Laisser des traces : l’exposition Enracinés – Michaël Dubé

Grondin, Maryse [commissaire]. Joël Boudreau, Luc A. Charrette, Gabrielle Gendron et Réjean Toussaint [artistes]. Enracinés, Edmundston, Galerie Colline, 9 juillet au 29 novembre 2015.

Cet automne, j’ai eu la chance d’aller voir l’exposition Enracinés à la Galerie Colline du Musée historique d’Edmundston. Cette exposition, qui porte à la fois sur l’influence et la place de la forêt dans l’Acadie des terres et forêts, trace un lien entre le patrimoine et la société contemporaine[1]. Effectivement, Enracinés fait référence aux racines forestières du passé qui s’accrochent au présent. En raison du thème, l’exposition a été lancée à l’été 2014 dans le cadre du Congrès mondial acadien.

Bien que la région soit séparée par des frontières qui semblent trop souvent infranchissables, une même réalité la compose : la culture forestière. Enracinés rappelle cette réalité grâce à la participation de quatre artistes : Joël Boudreau, Luc A. Charrette, Gabrielle Gendron et Réjean Toussaint.

Crédit photo : France Smyth.

Crédit photo : France Smyth.

Lorsqu’on entre dans la galerie, il ne fait aucun doute que c’est l’œuvre de Luc A. Charrette qui attire notre regard en premier. L’œuvre se divise en deux : Mouvance, paradigme Nature et Mouvance, paradigme Culture. Nous invitant à réfléchir aux concepts de nature et de culture, les deux toiles sont imposantes et intrigantes. Elles présentent des traces de pieds, de chaussures et de pneus par lesquelles l’artiste veut nous faire comprendre que l’humain laisse une empreinte et qu’il modifie la nature pour se construire une culture. De plus, il y a une progression évidente dans la nature de ces traces : on passe des pieds nus au confort d’un véhicule équipé de pneus. L’humain se dote d’outils et de moyens techniques pour modifier le territoire dans lequel il vit. Bien qu’on ne perçoive pas l’influence de la forêt dans l’œuvre (mis à part les outils forestiers en montre devant), il est facile de faire la comparaison avec les nombreux chemins forestiers qui sillonnent le nord du Nouveau-Brunswick. Bref, c’est une œuvre moderne et accrocheuse.

Crédit photo : France Smyth.

Si l’exposition captive d’abord les yeux, c’est ensuite l’odorat qui est sollicité par l’incroyable œuvre de Joël Boudreau. Montée à même la salle et composée de planches de bois avec l’écorce (slabs), la structure, des plus uniques, dégage une odeur tout à fait forestière. Un petit village sculpté au bout des planches de bois nous ramène au mouvement et à l’effervescence qui se créent autour de l’exploitation forestière et de l’influence de celle-ci sur l’apparition de petits villages comme ceux du Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick. Effectivement, au début du 20e siècle, nombreux étaient les colons qui s’établissaient dans ce milieu forestier presque vierge pour y défricher des terres, pratiquer l’agriculture et faire la coupe du bois. Les slabs de bois avec lesquels l’œuvre est construite apportent donc une authenticité à l’œuvre de Boudreau, intitulée Territoire de l’imaginaire.

Crédit photo : France Smyth.

À côté de cette imposante structure, l’œuvre de Gabrielle Gendron, Impermanence I et II, est très différente des deux premières. L’œuvre est légèrement perturbante de par les images qu’elle présente : des corps d’humains et d’animaux inanimés. Chacune de leur silhouette est composée de cartes topographiques de la région du Témiscouata. Humains et animaux partagent le même territoire et l’œuvre nous fait réfléchir aux rapports que nous entretenons avec les bêtes. De par les nombreuses routes sur les cartes qui composent les silhouettes, l’exploitation du territoire est très perceptible. En fait, on peut voir un lien avec l’œuvre de Luc A. Charrette et les traces laissées par l’humain.

Oeuvre de Joël Boudreau. Crédit photo : Évelyne Gallant-Fournier.

Finalement, l’œuvre de Réjean Toussaint constitue la pièce de résistance. Située de l’autre côté de la galerie, l’œuvre fait sa marque. En effet, Chemin Toussaint occupe beaucoup d’espace : l’œuvre est composée d’un triptyque devant lequel est placée une vieille scie ronde provenant d’un ancien moulin à bois. Le même genre de moulin qui produirait les slabs de l’œuvre de Joël Boudreau. Sur cette scie, un texte en prose est écrit de façon circulaire; il renvoie, tout comme les images qui composent les toiles, à l’enfance, la présence d’animaux, la modernité et la forêt tout en naviguant entre l’abstrait et le concret. Les couleurs sont chaudes et rappellent le brun du bois, l’orange de l’automne et la rouille des vieilles scies abandonnées. La scie est aussi un bel ajout, car le texte écrit en spirale rappelle l’arbre coupé qui laisse voir ses anneaux. Une œuvre touchante, chaude et mystérieuse.

Oeuvre de Réjean Toussaint. Crédit photo : France Smyth.

Oeuvre de Réjean Toussaint. Crédit photo : France Smyth.

En rétrospective, « Enracinés » est une exposition de qualité qui propose quatre perspectives, différentes de par les médiums et techniques utilisés, mais similaires dans leur manière de percevoir ce que l’humain prend et ce que la nature lui offre en retour.

[1] La région de l’Acadie des terres et forêts comprend les comtés Madawaska, Restigouche et Victoria au Nouveau-Brunswick, le comté d’Aroostook dans l’État du Maine aux États-Unis et le comté de Témiscouata au Québec.

À propos…

Michaël Dubé

Père et fier Acadien du nord du Nouveau-Brunswick, Michaël Dubé est titulaire d’un baccalauréat en éducation ainsi que d’une maîtrise en histoire. Il s’intéresse à l’histoire des femmes et du travail en forêt, au féminisme et aux valeurs d’égalité et d’équité.

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