Je ne me suis jamais arrêté, avant tout récemment, pour me demander pourquoi on mise tellement sur l’importance des services en langue française en francophonie minoritaire. Je comprends que c’est un concept important dans une société assez néolibérale qui met l’accent sur le monde économique. Surtout en tenant compte du fait que la Charte des droits et libertés garantit certains privilèges, dont les services dans la langue officielle de son choix au niveau fédéral, et même au niveau provincial où l’on offre parfois des services en français. Mais je n’ai jamais remis en question la raison de cette fixation sur les services, plutôt que sur les nombreuses autres lacunes de la vie des francophones en situation minoritaire.
C’est en attrapant la fin d’une émission de RDI 24/60 que ma réflexion a commencé. Un panel d’intervenants, leaders, directions générales et autres gens d’importance de la francophonie canadienne y était invité pour parler de différents enjeux concernant les francophones en situation minoritaire au Canada. François Boileau, le commissaire aux langues officielles de l’Ontario, y affirmait que le plus gros problème auquel font face les minorités francophones au quotidien est celui de l’accès aux services en français. C’est le terme « au quotidien » qui m’a paru ne pas être à sa place. Bien que j’étais d’accord avec l’importance, en tant que francophone, de demander et de recevoir des services en français, j’étais moins certain de l’affirmation selon laquelle ce serait le plus gros problème des francophones au quotidien.
Est-ce vraiment un problème d’importance au quotidien? Est-ce que ma vie sociale est vraiment centrée sur le fait de recevoir des services ? Est-ce que je demande des services gouvernementaux à tous les jours? J’avais du mal à répondre dans l’affirmative. Ma vie quotidienne va bien au-delà de simplement demander des services. Qu’en est-il de la musique que j’écoute? Des vidéos YouTube que je visionne? Du cercle social que j’entretiens? Des autres aspects de ma vie banale d’étudiant universitaire qui façonnent ma vie quotidienne?
Je me suis mis à penser que même si les services sont disponibles, on fait face à un autre problème : la socialisation, ou plutôt, le manque de socialisation.
Ayant déjà réfléchi à mes propres expériences concernant la demande de services en français, j’en étais venu à l’observation que je suis coupable de ne pas demander des services en français lorsque j’en ai l’occasion. Je suis, en ce moment, exilé de la Nouvelle-Écosse dans la région de la capitale nationale pour mes études. Le bilinguisme d’une bonne partie de la population d’Ottawa ainsi que la proximité du Québec font en sorte que j’ai honnêtement plusieurs occasions de demander des services en français au niveau fédéral, provincial, municipal et même dans certains commerces privés.
Pourtant, je ne demande pas toujours ces services dans ma langue. La première fois que je suis entré dans un restaurant McDonald du côté du Québec, à Gatineau, j’étais initialement excité de pouvoir donner ma commande en français pour la première fois de ma vie. Mais vitement, cette excitation s’est transformée en incertitude et en inconfort, parce que je n’avais aucune idée comment formuler ma question correctement. Je ne connaissais pas les termes à utiliser pour éviter de dire « Big Mac Meal » ou bien « Large Coke », ni comment bien structurer ma phrase pour ne pas qu’on roule des yeux et qu’on me prenne pour un anglophone. Je n’avais jamais fait l’expérience de parler en français dans ce contexte, donc je n’avais aucune idée quoi dire ou comment le dire.
Ce ne fut pas un événement isolé non plus ; cinq ans ont passé depuis mon arrivée dans la région d’Ottawa et j’ai encore du mal à me sentir confortable. J’ai du mal à me faire livrer une pizza en français, bien que les employés de la pizzéria soient francophones, parce que je ne suis pas toujours certain de mon vocabulaire. J’essaie de copier les clients qui sont devant moi dans la file à l’épicerie, mais j’ai toujours peur de mal structurer mes interactions sociales et de finir par sonner comme un alien qui fait accroire d’être humain. Je ne suis même pas encore allé passer mon test de conduite, en partie parce que j’ai honte. J’ai honte du fait que je vais me sentir obligé de passer mon test en français, mais qu’en même temps, je sais que je serais plus à l’aise avec la version anglaise du test. Mon malaise s’étend aussi au-delà des situations où je demande des services ; ça peut aussi être en conversation avec des amis, sur des sujets spécifiques, en parlant d’émissions de télévision, de films, ou même en racontant une histoire. Je ne suis pas habitué à parler en français dans ces contextes et donc, mes manières de parler restent calquées sur l’anglais.
C’est un processus qui est long, que de complètement déconstruire ses insécurités face à un manque de socialisation en français, surtout lorsqu’on a grandi, comme ce fut le cas pour moi, dans un endroit où l’entièreté de ma vie non-scolaire se passait en anglais.
