Beaulieu, Lison. Papier cul, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2015, 157 p.
Papier cul, c’est l’histoire de Rose, une femme dans la jeune quarantaine déjà bien malmenée par la vie. Propriétaire d’une boutique de chandelles aux formes phalliques assez inusitées, Rose a également perdu l’odorat à la suite d’un accouchement difficile après lequel elle s’est séparée de son mari. Histoire d’arrondir ses fins de mois, elle fait la lecture aux résidents d’un foyer pour personnes âgées. Entre les magazines de chasse et pêche, les livres de cuisine et l’œuvre de Descartes, Rose fait, entre autres, la connaissance de Monsieur Bélanger, professeur à la retraite affublé d’un pied gangrené. Son absence d’odorat fait d’elle la seule personne à ne pas être incommodée par sa condition.
C’est quand elle propose à Monsieur Bélanger de l’accompagner jusqu’à Québec pour son amputation que les choses se corsent. Entraînée malgré elle dans un rendez-vous arrangé avec le neveu de Monsieur Bélanger, Rose se retrouve tiraillée entre ce dernier et Daniel, qu’elle a rencontré par hasard. À ces deux hommes qui l’attirent pour différentes raisons viendra s’ajouter son ex-mari, Paul, auquel elle n’est pas non plus indifférente.
Divisé en quelques chapitres seulement, le roman progresse vers un embranchement impossible à éviter. L’auteure présente donc Rose dans toute sa complexité, ou plutôt son existence complexe, avant de la placer devant ce choix impossible entre deux, puis trois hommes. Les chapitres, dont trois s’attardent aux relations entretenues par Rose avec ces hommes, s’entrecoupent de passages au ton plus intime, narrés par Rose, et dont les entrées datées rappellent un journal intime. Le tout est truffé de perles de sagesse, plutôt scatologiques, mais pleines de bon sens.
Tour à tour erratique, drôle, touchante ou même terre à terre, l’écriture de Lison Beaulieu et la galerie de personnages inusités qu’elle dépeint ne peut que faire sourire. Si le récit lui-même prend parfois d’étranges détours, il n’en demeure pas moins plein d’un savoir campagnard, simple mais rafraîchissant. Maniant habilement l’humour de l’esprit et du corps, ainsi qu’une subtile ironie, Beaulieu parvient à un équilibre parfait entre l’action et la pensée, la parole et la réflexion. Les pages se tournent toutes seules sous sa plume active, qui ne laisse pas pour autant de côté l’intimité des pensées du personnage.
L’histoire de Rose, c’est celle de tout le monde et de personne à la fois, une histoire douloureuse de pertes, de relations humaines et d’amour, de la recherche de celui-ci et de ses substituts. Pourtant, si le parcours du personnage la pousse inexorablement à choisir, et on s’y attend, j’ai adoré qu’elle n’en fasse rien et laisse le lecteur complètement en suspens, dans l’attente de ce choix qui semble constamment se dérober. Lison Beaulieu est surprenante; alors qu’on croit saisir un peu le dénouement ou même la continuité de son récit, le roman prend des détours inattendus. Entre les pensées de Rose, des hommes dans sa vie, de ses amis et de sa mère, on ne sait jamais qui parviendra à voler la vedette le temps de quelques lignes, ou même d’un chapitre.
L’auteure clôt le roman sur des conseils adressés à Rose, mais qui sont aussi comme des clins d’œil au lecteur : il importe de prendre ses propres décisions plutôt que de se mettre la tête dans le sable et d’attendre que quelqu’un d’autre s’en charge. Ou comme le dit si bien la mère de Rose : « Arrête de tourner autour du pot pis chie dedans » (p. 10). Papier cul c’est de l’esprit, de l’humour, et surtout, une vaste réflexion sur les choix qu’on a faits, qu’on fera, mais aussi qu’on peut toujours refuser de faire.
À propos…
Camylle Gauthier-Trépanier est étudiante à la maîtrise en lettres françaises à l’Université d’Ottawa. Elle parle trop vite, collectionne les romans en tout genre et adore dresser des listes (interminables) de projets plus ou moins réalistes.