Cabinet Trudeau : parité, diversité et…Dominic LeBlanc – Marie Hélène Eddie

Justin Trudeau a été élu dans l’enthousiasme général, un peu à la Obama mais de façon plus modeste bien sûr ; son programme électoral noyé parmi les promesses de changement. Il y a eu, du moins dans nos régions, un soulagement général. Ce soulagement général fait que chez la plupart des individus se positionnant à gauche de l’échelle politique, qu’ils soient fan du Parti libéral du Canada (PLC) ou non, sont prêts à donner la chance au coureur. Il faut se rappeler que le début du mandat de Trudeau va surtout avoir pour effet de revenir au Canada qu’on connaissait avant 2006.

Parfois, il faut faire un retour en arrière pour progresser. On peut déjà prévoir l’engouement général presqu’à chaque pas. C’est lorsque viendra le temps de prendre de véritables décisions (et non pas de défaire celles du gouvernement précédent) que le vrai test viendra et qu’on saura mieux quel genre de Premier ministre a été élu. Bref, attendons un peu avant de lui accorder le prix Nobel de la paix!

La première décision de Trudeau fut au niveau du cabinet. Un cabinet paritaire (hommes et femmes) et représentatif de la diversité canadienne qui donne le ton sur le type de gouvernement que sera celui de Trudeau. Toutefois, ce gouvernement ne signale pas de préoccupation particulière pour l’Atlantique ou la francophonie hors-Québec.

La parité et l’argument du mérite

La perspective d’Andrew Coyne et de plusieurs autres selon laquelle un cabinet devrait être basé sur le mérite et non le sexe commence à faire date. Sans laisser entendre que les femmes ne sont pas aptes à occuper les postes en question, Coyne s’inquiète du fait que les candidates élues avaient 30% de chance d’obtenir un portefeuille et les hommes, seulement 10%. Selon Coyne, il faut décider si l’on veut un cabinet représentatif du Canada, ou un cabinet fondé sur « le jugement, le leadership, la connaissance des politiques, l’expérience dans la gestion des grandes organisations et l’expérience en politique ».

L’argument du mérite versus le sexe est un faux débat. Être une femme est une façon tout à fait appropriée de mériter sa place au sein du cabinet, entre autres parce qu’être une femme signifie avoir une compréhension différente (mais non moins juste) des enjeux sociaux, politiques et économiques; être à l’affut de besoins différents (mais non moins essentiels); apporter une expérience antérieure différente (mais non moins éclairante) et contribuer aux discussions et à la prise de décision en proposant des méthodes et stratégies différentes (mais non moins efficaces).

De plus, les cabinets ne devraient  pas être un reflet exact des candidats élus. Ainsi, ils ne sont pas nécessairement formés en prenant compte du ratio d’élus, que ce soit par rapport aux régions, à la langue, ou à une autre caractéristique. Par exemple, s’il fallait établir un quota en fonction du nombre d’élus par région, le nouveau cabinet aurait deux fois plus de ministres néo-brunswickois (qui a élu 10 libéraux sur 10 circonscriptions) que de ministres provenant des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta réunies (qui en ont élu cinq entre elles). Ce n’est pas le cas. Pourquoi? Parce que ce n’est pas sur cette base que l’on forme un cabinet. Ce n’est pas parce que plus d’hommes ont été élus que de femmes, que le cabinet doit refléter cette réalité.

Rappelons-nous aussi que les postes importants sont octroyés en grande partie pour remercier des collaborateurs loyaux et pour rendre des faveurs à des amis. En quoi un cabinet paritaire et représentatif des différents groupes sociaux est-il moins qualifié qu’un cabinet homogène composé d’hommes blancs d’un certain âge à qui l’on octroie des postes de pouvoir parce qu’on leur doit une faveur?

Paradoxalement, Andrew Coyne, dans ce même article où il déplore le fait qu’un tel ratio de femmes ait été nommées ministres par rapport au nombre de candidates élues, résume mieux que je ne saurais le faire mon propre argument, me convaincant, du même coup, qu’il a tort:

There never was a time when cabinet ministers were chosen strictly on merit. Region and language have been taken into account from the start, latterly joined by considerations of gender and ethnic balance; white men have benefited throughout from a preference, conscious or otherwise, that was until comparatively lately all but absolute.

Friendships, flattery, grudges: these, too, have always been important factors in deciding who’s in and who’s out — as, of course, is the simple matter of party affiliation. The numbers of the incompetent, the venal, and the merely mediocre among Her Majesty’s ministers, most of them white men, would fill a book. »

Justement. Pour une fois, rien que pour une fois, au lieu de douter des compétences que possèdent les femmes ministres, renversons la question comme le suggère cette utilisatrice de Twitter: les hommes du cabinet Trudeau sont-ils qualifiés pour les postes auxquels ils ont été nommés?

Diversité au cabinet… Ah oui, pis, euh, langues officielles, aussi!

Une femme de 30 ans arrivée au Canada comme réfugiée afghane 20 ans plus tôt; une personne en chaise roulante et une personne malvoyante; un ancien prisonnier politique, deux membres des Premières nations, dont Jody Wilson-Raybould à la tête du ministère de la Justice! Et j’en passe… Un bon vent de changement, me semble que ça fait du bien. Juste « parce qu’on est en 2015 », juste pour ça.

