Cormier, Éric. D’ici, Éditions Perce-Neige, Moncton, 2014, 69 p.
On en parle dans la poésie, le roman, le théâtre, les téléséries et les téléréalités. Ça revient dans D’ici. Oui, le thème de l’amour est au cœur du recueil qu’Éric Cormier a fait paraître en juin dernier aux Éditions Perce-Neige. Et ça teinte l’ensemble du livre. Bien qu’il y ait autre chose : la ville, le quotidien et l’altérité, par exemple. Mais c’est sous cette figure que le texte se place d’emblée, comme en témoigne la dédicace : « À Xavier, pour ce jour où tu découvriras l’amour ».
Éric Cormier nous berce dans un va-et-vient constant entre le « je », le « nous » et le « tu ». Le « je » : l’aimant. Le « tu » : l’être aimé. Le « nous » : l’union des deux premiers, ou encore nous tous, qui aimons. Le poète évite le plus souvent les marques du genre sexuel. L’amour semble abolir ici les distinctions de genre et illustrer en quelque sorte la caducité de cette catégorisation binaire. L’aimant pourrait être vous ou moi, et l’être aimé est uniquement (mais encore cet « uniquement » est-il beaucoup) ce « tu » dont le « je » tente d’apercevoir l’image :
il pleut sur la ville
dans toutes ces larmes
je ne trouve plus tes yeux (p. 19)
Cormier rend compte avec force du sentiment amoureux par une série d’images marquantes, comme lorsqu’il écrit que « le miroir a même / conservé ton image » (p. 25) et que « l’absence réussit encore / à me parler de toi » (p. 24). D’autres expressions plutôt abstraites risquent malheureusement de laisser certains lecteurs perplexes. Par exemple, la signification d’un vers comme « ce n’est plus nous qui menons l’absence » (p. 56) est relativement obscure et on pourrait finir par croire que c’est du concept d’absence lui-même dont il est question.
Mis à part ce genre d’expressions abstraites, Cormier nous immerge parfaitement dans son imaginaire poétique et illustre avec minimalisme les multiples facettes du sentiment amoureux. Il paraît aborder le thème de l’amour filial dans ce vers faisant écho à la dédicace : « Un jour tu connaitras la puissance des mots » (p. 62). Par ailleurs, à certains moments, l’amour pour le « tu » pourrait bien se confondre avec l’amour du « pays ». Le poète des Éditions Perce-Neige ne parle-t-il pas en effet de « Ton histoire / cette histoire que j’ai cherché à apprendre / par cœur » (p. 55)? N’écrit-il pas qu’une fois la tempête passée, l’« ile réapparait sur ta peau salée » (p. 21), le « tu » se révélant alors une sorte d’adresse à un paysage maritime? Enfin, le poète semble aussi parler de l’extrémisme auquel peut conduire l’amour fou pour une divinité quand il écrit que « [s]on cœur est une bombe » et qu’il « [prend] la ville en otage » (p. 11).
Dans ce dernier cas, le « je » n’a alors évidemment plus rien à voir avec la personne du poète. C’est que, dans D’ici, le « je », le « tu » et le « nous » se métamorphosent. Ce sont des pronoms « transsubjectifs » : ils ouvrent des canaux leur permettant d’atteindre l’universel en désignant à la fois un seul sujet individuel et chacune des consciences humaines. Le mouvement du « je » au « tu » et au « nous » constitue au final une manière pour le poète de trouver une position – un « ici » – d’où il pourra apercevoir cet être aimé qui lui avait échappé tout au long du recueil mais qu’il retrouve dans les dernières pages :
Je n’aurais pu imaginer une plus belle fin
car d’ici
maintenant
j’arrive à voir ton visage (p. 64)
À propos…
Mathieu Simard est étudiant au doctorat à l’Université d’Ottawa. Il a complété un baccalauréat en études littéraires à l’Université Laval et a obtenu une maîtrise en langue et littérature françaises de l’Université McGill pour un mémoire intitulé « La poétique bilingue de Patrice Desbiens ». Ses recherches portent principalement sur les littératures francophones du Canada, le plurilinguisme, les théories de la lecture et l’hybridation des genres littéraires à l’époque contemporaine.
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