«Fantasie[1]» et fantastique entrainent le lecteur dans des mondes et des univers aussi déroutants que fascinants. Les deux tomes du cycle Lizzy d’Armoirie de Luce Fontaine se situent à la frontière de ces deux genres, tandis qu’Une âme suffit d’Arianne Gagnon-Roy est dans le genre fantastique. Ces trois romans ont été publiés par Bouton d’or Acadie dans sa collection «Vélo de course», qui s’adresse aux enfants de 11 ans et plus.
Dans Lizzy d’Armoirie et la légende du médaillon (2012) pour lequel l’auteure a remporté l’Éloize de l’artiste de l’Acadie du Québec, deux mondes coexistent : le «monde matériel» et le «monde parallèle». Éléna Delon, une jeune fille d’environ 13 ans, vit dans le «monde matériel». Comme chaque année, sa famille passe ses deux semaines de vacances dans un chalet situé «tout près de la dune de Bouctouche» (p. 20), ce qui enchante Éléna d’autant plus qu’elle vit loin de la mer. Elle se promène sur la plage et ramasse du verre de mer qu’elle «vend» à une artisane. Un jour, elle découvre sur la plage ce qui semble être une amulette.
Parce qu’elle vient d’avoir 10 ans, Lizzy d’Armoirie est persuadée qu’elle pourra rejoindre le clan des «Enfants Élus» de la Grande Armoirie, un des deux territoires du royaume d’Amétyssa. Nous sommes dans le «monde parallèle». Mais sa candidature est refusée à cause d’une tare familiale que personne ne semble vouloir lui expliquer. Lizzy décide de découvrir ce qu’il en est.
Le destin des deux jeunes filles va, bien évidemment, se croiser.
Lizzy apprend de son précepteur, Jacob, qu’elle est l’héritière légitime du royaume qui est dirigé par le dictateur Simon Le Rouge depuis le naufrage du vaisseau de Rose, la grand-mère de Lizzy, qui avait succédé à son mari à la tête du royaume. C’est lors de ce naufrage que Rose a perdu l’amulette magique de la famille. Cette amulette est le moyen par lequel les Enfants Élus passent dans le monde matériel, dont ils veillent sur les enfants en tant qu’anges gardiens. C’est cette amulette qu’a retrouvée Éléna.
Les premiers chapitres nous présentent Éléna et Lizzy en alternance, jusqu’à ce que Lizzy trouve un moyen de traverser au monde matériel et d’aboutir – comme par hasard ! – à Bouctouche. Éléna apprend que le professeur Eguorel donne une conférence sur des naufrages mystérieux et décide de s’y rendre, tout comme Lizzy. Or le professeur n’est autre que Simon Le Rouge (d’où, lorsqu’épelé à l’envers, le surnom Eguorel), lui aussi venu dans le monde matériel pour récupérer l’amulette. Éléna et ses amis réussissent à la conserver et à la remettre à Lizzy qui peut ainsi rejoindre son monde. La fin du roman en annonce la suite : le mystère qui entoure Lizzy n’est toujours pas résolu.
La rébellion gronde (2014) conclut l’histoire. Pendant qu’Éléna cherche, puis trouve, le moyen de passer le congé de l’Action de grâce à Bouctouche, la situation politique du monde parallèle se gâte. Le colonel Markus Lakens, de l’armée de Simon Le Rouge, sème la terreur en Armoirie sous le prétexte qu’il y aurait des dissidents qui veulent chasser son patron du pouvoir. Pour sa part, le peuple craint d’être déporté, évocation de la Déportation des Acadiens. Soupçonnée d’être du côté des dissidents, Lizzy est rejetée par ses amis qui craignent Lakens. Elle arrive même à douter de la fidélité de Jacob. Son seul espoir réside dans l’appui qu’elle espère trouver chez ses amis du monde matériel. Les péripéties se multiplient, qui entraineront Éléna et son ami acadien Mathieu dans le monde parallèle, et les pousseront, en compagnie de Lizzy, à se lancer la poursuite du colonel Lakens dont on découvre qu’il veut s’emparer du pouvoir absolu sur les deux mondes. Il sera déjoué par l’alliance inattendue entre Simon Le Rouge et Jacob. Une dernière surprise, que je ne vous dévoilerai pas, anime la fin de l’aventure.
L’histoire est bien construite et plaira aux jeunes de 10 à 12 ans. Toutefois, ce roman demeure à la surface des mondes et des thèmes qu’il explore : la dictature, les anges gardiens, l’amitié, la trame policière et même l’histoire de l’Acadie. Il y avait pourtant là tout un univers à développer!