Mais au départ, l’annonce du cabinet a fait paniquer la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA), et avec raison. Pour la première fois en plus de dix ans, aucun ministère des langues officielles n’avait été annoncé. La gaffe a été réparée et les médias l’ont précisé : Mélanie Joly n’est pas seulement ministre du Patrimoine, mais aussi des langues officielles. Tant mieux, mais par précaution, restons sur nos gardes… et si c’était un oubli prémonitoire? Non, ça ne peut pas être pire que le gouvernement précédent, mais jusqu’à présent, aucun signe que la francophonie hors-Québec, ou l’Acadie, occupe un tant soit peu les pensées de ce nouveau gouvernement.

Ce qui m’amène à parler de Dominic LeBlanc, seul représentant de l’Acadie, mais aussi du Nouveau-Brunswick et de la francophonie hors-Québec, au cabinet.

Dominic LeBlanc, ambassadeur ou figurant?

Dominic LeBlanc, député de la circonscription de Beauséjour depuis 2000, n’a pas reçu de portfolio, mais il est nommé leader du gouvernement à la Chambre des communes. Plusieurs ont trouvé que ce n’était pas grand-chose. Étant donné que nul autre élu néo-brunswickois ou  francophone hors-Québec n’a reçu de portefeuille, il était normal d’espérer avoir mieux.

On l’oublie souvent, mais « Dominique LeBlanc » (oui, c’est comme ça que La Presse a écrit son nom dernièrement) n’est pas aussi connu à l’extérieur qu’à l’intérieur des provinces atlantiques. Le 4 novembre dernier, lors de son assermentation, la CBC a fait défiler un ensemble hétéroclite de descriptifs sur LeBlanc qui ont eu pour effet de mettre à jour la population générale : « député du Nouveau-Brunswick »; « ami d’enfance de Trudeau »; « fils de l’ancien gouverneur-général Roméo LeBlanc »; « s’est présenté à la course à la chefferie en 2008 »; « a gardé (« babysat ») Trudeau et ses frères lorsqu’ils étaient jeunes ».

S’il est plus ou moins connu de la population générale à l’extérieur de l’Atlantique, ce n’est pas le cas de ceux qui s’intéressent de près à la politique, notamment des journalistes. Rosemary Barton, de l’émission Power and Politics sur les ondes de la CBC, l’a dit le 4 novembre: « Dominic LeBlanc est un animal politique comme peu le sont ». Il n’est pas à sous-estimer.

Malgré l’absence de portefeuille, tout porte à croire que son nouveau rôle au cabinet est le point de départ de la croissance exponentielle de sa carrière. Ses tâches l’amèneront à travailler intimement avec Trudeau, ce qui devrait normalement faire augmenter le niveau de confiance que Trudeau a en lui. Parallèlement, il est probable que LeBlanc soit, du moins pour un certain temps, particulièrement actif devant les caméras, étant donné son expérience avec les journalistes, permettant de mieux le faire connaître du reste du Canada.

Mais cela ne dit rien des enjeux liés au Nouveau-Brunswick et à la francophonie. Le politicologue Mario Levesque de l’Université Mount Allison, interrogé par L’Acadie Nouvelle,  suggère qu’en n’ayant pas de portfolio mais en étant leader du gouvernement en chambre, Dominic LeBlanc sera peut-être encore plus en mesure de représenter le Nouveau-Brunswick à cause de son accès constant à Trudeau tout en n’étant pas lié à un unique dossier. Perspective intéressante et tout à fait valable sur la place que prendra le Nouveau-Brunswick au sein du nouveau gouvernement.

Cependant, par rapport aux enjeux relatifs à la francophonie, LeBlanc ne s’est jamais fait l’ambassadeur de l’Acadie ou des francophones hors-Québec et rien ne porte à croire que cela changera du jour au lendemain simplement parce qu’il est leur seul représentant au cabinet.  Remarquez, ce n’est pas parce qu’on est francophone que l’on doit nécessairement faire du fait français son cheval de bataille. Mais comme seul représentant des francophones hors-Québec au cabinet, il est normal d’espérer qu’il se fera, avec Mélanie Joly, un devoir d’être le porte-parole de nos besoins et de nos luttes.

Bref, l’élection du gouvernement Trudeau est le coup d’envoi que la carrière de LeBlanc attendait depuis plusieurs années. Croisons-nous les doigts pour que cela permette aussi de rappeler au nouveau gouvernement que #nouscomptons, nous aussi. Trudeau a lancé un message fort en formant un cabinet représentatif du Canada. Toutefois, en laissant la place à la parité et la diversité, la francophonie, elle, a plus ou moins passé inaperçu.  Espérons que Trudeau n’oubliera pas l’Acadie et que LeBlanc sera là pour lui rappeler ses responsabilités.

À propos…

Marie Hélène Eddie

Marie Hélène Eddie est étudiante au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse à la francophonie, aux médias d’information et au journalisme, ainsi qu’aux enjeux féministes et minoritaires. Elle habite à Ottawa mais son cœur est en Acadie.

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2 réponses à “Cabinet Trudeau : parité, diversité et…Dominic LeBlanc – Marie Hélène Eddie

  1. Merci Marie-Hélène pour cet article qui fait état des justes capacités et intérêts des ministres choisis non seulement sur le principle de la parité et représentation régionale mais sur leurs valeurs personnelles et leur mérite pour mener à mieux l’engagement du gouvernement. Donnons chance aux courreurs et courreuses!

  2. Merci Marie Hélène pour cet excellent article. Je voudrais souligner la présence au Cabinet de la gaspésienne Diane Lebouthillier dont l’arrière grand-père était un pêcheur de Caraquet. Quoique ministre du Revenu national, elle se promet de défendre les intérêts des régions.

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