On oublie cette variable importante de la socialisation dans les situations quotidiennes. En effet, quand on reproche à quelqu’un de ne pas revendiquer de services en français, on ne prend souvent pas en compte le fait que cela pourrait signifier un inconfort pour l’individu, en le mettant dans une situation pour laquelle il n’a aucun précédent social, dans laquelle il se sent mal équipé, méconnaissant des conventions sociales ou du vocabulaire approprié pour la situation. Quand le français est restreint à seulement quelques facettes de la vie d’un individu, ce dernier ne saura communiquer confortablement que dans les facettes qu’il connait. On peut bien sûr apprendre et s’informer, s’essayer ici et là, où on le peut, pour apprendre à se sentir plus confortable et acquérir davantage de confiance pour parler en français dans ces situations-là. Mais rares sont les occasions où on aura la chance de se pratiquer sans jugement, sans inconfort.
Revendiquer des services de langue française est important, mais il est tout aussi important de valoriser le français au quotidien, de trouver et de se créer des raisons d’avoir une affinité pour la francophonie dans la vie de tous les jours, et surtout, de favoriser toutes les chances de se créer des espaces et des contextes dans lesquels on peut vivre notre francophonie de manière simple, quotidienne, non-militante et régulière. Pour s’essayer en français dans des situations qui sont typiquement anglicisées, on a besoin d’un lien affectif avec la langue, d’une raison ou d’une croyance conductrice qui répond à la question « pourquoi parler en français? ». Et la réponse à cette question devrait être formulée sans utiliser de buzzwords ou de réponses vides, mais avec des mots qui reflètent ce qui nous touche réellement dans notre individualité, notre essence même; bref, qui vient de nous, et pas de ce que « l’élite », ou nos profs, ou nos ainés, nous prêchent.
Ce n’est pas non plus une solution viable que de simplement « faire plus d’efforts », parce que le vouloir doit venir organiquement, d’un intérêt qui est réel et authentique. Je n’ai pas de solution miracle à proposer, mais un point de départ possible serait d’avoir une présence médiatique francophone authentique, faite par et pour les jeunes. Cela permettrait de pallier au manque de présence francophone sur l’Internet et au manque de contenus médiatiques en français, un des secteurs où cette absence de francophonie quotidienne se fait particulièrement sentir.
Tout ça pour dire que ça me semble étrange de miser autant sur une partie de notre existence en tant que francophones, et de problématiser la situation comme s’il fallait simplement « demander des services dans notre langue plus souvent ». Cette logique néglige le fait qu’il s’agit d’actes que l’on n’est presque pas socialisé à faire, et donc, qui posent un inconfort significatif.
Si on n’a pas de raison de parler français, pourquoi le faire? Si on ne peut pas vivre des moments quotidiens en français, qui ne sont pas des actes politiques ou de militance, qu’est-ce qu’on essaie d’accomplir? Si on n’a pas l’occasion de vivre des expériences communes en français, à quoi ça sert de se « battre » pour notre supposé futur en français, et contre qui d’ailleurs, contre nous-mêmes? Cette obstination pour la « défense » du français n’arrivera pas à son but si elle n’inclut pas des manifestations du français dans notre vie quotidienne en dehors du « combat ».
À propos…
Daniel Boutin, originaire de Dartmouth en Nouvelle-Écosse, est étudiant à l’Université d’Ottawa en études politiques et en études des francophonies. Actif au sein des réseaux jeunesse de la Nouvelle-Écosse et de l’Atlantique, il s’intéresse surtout aux questions sociolinguistiques, identitaires et politico-structurelles.
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Fort intéressant, cette réflexion…qui démontre le sort que nous réserve, nous francophones, la vie en milieu minoritaire…qui démontre le besoin d’une attention particulière des gouvernements à l’endroit des communautés acadiennes et francophones. Qui démontre en même temps l’urgence de se méfier quotidiennement de l’assimilation et de se donner les moyens pour l’empêcher de nous emporter avec la marée. Mais suis-je le seul à déduire de ce texte que son auteur n’a pas encore trouvé son identité linguistique et culturelle propre à un acadien francophone? Ce qui m’amène à me poser des questions sur le rôle qu’aurait pu jouer son école (élémentaire et secondaire) dans sa formation générale. Ou est-ce seulement un problème de dichotomie du langage découlant de l’affichage? Vivre en milieu minoritaire, c’est une lutte quotidienne, n’est-ce pas M. Boutin? Et puis, en passant, est-ce que l’Ontario a modifié le titre de son « Commissaire aux services en français » pour l’instituer comme « Commissaire aux langues officielles »…si tel est le cas, c’est que l’Ontario aurait maintenant deux langues officielles dans ses statuts?