Une convergence des intérêts
Nous savons tous que les politiciens sont des acteurs ; ils et elles doivent livrer des performances au même titre que tout artiste sur une scène, avec un texte et un micro à la main. Le public du politique s’attend à une performance, à être diverti. Le spectacle politique est bien réel. Cet art s’est un peu perdu de nos jours, même si quelques orateurs font encore vibrer nos salles communautaires.
Aux politiciens, la culture donne un supplément d’âme, une légitimité, un sens du créatif, la possibilité d’être in. Et en plus, de nos jours, le narratif politique s’appuie sur l’émotionnel plutôt que sur le rationnel. Le cœur mène les opérations de charme au niveau politique. Et c’est là où réside toute la force de l’artiste. L’espoir et le rêve sont du domaine des artistes et non des banquiers.
Le choix des mots, des images, des sons, de la musique, du décor et du ton de la voix est aussi significatif dans le succès d’une campagne électorale que le contenu du message ou de la plateforme électorale. Le politique et la Muse peuvent faire bon ménage si les conditions propices sont au rendez-vous. Il est donc possible, sans vendre son âme au diable, de collaborer avec le politique pour le bienfait de l’art. Nous encouragerons ainsi nos hommes et nos femmes politiques à utiliser la culture comme argument de développement positif de nos communautés, d’outil de cohésion sociale, de lieu de rencontre, amenant vers une convergence des opinions suite à des expériences communes rassembleuses.
La culture au Nouveau-Brunswick
Le secteur culturel s’est beaucoup amélioré au cours des dernières décennies. Son évolution a même été fulgurante. L’offre culturelle acadienne est plus diversifiée que jamais. L’accès à la culture croît. Nous pouvons également avoir accès aux autres cultures de ce monde.
Louis J. Robichaud a été le premier leader politique de la province à démontrer un intérêt pour les arts et le développement culturel. Avant mars 1968, il n’existait aucun organisme gouvernemental responsable des affaires culturelles au Nouveau-Brunswick. Robert Pichette, premier responsable du secteur, réussissait, bon an mal an, à aller chercher 30 000 $ supplémentaires dans divers budgets des autres ministères de la province. Maintenant, c’est autre chose ; près de 12 millions de dollars. Mais sur un budget provincial de 9 milliards de dollars, nous sommes encore loin de dépenser 1 % du budget pour la culture.
Le règne Hatfield a connu un ralentissement certain dans le développement des arts au niveau du gouvernement provincial même si durant cette période, le secteur s’est organisé et structuré. Le secteur du patrimoine a obtenu des acquis (King’s Landing, Village historique acadien), la Direction des affaires culturelles a été établie, les Prix d’excellence dans les arts ont été créés et c’est Hatfield qui a accepté la tenue du Forum 87, qui a eu lieu au début du mandat du gouvernement McKenna.
Il y a eu beaucoup de gains durant l’ère McKenna (le Conseil des arts, le Fonds de fiducie, une Entente fédérale-provinciale sur la culture, la Fondation des arts, Film NB, Initiative sonore, Forum 95), mais jamais de politique culturelle, encore moins de ministère de la Culture.
Une politique culturelle a enfin été créée sous Bernard Lord. Mais entre 1968 et l’adoption de cette politique culturelle au Nouveau-Brunswick, 35 ans se sont écoulés. C’est longtemps. Sous Lord, les fonds pour la culture ont constamment augmenté, ce qui fut très apprécié.
Depuis 2006, les résultats sont plus mitigés. Sous Graham et Alward, c’est plutôt le statu quo, ou carrément un recul. La politique du livre, les États Généraux, bon ça va, mais pendant ce temps l’industrie du film disparaît pour renaître en partie, alors que des postes culturels en éducation vont et viennent. Des acquis sans lendemain. Pas facile.
La politique culturelle
Il n’y a probablement pas plus politique qu’une politique culturelle, car elle englobe toute la société et elle entraîne des retombées au quotidien. Le politique a le beau rôle de rétablir l’équilibre dans la société et il n’y a pas de projet politique plus important que de donner au peuple les moyens de créer librement sa propre culture, qui anime non seulement les individus, mais habite aussi le territoire.
Il existe quatre grands piliers dans la société : le politique, l’économique, le social et le culturel. Ces quatre domaines influencent tous les autres secteurs. Le culturel doit vraiment prendre avantage de cette situation privilégiée et laisser une empreinte plus importante qu’elle ne le fait présentement.
À travers toutes ces années d’évolution des budgets provinciaux dévolus à la culture, on a négligé gravement ce qui relève d’une politique de la demande, c’est-à-dire les moyens à mettre en œuvre pour inciter les gens à consommer des produits culturels.
Il faut ramener la notion de la demande au secteur culturel. Le public doit reprendre ses droits et exiger que le culturel redevienne une partie essentielle de son quotidien. Les concepts de l’offre et de la demande issus du domaine du marketing, et non du domaine culturel, ont pris le contrôle du marché. Il faut donc revenir à une demande qui est issue du domaine culturel.
Donc, même si la création et la production se portent relativement bien, un travail important reste à faire sur l’expression de la demande en vue d’attirer ou de renouveler différents publics dans les divers lieux de diffusion.
Les priorités à court et à moyen terme
Voici les projets à prioriser:
1. Aménagement culturel du territoire (mise à niveau des infrastructures physiques et embauche de personnel professionnel). Un travail doit se faire sur la demande, maintenant que l’offre de produis acadiens s’est bien développée au cours des dernières années.
2. Développement d’un statut de l’artiste professionnel. L’absence de protection sociale élémentaire est malheureusement la règle du milieu. La place essentielle qu’occupent aujourd’hui dans notre société ceux et celles que l’on appelle les travailleurs de la culture doit être reconnue.
3. Financement équitable de la part des trois paliers de gouvernement. Que le municipal se joigne enfin à l’effort. Les budgets municipaux devraient faire plus de place aux services destinés aux citoyens, au même titre que les investissements dans les infrastructures physiques.
4. Création d’un ministère de la Culture au Nouveau-Brunswick. Passer de la « misère de la culture » à un « ministère de la Culture ».
5. Une nouvelle politique culturelle au niveau canadien. Car depuis la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada en 1951 (la Commission Massey-Lévesque) et le Comité d’étude de la politique culturelle fédérale en 1982 (le Comité Applebum-Hébert), aucune nouvelle politique n’a vu le jour. L’avènement des nouvelles technologies, la mondialisation, la croissance des industries culturelles, l’impact de la classe créative; des facteurs à intégrer dans une nouvelle politique culturelle canadienne. En prévision du 150e anniversaire du Canada en 2017, nous pouvons développer ensemble ce beau projet collectif.
À propos…
Marc Chouinard, originaire de Campbellton, Nouveau-Brunswick oeuvre professionnellement dans le secteur culturel depuis 1976. II a contribué à une variété de projets partout au Canada et en Europe, dont les Sommets de la Francophonie, l’Orchestre Symphonique de Montréal, les East Coast Music Awards – ECMA (président du conseil d’administration) et le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick, dont il fut le coprésident. Actuellement directeur général du Théâtre Capitol à Moncton, il présente, chaque année, des centaines d’artistes sur les deux scènes de cet espace culturel important des provinces atlantiques. Il est membre de l’Ordre du Canada.