la «résistance», on perd aussi une partie de qui nous sommes, une partie essentielle de notre cheminement et de notre développement individuel.
Pourquoi ne pas plutôt considérer une troisième option : celle de la valorisation. Soit reconnaître la dualité que nous vivons comme francophones socialisés dans un milieu anglophone et de retrouver un empowerment dans la complétude de notre développement en situation minoritaire, sans honte et sans culpabilité. C’est à dire s’accepter comme nous sommes et valoriser notre vision unique qui se situe à la frontière des langues et des cultures. Cela donne place à des mutations identitaires et de création qui nous ressemblent, qu’il s’agisse de musique, d’art, d’expériences, de partages, et d’un vécu qui nous éloigne du désengagement que nous vivons dans nos communautés.
À propos…
Daniel Boutin, originaire de Dartmouth en Nouvelle-Écosse, est étudiant à l’Université d’Ottawa en études politiques et en études des francophonies. Actif au sein des réseaux jeunesse de la Nouvelle-Écosse et de l’Atlantique, il s’intéresse surtout aux questions sociolinguistiques, identitaires et politico-structurelles.
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M. Boutin…Bravo, un excellent exposé sur la situation que vivent les jeunes d’aujourd’hui. Évidement les puristes qui ne jure que par le Petit Robert et ont du dédain pour le Larousse ne comprennent pas qu’une langue évolue. Sommes-nous à l’avant garde…même les français sont chiac mais avec une prononciation exécrable. Vive l’évolution et quand ont parle de la pureté de la langue…ce n’est pas la nôtre dont on parle mais du français de France. Il y a toujours eu de la diversité dans une langue et c’est ce qui en fait la beauté. Pourquoi n’y aurait-il pas des gens autres que ses illustres écrivains à l’Académie pour souligner le langage courant chez la population « une sorte de reality check. »
M. Boutin…à vous lire, on jurerait que l’assimilaton ne vous inquiète pas…si on avait adopté, par exemple, « seulement fier » ou « juste fier », si on tient au mot fier….autrement, pourquoi pas, comme, autre exemple comme slogan…EXCELLENCE….mais si « l’assimilation » ne vous dérange pas, pas nécessaire d’en parler davantage . Je parle de « L’assimilation » qui nous fait perdre les vertus et et la beauté de la langue française.