Une âme suffit (2015) est une variation sur le thème des vampires. Ceux de cette histoire ne se nourrissent pas de sang, mais d’âmes. Orpheline depuis la mort tragique de ses parents, Cassandre, âgée de 16 ans, est adoptée par Célestine et Constantin Dupuis, un couple fortuné qui a déjà une fille de 21 ans, Cléonie. Pendant son sommeil, ses parents adoptifs la transforment en un être immortel comme eux et Cléonie. Son cœur ne bat plus, elle ne ressent ni le froid ni le chaud, ne goûte plus rien, mais peut toujours sentir (je me suis d’ailleurs demandé pourquoi ce seul sens fonctionne) et n’a plus besoin de manger, sauf des âmes – ce qui cause bien évidemment la mort instantanée de ses victimes. Contrairement à Cléonie, qui apprécie son « nouvel » état, elle qui a été transformée en 1791, Cassandre veut redevenir humaine. Évidemment, à cause de leur situation particulière, la famille doit déménager souvent. Et pas seulement à cause du nombre de cadavres que les membres laissent autour d’eux, mais surtout parce qu’ils ne changent pas d’apparence physique.
L’intrigue commence réellement quand la famille s’installe à Saint-Boniface au Manitoba, après avoir vécu dans d’autres provinces de l’Ouest. Vingt ans se sont écoulés depuis la transformation de Cassandre, qui n’a pas vieilli. Elle est déterminée à terminer son secondaire pour ensuite suivre une formation d’infirmière. Elle est d’ailleurs bénévole dans les hôpitaux, en particulier aux soins palliatifs, ce qui lui permet de se «nourrir» en volant les âmes au moment même où les personnes meurent. Il faut comprendre que, pour elle, il s’agit d’un moindre mal puisque, quand elle a «vraiment faim», son être vole l’âme de la personne la plus en santé qui est à proximité.
Arrive la rencontre avec Antoine, un élève de 12e année. Le cœur du roman est dans le combat qu’elle va mener pour lutter contre l’attirance qu’ils ont l’un pour l’autre. Cassandre sait qu’ils n’ont aucun avenir commun possible, d’autant plus que si elle l’embrasse, elle lui donnera le «baiser du vampire» par lequel elle avalera automatiquement son âme et le tuera. Je ne vous raconte pas la suite de l’histoire, mais sachez que le monde des mangeurs d’âmes est plein de surprises!
Le roman est bien construit, animé par une plume vive et expressive, et les personnages sont attachants. Cassandre est la narratrice du récit de près de 300 pages, mais Antoine exprime également son point de vue dans une bande dessinée en six planches couleur, placée à la fin du livre. Créée par le bédéiste bien connu Christian Quesnel, dont c’est la cinquième collaboration avec Bouton d’or Acadie, cette bande dessinée apporte un complément intéressant au récit.
- Fontaine, Luce. Lizzy d’Armoirie et la légende du médaillon, Moncton, Bouton d’or Acadie, 2012, 138 p.
- Fontaine, Luce. Lizzy d’Armoirie ‒ Tome II : La rébellion gronde, Moncton, Bouton d’or Acadie, 2014, 142 p.
- Gagnon-Roy, Arianne [texte] et Christian Quesnel [bande dessinée]. Une âme suffit, Moncton, Bouton d’or Acadie, 2015, 288 p.
[1] Le Journal officiel de la République française du 23 décembre 2007 propose de traduire fantasy par «fantasie», tandis que l’Office de la langue française du Québec suggère l’utilisation de «merveilleux». J’avoue que «fantasie» m’apparaît plus évocateur du genre.
Prochaine chronique : Quand l’aventure anime le récit.
À propos…
David Lonergan a vécu en Acadie de 1994 à 2014. Il habite aujourd’hui en Gaspésie. Il a travaillé dans divers domaines : théâtre, journalisme (écrit, radio, télévision), enseignement (au secondaire puis à l’universitaire). Il a publié plusieurs livres dont plus récemment aux Éditions Prise de parole, Paroles d’Acadie : anthologie de la littérature acadienne 1958-2009 (2010), Acadie 72 : naissance de la modernité acadienne (2013) et Théâtre l’Escaouette 1977-2012 (2015).
Pingback: Chronique jeunesse : Quand l’aventure anime le récit – David Lonergan | Astheure·
Merci monsieur Lonergan pour la belle chronique! Aussi à titre informatif, il y aura un troisième et dernier tome pour la série Lizzy d’Armoirie. En effet, les lecteurs de cette trilogie maritime connaîtront le dénouement de cette aventure sous peu. Au plaisir!
Luce Fontaine
http://www.lucefontaine.com
Merci David…C’est un vrai plaisir de te lire. Je retiens ces titres pour des cadeaux à des petits-neveux. De ta demeure gaspésienne, si tu vois la mer, tu la salues de ma part. De Moncton, elle est à 20 km.
Pingback: Chronique jeunesse : Le Vélo de course et le Tout-terrain de Bouton d’or Acadie – David Lonergan | Astheure·